The most ambitious crossover event in history

A une époque où un sentiment de défiance de plus en plus marqué semble s’élever contre la tendance actuelle de Hollywood à ressusciter ses licences les plus appréciées (ou les singer à travers des fac similés) en tirant sur la corde nostalgique et multipliant les références pour flatter la culture geek, je suis assez stupéfait de constater un tel engouement pour ce film.


Même si Spielberg sous sa facette entertainer est devenu pour moi assez ringard depuis pas mal de temps déjà, impossible de ne pas lui laisser le bénéfice du doute vu son passif. Et des qualités cinématographiques, Ready Player One en a plein, incontestablement. La maitrise de la mise en scène numérique, déjà aperçue dans Tintin, va encore plus loin avec des séquences d’action « virtuelles » foisonnantes mais extrêmement tenues où tout semble chorégraphié au pixel près.


La question que je me pose, c’est au service de quoi est mise cette excellence technique ? Nous avons ici un film somme de plus de 40 ans de pop culture mais dont aucune identité supérieure ne semble se dégager pour former une œuvre avec un style, une direction artistique, un univers qui lui serait propre. L’OASIS dans lequel se déroule le film est techniquement irréprochable mais ne ressemble à rien si ce n’est un gigantesque bac à sable ou s’empile tout et n’importe quoi selon les références qu’on veut convoquer.


Ce n’est pas un souci réellement lié au fond ou à la forme du film mais le bombardement (souvent gratuit) de références m’a personnellement épuisé. J’arrive à passer outre dans un Stranger Things, là c’est juste pas possible. Au delà de l’overdose liée à la quantité, j’ai en plus vraiment le sentiment que Spielberg, terriblement condescendant, ne témoigne aucune confiance envers le niveau de culture du public auquel il s’adresse. Dès qu’une référence devient un peu trop pointue, un personnage du film s’empresse de l’expliciter pour être sûr que cette référence soit bien saisie : HO REGARDE LA MOTO D’AKIRA, HO LE COSTUME DE BUCKAROO BANZAI, HO LA SAINTE GRENADE DE SACRE GRAAL etc… J’avais l’impression de mater le film avec un pote relou qui me donnait des énormes coups de coude en continu pendant 2 heures pour m’empêcher de me concentrer sur le film lui-même. Et à travers ces reproches certes anecdotiques mais au final assez symptomatiques, c’est toute la question de l’estime que le film témoigne envers l’intelligence de son public.


A défaut de faire en sorte qu’une imagerie neuve émerge de cet empilage de références, le film se sert néanmoins de ce postulat pour adresser un propos potentiellement intéressant sur le statut actuel de la pop culture dans l’industrie du divertissement et sur la relation que nous entretenons avec celle-ci. Hélas c’est justement à cause de ce propos, extrêmement problématique pour moi, que toute l’antipathie que je pouvais déjà avoir a finalement atteint un point de non-retour. J’aurais finalement été plus indulgent avec ce film s’il s’était seulement servi de son concept comme un coffre à jouets géant destiné simplement à matérialiser les affrontements et cross over les plus improbables avec une approche bas du front assumée. Le soucis c’est cette volonté de formuler un discours sur la mercantilisation de la pop culture abandonnée aux mains de conglomérats géants avides de rentabilité au mépris du sens profond initial des œuvres qu’ils exploitent (on sent la pique à peine cachée adressée à Disney) et contre lequel le peuple va s’élever pour qu’on lui restitue cette culture qu’il pensait sienne. Quand on voit la gueule des fandoms de la plupart des grosses licences de pop culture, on arrive déjà sur une pente assez glissante. Mais au-delà de ça, si on regarde le film de plus près, qu’est-ce que Ready Player One (au-delà de toute considération qualitative) si ce n’est la tentative d’un gros studio (Warner hein des vrais humanistes amoureux de l’art, rien à voir avec Disney) d’accumuler les droits d’un maximum de licences pour proposer le cross over ultime (déso les Avengers) au mépris de l’essence de ces licences pour s’assurer la performance optimale au box office ? C’est cool d’avoir le Géant de Fer, mais le transformer en gros robot de combat qui va aller défoncer un meca-Godzilla avec son pote Gundam, n’est-il pas une contradiction du sens porté par le film dont il est issu ? Intégrer des personnages de jeu vidéo aux séquences les plus marquantes de Shining, l’idée est intéressante sur le papier (et au moins le film essaye ici de construire quelque chose à partir d’une référence) mais le résultat final n’aboutit hélas qu’à dénuer ces séquences de tout l’effroi qu’elles sont supposées susciter. Est-ce là vraiment le meilleur des hommages à rendre à Kubrick ?


Je ne sais pas s’il s’agit d’extrême naiveté ou si le film est vraiment en train prendre son public pour des crétins, mais je suis vraiment super gêné par cette démarche. Quand je vois certaines critiques ériger Ready Player One et Spielberg en nouveaux héros du peuple contre la dictature des tentpoles et la franchisation de Hollywood, je me dis que la manipulation de masse à base de grands discours démagos a encore de beaux jours devant elle.


Dans ce bras de fer entre les industriels et le public avec comme enjeu cette fameuse pop culture, Spielberg a tout de même la bonne idée dans le final de ramener l’artiste/auteur au cœur du sujet mais là encore le bât blesse par rapport à la façon dont est représentée l’Oasis dans ce film.
Spielberg semble clairement s’identifier à James Halliday (artiste introverti, icone geek malgré lui, créateur dépassé par son œuvre etc..). Mais peut-on vraiment considérer James Halliday comme un artiste ? En quoi l’Oasis est-il une œuvre signifiante comparable à Jaws, Indiana Jones ou Jurassic Park ? Pour revenir au point soulevé au début de cette review, qu’est-ce que l’Oasis si ce n’est un gigantesque sandbox virtuel et persistant ? Superbe taf de développeur rien à dire mais j’ai un peu de mal à percevoir la vision artistique derrière tout ça. En fait je vois plus James Halliday comme un super Mark Zuckerberg du futur et l’idée que Spielberg choisisse de se projeter dans un tel personnage est pour moi une terrible désillusion par rapport à tout ce qu'il représente.

StevenSingalls
4
Écrit par

Créée

le 30 mars 2018

Critique lue 8.9K fois

212 j'aime

29 commentaires

StevenSingalls

Écrit par

Critique lue 8.9K fois

212
29

D'autres avis sur Ready Player One

Ready Player One
Sergent_Pepper
6

The grateful eighties

Le blockbuster a toujours indexé sa hype sur les évolutions technologiques : en essayant d’en mettre plein les yeux à son public, les équipes ont révolutionné d’abord d’inventivité, puis de moyens,...

le 29 mars 2018

161 j'aime

26

Ready Player One
Behind_the_Mask
10

Spirits in the Material World

Que dire ? Que dire à part "C'est génial !" Que dire à part : "Il faut y aller putain ! Que dire à part : "Wouha !" Un petit "Merci Steven ?" Certainement. Car Ready Player One, c'était un fantasme...

le 28 mars 2018

142 j'aime

42

Ready Player One
Gand-Alf
8

Insert Coin.

La nostalgie, c'est quand même bien pratique. Ca nous offre l'occasion de nous replonger avec émotion dans nos vieux souvenirs d'enfance ou d'adolescence, de les enjoliver au passage et de pouvoir se...

le 9 avr. 2018

103 j'aime

23

Du même critique

Avengers: Infinity War
StevenSingalls
8

Ceci n'est pas un film

Qu’est-ce que le cinema ? Question extrêmement pompeuse pour ouvrir ce papier mais qui se pose plus que jamais devant un film tel que celui-ci. Même si ce nouvel Avengers est globalement une fois...

le 27 avr. 2018

6 j'aime

4

Star Wars - Les Derniers Jedi
StevenSingalls
9

The Unforcegiven

Ce n'est plus un secret, le principal reproche adressé au The Force Awakens de JJ Abrams était son manque d’audace. Un retour de la magie star wars originelle un peu miraculeux qu’il n’est pas...

le 14 déc. 2017

4 j'aime

T2 Trainspotting
StevenSingalls
4

Highglandeurs, le Retour

Cela ne vous aura pas échappé, ces dernières années, on a pu assister au retour sur les écrans, petits ou grands, de la plupart des grosses licences cinématographiques qui ont marqué les 80s et 90...

le 19 mars 2017

3 j'aime