Quelqu'un d'extraordinaire
7.2
Quelqu'un d'extraordinaire

Court-métrage de Monia Chokri (2013)

"C'est le sujet préféré de vos brunchs de Spice Girls."

Sarah, c'est le genre de fille qui n'existe pas en double exemplaire. Elle se distingue des autres, en particulier de ses copines trentenaires à qui elle n'a rien à envier. Des copines qui respirent la vulgarité avec leur imprimé léopard, bijoux cheaps, jambes trop longues pour jupes trop courtes et étalage décomplexé de leurs aventures et mésaventures sexuelles. L'insolence même ou la représentation parfaite de la pimbêche au milieu de l'amphi qui piaille, jacasse et caquette avec sa bande de copines du cours de com' événementielle.


Sarah, au contraire, est une fille entière. Quoiqu'un peu tête en l'air et légère. Et pour cause, après une nuit envinée, elle se réveille dans le lit d'un inconnu. Sauf que l'inconnu en question n'est pas à ses côtés et qu'elle s'imagine avoir couché avec avant de tomber sur la mère de ce garçon - de 16 ans, soit dit en passant. Paumée comme une ado qui vient de déchanter face aux ravages de sa première nuit à la vodka pomme, elle demande à son amie Catherine de venir la chercher en voiture. Cette dernière la ramène de force à une fête où toutes leurs copines sont présentes en l'honneur du mariage de Justine, qui aura lieu dans deux semaines. Seulement, le cœur n’y est pas. Sarah se retrouve, contre son gré, encerclée de pestes. Pestes qui, accessoirement, sont ses amies. Amies qui ne jurent que par les apparences et la dévisagent allègrement à la vue de son t-shirt informe qui a fait office de pyjama post-blackout, de ses cheveux ébouriffés et de sa mine enfarinée accentuée par un no make-up qui met pourtant en lumière sa beauté naturelle.


D'entrée de jeu, Sarah ne se sent pas à sa place dans cette soirée "girls only", au milieu des cris stridents de pintades qui gloussent en défonçant une piñata et en sirotant des cocktails sucrés qui pétillent. Il ne manque plus que le petit doigt levé. Alors, dans une optique de reconstruction après l'épisode nocturne flou qu'elle a vécu la veille, elle passe par une phase de destruction de son entourage grâce à une arme de destruction massive : la franchise. Dans un élan d'honnêteté, elle va jouer la transparence avec toutes ces bêcheuses - qui, de toute évidence, ne méritent pas qu’on leur voue une amitié sincère - en avouant à la future mariée qu'elle est cocue depuis un an par une des leurs. La jeune femme malintentionnée se trouvant parmi les invitées, on assiste à une scène de règlement de compte initiée et orchestrée par Sarah. Du coup, ça couine encore plus, ça se crêpe le chignon et ça pleurniche. Plus de faux-semblants, chacune dit tout haut ce qu'elle pensait tout bas depuis belle lurette. Et forcément, c'est la bagarre.


Évidemment, la réalisatrice a grossi les traits, ce qui donne lieu à un scénario en apparence classique et à quelques clichés. On nage en plein dans le délire "soirée entre filles", atteint à son paroxysme. Alors je suis certainement en très mauvaise posture pour parler de ce "mythe" féminin mais si je me réfère à ma dernière "girl power party" il y a quatre ans, tous les ingrédients étaient réunis : ça glousse, ça boit dans une petite coupette de champagne, ça offre des cadeaux impersonnels et les démonstrations d'amour doublée d’hypocrisie fusent. D'ailleurs, le concept de "besta" - entendez par là amitié superficielle et par conséquent, mensongère - ne serait-il pas un mécanisme de défense face à la peur de se retrouver seule ? Sarah, elle, va dépasser cette peur, ce qui va lui permettre de se retrouver en phase avec elle-même malgré son "anxiété et sa peur de ne pas être exceptionnelle". De quoi faire un beau pied de nez à ses copines mielleuses par devant et médisantes par derrière.


Mais tout l'intérêt du court-métrage réside dans les dialogues drôles et piquants à la fois, dans la manière dont c'est filmé et surtout, dans le message véhiculé. En bref, c'est pertinent. Tout est dit en 30 minutes, même si on n'aurait pas été contre le fait qu'il y ait une suite. On va dire que c'est assez pour réfléchir sur la vraie beauté des êtres humains, qui devrait être davantage intérieure qu'extérieure, sur les apparences, sur le franc-parler et sur l'importance d'adopter une démarche d'authenticité avec son entourage, une forme de respect envers autrui mais aussi et surtout envers soi-même. Et ça, Sarah l'a bien compris et ça la rend encore plus belle. Une beauté de l'âme qui la place d'ailleurs directement au-dessus de ses prétendues amies au bonheur illusoire. D'autant plus que les vérités déconcertantes qui sortent de sa bouche lui confèrent une certaine maturité, même si elle semble insouciante et irresponsable au premier abord. L'honnêteté n'est-elle pas une forme de maturité ?


Autres arguments intéressants : le casting, composé entre autres d'Évelyne Brochu, aperçue dans la série Orphan Black et d'Anne Dorval, qui a déjà fait plusieurs apparitions chez Xavier Dolan. À propos, la patte Dolan est étrangement omniprésente tout au long de ce court-métrage. Impression confirmée par la fiche technique. Je vous laisse deviner qui était au montage.


En définitive, l'oeuvre de Monia Chokri dépeint le portrait d'une team de nanas qui se complaisent dans le luxe, la luxure et tout ce qu'il y a de plus superficiel. Des poupées gonflantes lisses et en apparence bien dans leurs talons alors qu'elles n'incarnent finalement que fausseté et immaturité. À l'instar de ces midinettes qui ne jurent que par les apparences, il y a Sarah qui a choisi de ne pas répondre aux diktats de la société, à commencer par le mariage et les faux-semblants. Ainsi, elle a trouvé la clé pour être mieux dans sa peau : être entière, c'est-à-dire sans restriction quant à sa pensée et à sa personnalité. En sortant de sa zone de confort, elle a saisi qu'atteindre l'épanouissement personnel nécessitait de rester fidèle à soi-même, même si cela devait passer par une phase de destruction constructive de ce qui l'entoure. Au départ sujette à des angoisses et à un manque de confiance en elle, elle n'a pas l'assurance de ses copines prétentieuses mais ça n’a pas d’importance puisqu’elle est dotée d'une intelligence supérieure à la normale, avec ce petit truc en plus : c'est Quelqu'un d'extraordinaire.


Court-métrage disponible sur le site d'Arte : "Quelqu'un d'extraordinaire" de Monia Chokri

MinaDaniele
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le 18 oct. 2015

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Mina Daniele

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