L’exercice est finalement bien plus délicat qu’il y parait.
Expliquer que l’on n’a pas apprécié une seule des 94 minutes d’un film qui a rencontré un tel écho à travers le pays fait facilement mauvais genre. En de pareil cas, l’avis dédaigneux drape celui qui l’émet d’un tissu de snobisme bon teint, conférant au jugement une forme de suffisance de celui qui, seul, voit plus loin, plus haut, plus large.


Promis pourtant, je ne songerais pas une seule seconde à jeter l’opprobre sur tous ceux, et ils sont nombreux, qui m’ont vanté les multiples bonnes scènes du film. Mon aversion est toute entière personnelle, solitaire, centripète.
Au fond, je n’ai peut-être pas sereinement mais copieusement détesté "qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu" pour les raisons attendues.


Traîner sur les (théâtres de) boulevards


Non, je n’ai pas éprouvé un si épais ennui (à en peindre à la salive de fourmi un baobab avec une allumette consumée) juste pour faire genre. Croyez-moi, j’aurai préféré être agréablement surpris.


Non, ce n’est pas l’idée d’un racisme bon enfant universel (dont sont curieusement d’ailleurs épargnées les quatre filles du docteur machiste) qui m’a attristé outre mesure, même s’il y aurait pas mal de choses à dire.
(inverser les codes des préjugés suffit-il à être subversif ?)
Mais baste ! Nous sommes dans la comédie, ne comptons pas les poils dans le nez du Bobtail, admettons l’improbable comme base de travail. Après tout, nous avons connu bien pire par ailleurs, et avons pu bien rire malgré tout.


La comédie, comme toute œuvre de genre, tire une partie essentielle de sa puissance dans le fait d’aborder son sujet par la bande. Un message n’est percutant que quand il affleure, contourne, virevolte autour de ses personnages et de ses situations, avant d’éventuellement s’abattre sur le fil du récit. De même, les plus puissants polars sont souvent ceux qui mettent en scène un univers inconnu du spectateur, et édifient ce dernier par la puissance de son réalisme exotique.
Dès le plus jeune âge, l’éclat de rire ne peut venir que de la surprise.


Ici, nous sommes dans l’exact opposé de ces quelques principes qui ont produit les plus prodigieux films des décennies passées. Tout est frontal, univoque, répétitif, balisé, souligné. Jamais un virage dans la courbe rectiligne d’une trame dessinée avec le double décimètre d’un apprenti humoriste besogneux, jamais un souffle ne vient aérer l’atmosphère confinée de la farce viciée. Pas une lueur d’autre chose, pas une esquisse de chemin de traverse, pas un espoir d’échappée. Rien.
Un machin écrasé de lumière comme un stade de foot sous quelques millions de kilowatt-heures, dans un quartier plongé dans l’obscurité d’une panne inexplicable.


Composer un numéro avec Clavier ?


Aucune scène, aucune réplique, aucune micro-péripétie ne parle d’autre chose que de l’unique ressort comique du film.
Nous voilà confrontés à une heure et demi d’un seul sketch dont aucun moment ne sera surprenant. Même la seule scène un peu inattendue du chien et du prépuce est tellement mal pensée, timée et montée qu’elle évacue toute drôlerie avant même d’advenir. Tous les gags sont téléguidés avec la finesse d’un Poutine mettant un pied en Crimée, soulignés par la grâce d’acteurs de stand-up qui cherchent chacun à tirer la standing ovation à soi.


Christian Clavier, aussi éloigné d’un numéro de composition que peut l’être le PSG d’un titre de champion d’Europe, est égal à lui-même.


Et puis il y a cette espèce de final crapoteux, faux suspens insipide, déjà mille fois subi, digne d’un téléfilm de TF1 période Dominque Cantien, qui tire ce long gag paresseux vers la conclusion du comique débutant qui ne sait manœuvrer que pataudement vers sa chute.


Se dire enfin que l’écho formidable qu’a rencontré le film de Philippe de Chauveron est possiblement dû au soulagement qu’a pu ressentir une partie de ses spectateurs (heureux de constater que la vision fainéante et simpliste d’un monde bâti sur des stéréotypes était une faiblesse largement partagée) peut ajouter à l’amertume générale.


Vous le voyez bien, toutes ces réserves n’ont finalement concouru qu’à une chose: me faire passer pour le pisse-froid que je décrivais en introduction, le peine-à-jouir sentencieux qui aime "se prendre la tête" là où tant préfèrent se la vider après une (toujours) terrible journée.
Tant pis. J’assume le stéréotype que vous pourriez avoir envie de me coller, acte vengeur instinctif qui vous ferait ressembler aux protagonistes du film si vous deviez céder à une telle facilité.
Mon désamour est aussi sincère qu’absolu. J’ai soupiré bien avant de rédiger, ai dû viscéralement subir avant de penser à écrire.


La distraction, papa, ça n’se commande pas.
Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des connards sauvages.

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le 26 sept. 2014

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guyness

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