Martin Scorsese fait preuve d'une virtuosité époustouflante avec ce grand film sur la boxe, le récit est dense, cru, impitoyable et vrai dans sa démarche réaliste, où on voit la boxe moins comme un sport que comme un milieu douteux avec sa cruauté et ses combines mafieuses, bref le "noble art" est montré comme une sorte d'enfer, mais si on y regarde de plus près, Raging Bull est autre chose qu'un simple biopic romancé d'un boxeur célèbre et déchu, même si au premier abord, c'est l'histoire d'une chute et d'une rédemption, car les séquences de boxe ne doivent pas excéder 15-20 mn sur près de 2h de projection ; pour son réalisateur, c'est plus un film sur ce qui se passe dans la tête des personnages, essentiellement les relations du boxeur avec sa femme et son frère, car La Motta détruit tout ce qu'il a en trouvant des prétextes pour défoncer la tronche de ses proches, sous-entendant que son agressivité sur le ring provient d'une certaine frustration sexuelle et conjugale.
On a beaucoup parlé de la transformation physique de De Niro, qui passe d'un athlète vif et sec à un obèse pathétique débitant des plaisanteries minables pour les clients d'un cabaret, et qui n'a pas hésité à grossir de 30 kg, mais sa performance d'acteur est tout aussi magistrale (récompensée par un Oscar), notamment dans les scènes d'engueulades très choc et pleines d'excès, où il asticote Cathy Moriarty et Joe Pesci (ses You fuck my wife restent dans la mémoire, c'est du pur De Niro qui rappelle un peu son You talkin' to me ? de Taxi Driver). De Niro bouffe tout, mais Joe Pesci parvient quand même à tirer son épingle du jeu, il se fera d'ailleurs remarquer avec ce rôle de frangin souffre-douleur.
D'autre part, les scènes de combats sur le ring sont filmées caméra sur l'épaule, très près des acteurs, avec des gros plans agressifs qui n'épargnent ni jets de sang et de sueur et les ralentis appropriés, même si Scorsese oublie de spécifier que le combat contre Cerdan fut le plus discuté, puisque c'est sur glissade que le champion français alla à terre. Mais dans l'ensemble, le film est assez objectif pour le portrait d'un Italo-Américain filmé par un autre Italo-Américain. La photo en noir & blanc n'est pas utilisée à des fins esthétiques, il n'y a pas d'effets charbonneux rétro ni de clairs-obscurs poétiques, mais une grisaille honnête, une banalité stricte destinée à donner un aspect un peu documentaire, surtout pour coller au plus près de la réalité lors des scènes de combat, c'est comme si on était projeté dans ces années 40 et 50.
Ce film dégage une énergie incroyable, il est parfois un peu pénible parce que le personnage de la Motta est un fou excessif et frénétique, mais il est passionnant à suivre, c'est une réflexion sur la frustration et le désir, l'insatisfaction existentielle et la boulimie de la séduction, un "rise and fall" parfois touchant ou la grandeur et la décadence d'un champion où Scorsese oppose 2 violences, celles du ring et de la vie.

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le 18 avr. 2017

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