Ecologiquement vôtre ou le bal des rendez-vous manqués

Au chapitre 13 de Casino Royale, on peut lire: "Bond abandonna Le Chiffres à ses affres. Son neuf ne pouvait être battu: il pouvait seulement être égalisé si le banquier tirait un 6". Au succès de Casino Royale succède le faiblard Quantum of solace qui peine à rendre égaux l'ancien et le nouveau Bond. La revanche des classiques qui amènera progressivement Skyfall et Spectre à un retour difficile aux sources. Quantum of solace est donc une traversée du désert au sens propre comme au sens figuré, un quantum de déception qui donnera son nom aux trophées des perdants pour les jeux dérivés de la franchise cinématographique. Un film que Daniel qualifiera plus ou moins de "bouse" et qui lui a donner envie de quitter très tôt la saga et le smoking de 007. Un film qui ne sera présenté en France que par Roger Moore, seul vrai défenseur alors du film.
Et pourtant, Quantum est un excellent James Bond! Un excellent James Bond qui n'a pas su tirer les bonnes gâchettes et qui a tiré, hélas, à blanc.


Un titre complexe


Un des problèmes majeurs du film, c'est son titre, qui fait office de porte de l'Enfer de Dante. Du latin et de l'ancien français miraculeusement mis ensemble et sauvegardés dans un niveau recherché de la langue anglaise. De quoi faire frémir les moins connaisseurs.
Quantum signifie ici degré, solace (qu'on trouvait en français dans solaz et le verbe solacier) signifie divertissement, réconfort. Un degré de réconfort. Un beau titre, incompris.
Néanmoins, c'est un titre de Fleming. Mais sont-ils tous bons à prendre? Que diriez-vous, par exemple, d'un film intitulé Motel 007, kitsch au possible?
Quant à la traduction française du titre romanesque, Chaleur humaine, elle montre bien l'intérêt de ce titre après la fin tragique de Vesper dans Casino Royale mais éloigne le titre du canon bondien.


L'antichambre du film: le gunbarrel, le pré-générique et le générique


Un James Bond s'ouvre une séquence dite de Gunbarrel, c'est son "il était une fois", son incipit sacramental, qui nous plonge dans l'univers si particulier de Mr Kiss-Kiss-Bang-Bang. Quantum ne s'ouvre pas avec lui: il se ferme avec lui. Le spectateur pense enfin en fin de film: "Mince, oui, c'est vrai! C'était un James Bond!" ... trop tard. Le paradoxe veut que la dernière réplique avant le générique soit "Terminus". Le film serait-il inversé volontairement? Mais dans quel but? Nous voici perdus... D'autant que Forster prétend que son soleil rond de début de générique est à comprendre comme un Gunbarrel métaphorique. Une métaphore d'une métaphore, le vertige des prétextes du nouveau Bond n'en finit pas.
La scène pré-générique semble avoir bien amusé l'humoriste Mozinor qui y fait mourir 007 dans Licence to die. En clin d'oeil à l'entrée en scène de Bond dans Au service secret de Sa Majesté et à l'état de la voiture de Bond à Paris dans Dangereusement vôtre, elle permet clairement de comprendre que les événements suivent directement le final de Casino Royale. Mais il ne s'y passe rien qui n'eût pas eu sa place après le générique. De plus, elle est très (trop?) rapide.
Le plus gros dommage reste le générique. Il s'agit sans doute de la plus grosse erreur du film. Préférant les vedettes très actuelles Jack White et Alicia Keys, changés en adolescents muant pour l'occasion, on a sacrifié l'historique abonnée aux génériques de la saga, j'ai nommé Shirley Bassey (Goldfinger, Diamonds are forever, Moonraker). Les premiers offrent une prestation décevante, digne de lycéens bourrés dans un garage, en totale rupture avec les codes classiques pour une chanson plus en rapport avec Meurs un autre jour qu'avec Quantum of solace: Another way to die. La seconde, dont on ne retrouve que subtilement, attentivement, le thème en filigrane dans certains mouvements musicaux du film, offrait l'émouvante No good about goodbye qui aurait même pu devenir le titre du film. Une chanson plus profonde, plus en rapport avec l'intrigue et en total accord avec les codes. S'il est vrai qu'il est difficile de placer Quantum of solace dans une chanson, White-Keys ne placent aucun de ces mots, Bassey cumule les "solace" de façon très cohérente. Il était intelligent en 1965 de refuser le Mr Kiss-Kiss-Bang-Bang de Sirley Bassey au profit du plus codé Thunderball de Tom Jones, il était plus judicieux en 2008 de favoriser No good about goodbye face à Another way to die.


Années, chiffres et symbolique


Autre rendez-vous manqué de ce film: sa date de sortie.
Quantum a battu un record, celui de la brièveté de volet, dépassant Goldfinger invaincu depuis 1964, et s'opposant en cela à Casino Royale. Mais Goldfinger gère très bien son temps, Casino Royale semble bien plus court: sur le ressenti, Quantum plus court qu'eux semble bien plus long. Au point que beaucoup de témoignage assuraient que le film provoquait l'endormissement.
Il y a donc une mauvaise gestion du temps ou un mauvais rythme. Mais surtout, et c'est là le plus grave, un film très court qui eût pu sortir un an plus tôt.
Pourquoi un an plus tôt? Parce qu'il s'agit du deuxième volet d'un nouveau James Bond, plus proche du littéraire et plus performant que l'ancien. En sortant l'année qui suivait la sortie de Casino Royale, Quantum rivalisait avec les 4 premiers James Bond de l'ancien, sortis d'un sur l'autre. Et en termes de symbolique chiffrée, il sortait en 2007. Soit 2 comme le deuxième volet du Nouveau Bond, lui-même deuxième départ de la saga. Suivi de 007, le matricule de James Bond. Une coïncidence qui aurait sûrement pu faire oublier les autres rendez-vous manqués de Quantum of solace.


Un complot écolo et politique


Quantum of solace a su ne pas tomber dans l'un des travers du Bond de Daniel Craig: l'auto-psychanalyse héritée des romans. Le complot est bien plus effrayant et menace le monde, pas uniquement M, le MI6 ou Bond lui-même. Plus ancré dans des inquiétudes du monde actuel, il prend note des pénuries d'eau que Dominic Greene, le méchant de ce volet, qualifie à juste titre de "substance la plus précieuse au monde". L'antagoniste de Bond souhaite contrôler le plus possible d'eau, ce qui fait de lui et de son organisation les Maîtres de l'économie mondiale, c'est à dire du monde, et ce de façon très concrète et très réaliste. C'est un très bon point du film sauf qu'il est présenté à la façon de Home d'Arthus-Bertrand et même comme un clip de l'UNICEF dénonçant la pauvreté en eau des suds, en l'occurrence de la Bolivie qui les représente tous. A l'instar du repaire de Medrano, l'associé du méchant, du nom de la Perle des dunes, un sensemble hôtelier alimenté en électricité par un système écologique qui se nourrit du soleil mais qui montre ses limites très vite: l'énergie instable permet à Bond de détruire ce repaire.
En somme, la question écologique et énergétique est traitée avec plus d'intérêt voire d'intelligence, sans tomber dans le documentaire, avec L'Homme au pistolet d'or, son sol-X et son repaire solaire.
Complot politique aussi puisque, plus que dans Permis de tuer, Bond se fait l'ennemi de son propre service. Bond se trouve seul face au MI6, à la CIA et Félix Leiter, seul rebelle face à un Greene qui par machiavélisme devient la relation bandit à avoir dans son carnet d'adresse. Point très fort du film qui donne hélas lieu qu'à un pastiche de Hunt poursuivi par la IMF dans Mission: impossible 3, un clin d'oeil discutable à Goldfinger et finalement un discours moralisateur inversé de Tim Pingott-Smith (V for vendetta, Johnny English) relégué à une scène, soit très mal utilisé.


Un James Bond intello et littéraire


Sean Connery qualifiait les films de James Bond comme un divertissement de qualité. Cela ne signifiait pas dans son esprit un James Bond chorégraphié sur la Tosca de Puccini. Marc Foster a eu la bonne idée de rapprocher les événements politiques qui concernent Camille Montès, la James Bond girl de ce film, qui cherche à venger ses parents en tuant leur meurtrier, Medrano, le chef militaire que Greene veut mettre à la présidence de la Bolivie. Mais les liens, pas toujours clairs, se font dans dans la juxtaposition épileptique de scène de l'opéra de Brégence et des coulisse où Bond affronte les hommes de Greene. Le décalage pourrait créer l'humour et prendre le pas si la situation n'était pas prise au sérieux. Ce qui est hélas le cas. Comme dirait Mr White: "Tosca n'est pas du goût de tout le monde!"
James Bond, le reboot le voulait plus proche des romans. Chose faite avec la reprise du discours sur le Bien et le Mal qui se confondent. Un discours tenu par Mathis, tout droit sorti de Casino Royale hors de la bouche de ... de James Bond ...
Mais pour ce qui est de Mathis, entériner son adoption par la saga cinématographique était une idée excellente. Le faire mourir vers la fin du second volet était une idiotie sans nom qui a largement contribué à porter préjudice au film.
Le vrai problème ne vient pas que de ces enfreintes aux romans. Il vient de ce que Bond n'est plus Bond - à quelques excellentes scènes près - mais plutôt Jason Bourne. Scènes de combat (Slate était le meilleur exemple), scènes de poursuites, tout y est plus bournien que bondien, jusqu'à la patine du film. Ce n'est pas en s'aliénant que Bond restera ou deviendra Bond. Cet aspect bournien très discret dans Casino Royale (la scène finale) est trop présent dans ce nouvel opus, ce qui explique entre autres choses le peu d'originalité dans le physique des méchants. On regrettera par exemple qu'une des plus jouissive scène du film, celle où Bond disperse une réunion secrète pendant la représentation de Tosca en intervenant sur le réseau de discussion de Greene ("Puis-je donner un avis?"), soit pensée en référence à la fin de la Mort dans la peau. Bond, sniper en main, comme le rappelle l'ombre sur l'affiche teaser de Quantum of solace, c'est un Bond bournien.


Un méchant moderne


Un méchant moderne. C'est ainsi que Mathieu Amalric (Le Scaphandre et le papillon) qui interprète Dominic Greene présente son personnage. Aucune particularité physique, le portrait du financier au-dessus de tous les partis. Le Chiffre version Jason Bourne.
Moins intelligent que son personnage, moins inspiré aussi, Mathieu Amalric, que l'on veut le disciple de Michael Londasle (Hugo Drax dans Moonraker), a décidé de présenter son personnage en fonction de ses orientations politiques, clamant à qui voulait l'entendre qu'il imitait Nicolas Sarkozy. Le caractère nerveux de ce dernier tranche pourtant avec celui amorphe de Greene qui entre en scène, tel un personnage de téléfilm du samedi soir sur France 3, des tickets de caisse à la main, faisant sans doute sa comptabilité. Amorphe, il ne l'est pas vraiment. Greene est plutôt du genre sournois et imprévisible, comme une scène de tentative de meurtre sur Camille Montès et le combat final avec Bond, hurlant hache à la main, le montrent bien. Greene est un excellent méchant de James Bond développé trop tardivement dans la diégèse. Un Drax manqué.


"Où sont les femmes ?" (air connu)


Autre rendez-vous manqué de Quantum: les James Bond girls.
Trois excellentes James Bond girls mal exploitées.
La plus importante, Olga Kurylenko (Le Serpent), qui campe Camille Montès, perd beaucoup de son glamour à cause d'une brûlure cutanée de son personnage, expliquée trop tard dans l'intrigue.
La seconde, qui aurait pu être la plus importante, Gemma Arterton (Tamara Drew), joue un personnage intéressant dont on ignore le prénom, que l'on ne découvre que dans les crédits:


Strawberry Fields, en clin d'oeil à une chanson homonyme des Beetles que Bond n'écoute qu'avec des boules Quies, à en suivre son discours dans Goldfinger.


Personnage jouissif qui sauve le film, seul rendez-vous non manqué, l'agent Fields est un néon qui dit "GOLDFINGER! GOLDFINGER! GOLDFINGER!". Mais il aurait pu être donné à la dernière James Bond girl du film pour permettre à Gemma Arterton de jouer l'agent Eve qui, en fin de volet suivant, s'avérerait être Miss Moneypenny.
La dernière James Bond girl est la moins bien exploitée. Il s'agit de Stana Katic (Castle) qui, dans sa minuscule minute de présence à l'écran, joue à la perfection des sentiments aussi différents que le défi, le mépris, la révélation et la gratitude. Bien meilleure que les deux actrices précédentes, elle aurait dû avoir un rôle plus étoffé, une piste narrative laissant plus de place à son personnage que l'on retrouverait sauvé par Bond en fin de film. Elle aurait pu être à ce titre l'agent Fields.


A l'ombre de la haine: le réalisateur Marc Foster


Difficile de passer après Martin Campbell !
Marc Foster, plus connu pour des films comme Neverland, Le Scaphandre et le papillon, A l'ombre de la haine, semble s'être perdu dans un James Bond qu'il intellectualise à l'en faire passer pour une production d'Arté.
Lâchés par les scénaristes, grève oblige, Foster et Craig ont fait de leur mieux pour sauver un film construit au gré des vents et des tempêtes, cumulant les références à leurs anciens volets favoris (Goldfinger, L'Espion qui m'aimait, Au service secret de Sa Majesté, Dangereusement vôtre, Permis de tuer, Tuer n'est pas jouer) tout en construisant un Bond parfait qui se perd dans l'esprit bournien et dans les choix les moins pertinents qui ne viennent pas étayer et consolider le fragile édifice de ce qui aurait pu être un chef-d'oeuvre.
Le Bal des rendez-vous manqués: terminus.

Créée

le 11 juil. 2016

Critique lue 518 fois

Frenhofer

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