Sur le fond, j'aurais très peu de choses à reprocher au discours de Cristian Mungiu : c'est cohérent, représentatif d'un problème majeur de xénophobie à travers la planète (toujours se rappeler d'un certain Pierre D. : "Les chiffres sont accablants : il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde"), et en prise avec des thématiques sociales, économiques et politiques qui font sens à mes yeux. Il y a des choses qui sont bonnes à être dites, redites, martelées, et en un sens la valeur de l'intention peut dépasser celle de sa réalisation.


Dans la pratique, en l'occurrence, R.M.N. ne m'a pas franchement convaincu, au sens où le programme très chargé, très balisé, et très lourd peine à susciter une vraie adhésion. Je n'avais pas compris la signification de l'acronyme, déjà, mais quand on sait qu'il s'agit de l'IRM (en même temps que les consonnes du mot Roumanie), le projet devient encore un peu plus évident, à savoir proposer une radiographie d'un pays, d'une situation, d'un mal, ou plus précisément d'un petit village multiethnique en Transylvanie. Dans son élan moral et empreint de lenteur austère, à la lisière dangereuse de la caricature de film d'auteur, c'est la première fois que le cinéaste roumain me fait autant penser au cinéma de Nuri Bilge Ceylan.


Pour le reste, malgré la diversité des arguments invoqués (culturels, sociaux, économiques, politiques, religieux), je trouve que le film ne parvient pas à en faire un ensemble bien chevillé, bien articulé. La faute à un côté programmatique, à une faiblesse dans l'enchaînement et dans la construction des séquences importantes — par exemple la scène-clé de débat au centre du film (chaos, rancœurs et frustrations dignes d'un échange houleux sur un réseau social), en 17 minutes de plan-séquence, m'est apparue comme très forcée, trop mécanique, avec les coutures bien trop visibles quant à ce qu'elle entend démontrer et dénoncer. Dommage car c'est un film qui a une toile de fond sensée avec ses 5 langues qui interagissent, avec le poids de l'histoire de la région, les liens entre minorités (hongroise, allemande, tsigane). Mais vraiment, les effets pervers de l'Union européenne et le sort subi par les travailleurs étrangers venus du Sri Lanka (des étrangers chez les étrangers, de notre point de vue) sont vraiment exposés de manière bien trop didactique.


Bien sûr que la haine xénophobe est atavique, bien sûr que la crétinerie est humaine et omniprésente. Je ne suis pas cinéaste donc je ne sais pas comment il aurait fallu exposer cela pour que ça ne paraisse pas aussi artificiel, mais je peux en revanche regretter la perturbation de nombreux éléments secondaires, des romances contrariées, un enfant perturbé, un grand-père malade, etc. Le tableau devient vite trop chargé, sans compter ce final mystérieux, presque fantastique, métaphorique, en tous cas pas immédiatement intelligible. Dans ce genre de films, les calculs des effets produits derrière chaque séquence envahissent à mes yeux tout l'espace.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/R.M.N.-de-Cristian-Mungiu-2022

Morrinson
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le 17 avr. 2023

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Morrinson

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