Au loin, sur un carré immaculé, un homme en robe de chambre à capuchon sautille au son d'une capricieuse mélodie ancienne. En noir et blanc.
Aussi libre et léger que le papillon, aussi dur et déterminé qu'un enfant de putain.


Il joue avec l'élasticité de son corps, se dérobe à l'uppercut d'un adversaire qu'il est le seul à voir, lui lamine les côtes en représailles, au ralenti. En son œil, la lueur sauvage qui décuple ses forces. Frapper et esquiver.


Il est l'artiste ultime et son art, fait d'entrainements, de sacrifices et de fulgurances, ne supporte aucune approximation. Dompter son corps, lire dans celui de son adversaire et surtout, ne jamais baisser les yeux.
Il est le «Taureau du Bronx» parce qu'il y est né, qu'il encaisse comme un jour de tauromachie et que la rage qui l'habite l'accompagne même en dehors du ring.


Il est là, dans son appartement, muré et proche de l'implosion.On se croirait dans un Wellman des années 30 où un réalisme certain savait déjà épouser un climat social prégnant et ce, avant que s'y intéressent les italiens d'Italie.
À ce titre, la formidable photographie de Michael Chapman mériterait à elle seule une critique. Aidée par un montage élégant et astucieux, elle ourle le film d'un écrin cotonneux, lui donnant cette consistance, cet apparat sur-mesure qui habille les chef d'oeuvres d'évidence.


Il suffirait d'une étincelle pour que s'enflamme le souffre et DeNiro, quelque-part au sommet, incarne la fureur perpétuelle, dans ses pleins comme dans ses déliés. Il souffle et s'abat en cyclone sur ceux qui l'entourent, son frère, sa femme, les mafiosi qui le voudraient à leur botte...


Le revoilà, enfin, bouffi, en bout de course, tabassé par cette chienne de vie qui prend toujours le dessus quand tu baisses la garde, les paupières lourdes, les yeux rougis des pleurs qui accompagnaient alors l'envol de ses illusions. Grossier reflet de ce qu'il fut.


Miné par l'échec de son New-York New-York, drogué jusqu'à la moelle, dépressif, c'est cloué sur son lit d'hôpital, asticoté par un DeNiro désireux d'adapter l'autobiographie de Jake La Motta, que Scorsese entrevoit enfin la portée tragique de la carrière du boxeur, son autodestruction comme un écho à la sienne.


Scorsese, proche de la mort artistique, tourne comme un commando, met tout ce qu'il a dans ce film comme s'il devait être son dernier. Il orchestre des séquences qui n'obéissent pas toujours à une temporalité réaliste. Imperceptiblement, il freine un geste dans sa course, la durée s'épaissit avant de reprendre son cours normal et révèle son plan par touches subtiles.


Raging Bull n'est pas un film sur la boxe, c'est une méditation chrétienne sur la rédemption, parachevée par cette citation finale, empruntée par Martin Scorsese à saint Jean :


«J'étais aveugle et maintenant je vois».

DjeeVanCleef
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le 18 mars 2016

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DjeeVanCleef

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