Princesse Dragon
7.1
Princesse Dragon

Long-métrage d'animation de Jean-Jacques Denis et Anthony Roux (2021)

Le dragon qui vole et la princesse qui chante sont rêve l’un de l’autre.

Citation de...moi


Contrairement à ce que laisse comprendre les derniers mots de Princesse Dragon, je ne pense pas que le titre exprime une quelconque noblesse (au sens sociétal du terme) dans la personne de poil. Si on me demandait pourquoi Princesse Dragon, je dirais que cet agencement de mot, limite oximorique (le mythe de la princesse en détresse étant aux antipodes de celui du terrifiant dragon) sert à caractériser le développement parallèle des deux protagonistes : au début l’une n’est pas vraiment un dragon de par son apparence et l’autre pas vraiment une princesse de par son caractère, mais chacune va trouver la réponse à la question : Qui suis-je réellement ? en prenant ce qui fait la beauté de l’autre avec une Princesse moins enclin à la passivité, à de l’activisme de surface, et poil gagnera un vrai regard sur le monde, ce qui lui permettra de grandir. C’est en découvrant l’autre, et malgré les grands murs de pierres (montagne pour poil et forteresse pour Princesse) qui se dressent face à elles, que nos aventurières arrivent à devenir une Princesse Dragon.


Princesse Dragon nous parle donc dans un conte sylvain l’histoire d’intrépides petites filles qui viennent s’affirmer face à des réalités qui les dépassent dans le but d’atteindre un futur idyllique qui permettra à la fois au monde de guérir, mais également à ses acteurs de grandir. Ce qui différencie Princesse Dragon d’un Nausicaä de la vallée du vent ou d’un Peuple Loup c’est son regard : au lieu de donner un point de vue large, Anthony Roux (Tot) viens s’adresser directement aux enfants.
C’est à la fois l’une des forces du film, mais aussi sa plus grande faiblesse, tant il a l’air déconnecté du vrai public d’Ankama loin d’être à l’âge des dents de lait. Alors oui, on est très loin d’avoir la paillardise charmante et la finesse d’écriture d’un Dofus Livre 1, et peut-être que certains fans de la boite seront déçus par la trop grande légèreté du film, mais finalement, peut-être que ce Princesse Dragon est le meilleur moyen d’Ankama de se réaffirmer dans les salles après les 35 838 entrées de Mutafukaz et les moins de 100 000entrées de l’excellentissime Dofus (dont on attend tous la suite mais là n’est pas le propos). Et si Ankama a décidé de reprendre sa place de gros studio d’animation qu’on doit attendre au tournant avec ce Princesse Dragon, il faut souligner que c’est fait de la plus belle des manières.


On ne peut nier le vrai travail technique établi sur la forme par Ankama, notamment au niveau du style graphique qui fait beaucoup plus papier que dans ces précédentes productions. Alors certes, on perd ce mélange unique d’animation française inspirée manga vu dans Dofus, mais on y a gagné en poésie, et parfois même en détails comme le montre toutes ces expressions faciales juste sublimes, à commencer par le sourire mi monstrueux/mi enfantin de poil dans le premier Arc, ainsi que l’air faussement hautain de princesse durant leur première rencontre. Cette nouvelle charte graphique nous permet aussi d’admirer des plans magnifiques comme les courses poursuites sur les douves du château ou la beauté de la nature qui suit son cour, et que poil s’amuse à reproduire, un peu aussi pour comprendre où se trouve sa place ce monde. Mais Princesse Dragon ne serait pas un très bon film s’il ne faisait qu’émerveiller ses spectateurs, Anthony Roux et son équipe se sont amusés à coller beaucoup de sous-textes derrière. Et je n’oublie pas bien sûr les quelques combats proposés qui sont tous un spectacle visuel à la fois jouissif et rigolo, allant même jusqu’à envoyé le fidèle d’Albert dans un mur à la Bip Bip et Vil Coyote, de quoi raviver la flamme des amateur du Krosmos tout en amusant les tous jeunes néophytes.


Je laisse le soin à tout spectateur contrarié de vous expliqué en long, en large et en travers en quoi la redistribution équitable des masses seraient un échec pour le bon fonctionnement d’un pays, en quoi les soldats ne sont pas des fous qui fuient les bibliothèques, car même s’ils n’auraient pas tord, c’est hors de propos du film qui vise le symbolisme pour toucher les enfants, expliquant par la guerre la violence et cruauté et par le système économique mis en place à un manque de vertu et de compassion. C’était assez peu prévisible que l’opposition entre un monde fait de branchages et un autre fait de briques n’amène pas au thème du débat écologique, mais à celui de la lutte des classes. C’est beaucoup montré, de façon subtile par la taille démesurée des murailles qui surplombent toute la ville ou la claque d’Albert punie de mort là ou la dizaine de soldats cabossés par Poil sont ignorés, mais aussi de façon moins subtile par la scène du repas beaucoup trop copieux pour 3 enfants comparé au repas miteux du garde du corps qui a pourtant capturer l’ours, où Mimi qui est obligée de transporter tout le monde pour les amener dans une tour inutilement grande. Et c’est sans parler d’Albert qui a lui seul est le parfait homme de paille de la bourgeoisie critiquée : violente, machiste, cruelle mais paradoxalement faible et incapable, ce qui le rend forcément comique et ridicule. Sa première apparition le montre bien, avec ce marmot sur un cheval qui, comme tout le reste du château, est beaucoup trop grand pour lui.


Si on prend en compte cette thématique en plus des divers allusions à la violence (entre autre la peine de mort et la tentative d’assassinat d’Albert) on se rend vite compte que même si Princesse Dragon est une œuvre enfantine, elle ne s’est pas non plus bloquée dans des idées et un spectacle enfantin. Il y a une volonté de faire grandir le spectateur, de le mettre en garde face à certains comportement abusif, et notamment de la part d’un membre de la famille. Avec cette mentalité, Princesse Dragon évite l’affreux problème scénaristique que serait un retour au statut quo, indigne à l’évolution des deux jeunes filles. Ici les actes ont des conséquences et ça fait du bien de faire comprendre cela aux plus jeunes, notamment au vu des thèmes traités, parfois on ne peut juste pas revenir à « comme avant ».
C’est sans doute pour ça que je pardonne au film le fait qu’il n’apporte pas tout le temps une réponse concrète aux qu’il pose, comme pour dire aux enfants de trouver eux-même les réponses, un peu comme princesse va chercher la culture pour combattre l’impérialisme inébranlable de son géniteur. Et c’est pour ça que l’initiative de prendre Pomme pour le son est excellente, tant son univers colle avec cette idée de violence cachée derrière de la poésie, avec des musiques comme Ceux qui rêvent ou La lavande. Et même en général, la musique est d’une douceur agréable qui nous invite sans problème à rentrer dans le joli monde de Princesse Dragon. Niveau son, il faut aussi salué les interprétations impeccables de nos doubleurs, et notamment celles de Colette Venhard la Sorcenouille, Thomas Sagols l’insupportable Albert, Jérémie Covillault le dragon et Jean Christophe Dollé le fameux Fiduval.


Faire de Sorcenouille un personnage supérieur et surpuissant aurait pu être problématique si le scénariste n’avait pas eu la brillante idée d’en faire une narratrice non manichéenne, la rendant juste mystérieuse et dérangeante, une aura qui lui sied bien. Ses actions en feraient presque une métaphore du spectateur, à la fois relativement passif, observant la situation de loin, et active en punissant les mauvais pères. On pourrait même dire (avec pas mal de sur-interprétations) qu’en se transformant en carpeau comme supposé à l’image, le roi a perdu son rôle d’acteur en abandonnant tout pour sa soif de richesse.


J’ai esquivé la chose depuis le début de la critique, mais Princesse Dragon est avant tout un film qui parle de paternité, avec bien sûr l’opposition entre le roi qui délaisse sa fille au point de la renier , ne la considérant que comme un objet à marier et un père sur-protégeant sa fille, de par la symbolique du coffre au trésor mais ayant du mal à l’aimer quand l’éclat de son joyaux brille moins comme il le voudrait, faisant de poil un personnage assez faible mentalement, se recroquevillant dans sa coquille face à ses peurs, mais évoluant à chacune des épreuves causées par cette même peur, pour enfin pouvoir voler de ses propres ailes. Tout comme princesse, qui a réussit à se détacher de l’emprise de son père par son courage et sa culture, au point de renverser son emprise et d’arrêter d’être une princesse pour devenir une reine. Et quand on y pense, donner ce genre de messages dans un film vu par les enfants, mais de ce fait aussi leur parent, c’est une idée géniale, permettant peut être à certains de remettre leur comportement en cause, prouvant une fois de plus que Princesse Dragon va bien au-delà du simple film pour enfant mais est réellement un bon film d’un grand studio d’animation.


Alors oui, c’est vrai, on peut reprocher à Princesse Dragon une approche naïve, des thèmes qui n’aboutissent pas vraiment, un rythme parfois intense avec ses très courtes 1h10, mais je suis prêt à tout lui pardonné tant, une fois emporté par l’animation enchanteresse, ses personnages amicaux et ses musiques somptueuses, on n’y pense plus vraiment. D’accord Antony Roux n’a pas sorti un film aussi exceptionnel que Dofus Livre 1, mais quelque part, en s’agenouillant pour faire rire et réfléchir un enfant, n’a-t-il pas donné un message aussi puissant qu’Ankama n’a pas dit son dernier mot ? Et que comme poil, l’entreprise passera les douleurs une à une, pour pouvoir voler, pour que tous les enfants puissent lever les yeux au ciel et les contempler, des rêves pleins la tête.



Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que des princesses qui
attendent de nous voir heureux ou courageux



Citation de Rainer Maria Rike

Créée

le 16 déc. 2021

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Lordlyonor

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