Celui qui dort depuis si longtemps va se réveiller


“Des amis de Job voulant récompenser les bons et punir les méchants,
aux chercheurs des années 30 prouvant avec horreur que tout ne peut
être prouvé, l’homme a cherché à ordonner l’univers. Mais il a fait
une surprenante découverte. Il y a bien un ordre régissant l’univers,
mais ce n’est pas du tout ce qu’il imaginait.”



Un prêtre meurt. Un de ses collègues (interprété par un Donald Pleasence que Carpenter retrouve avec plaisir pour la troisième fois après Halloween et New-York 1997) découvre que ce prêtre faisait partie d’une étrange congrégation, La Confrérie du Sommeil, qui était chargée de surveiller un sarcophage enfoui dans la crypte d’une église abandonnée.
Prince des ténèbres est avant tout un régal d’horreur, où l’on sent que le cinéaste a tout fait pour se (et nous) faire plaisir. Avec son efficacité coutumière, il ne faut pas longtemps à John Carpenter pour implanter son ambiance angoissante. Sa musique, son choix de décors et sa façon de les filmer, ce sarcophage entouré de crucifix, avec son liquide verdâtre et tournoyant, et Alice Cooper en SDF dont l’esprit est manipulé par une puissance infernale : c’est par un assemblage de petites notes, de détails savamment choisis, que le réalisateur nous entraîne inexorablement vers l’horreur.
D’ailleurs, Prince des ténèbres est construit sur un crescendo remarquable. La première demi-heure laisse surtout la place à une énigme et à l’installation d’une ambiance anxiogène. Lors de la deuxième demi-heure, la tension augmente et le “Mal” passe à l’action, avant un final sous forme de feu d’artifice horrifique.


L’horreur de Prince des ténèbres emprunte volontiers ses thèmes à Lovecraft.
Le film de John Carpenter s’appuie sur l’idée d’un être maléfique emprisonné depuis des temps immémoriaux et qui va, très prochainement, sortir de son sarcophage ; à ce sujet, le prêtre qui meurt au début du film a écrit, dans son journal, la plus lovecraftienne des phrases :



“Celui qui dort depuis si longtemps va bientôt se réveiller”



Le christianisme est ainsi réinterprété en mode “Grands Anciens” : Jésus et Satan auraient été des êtres surhumains extraterrestres ayant foulé le sol de notre planète bien avant l’existence des hommes. La religion cache des vérités horribles en les présentant de façon aseptisée, et il faut savoir lire à travers les mythes bibliques pour retrouver les faits oubliés depuis des temps ancestraux.
C’est là tout le talent de Carpenter de réussir à nous faire ressentir la présence de ce mal sans nous le montrer. Ce sarcophage et son liquide verdâtre sont absolument terrifiants car on y sent, réellement, une existence surnaturelle. Carpenter, même avec un budget plus conséquent, n’a rien perdu de sa capacité à instaurer une ambiance glauque à partir de peu de choses.


Bien entendu, pour poursuivre dans cette voie lovecraftienne, la vérité est contenue dans un livre ancestral qu’il va falloir décrypter. Cette vérité se révèle tellement horrible qu’elle est indescriptible, inadmissible pour notre esprit humain.
Si cette vérité est aussi horrible, c’est qu’elle va à l’encontre de tout ce que notre raison perçoit comme logique. Avec ce Prince des ténèbres, le temps ne s’écoule plus correctement, passé et futur s’entremêlent ; les liquides coulent vers le haut, etc. L’insistance sur la physique quantique, pendant la première partie du film, permet d’installer un monde où la logique traditionnelle ne s’applique plus. Ainsi, l’horreur du Prince des ténèbres n’est pas seulement physique, elle est aussi intellectuelle, elle nous oblige à abandonner une conception scientifique raisonnée (et tranquillisante) de l’univers vieille de plusieurs milliers d’années.


Une des réussites de ce film consiste à montrer les humains comme des êtres faibles, incapables de résister à la puissance du mal qu’il doivent affronter. Ce prince des ténèbres n’est pas encore libéré, mais son influence s’exerce déjà sur les personnes autour de lui, qu’ils soient marginalisés socialement ou qu’ils fassent partie de l’équipe de scientifiques chargée de l’étudier.
Cette influence du mal s’exerce bien au-delà des êtres humains, d’ailleurs. C’est l’ensemble de la nature qui est touchée. D’ailleurs, le scénario du film associe la religion, qui lui donne une dimension universelle, cosmique, et la physique quantique, qui agit plutôt au domaine subatomique ; ainsi, c’est l’ensemble de la création qui est touchée, depuis l’infiniment grand jusque l’infiniment petit. L’horreur est anti-naturelle car elle atteint le cours normal du fonctionnement de l’univers et le remet en cause.



“Vous le ressentez ? ça a commencé il y a un mois. La terre change. Et
le ciel. Son pouvoir.”



Ainsi, le soleil et la lune sont réunis, des bestioles diverses et variées, gluantes et grouillantes, prolifèrent et semblent agresser les humains.
Ainsi, le Prince des ténèbres n’est pas seulement le combat d’une poignée d’humains comme un démon : Carpenter, avec beaucoup d’intelligence, donne un caractère proprement apocalyptique à son film, mettant en jeu l’ensemble de la Création.
C’est cette puissance évocatrice hors du commun, associée à une qualité rare pour faire naître une ambiance, qui donne au Prince des ténèbres ses lettres de noblesse et en fait, en plus d’une des meilleures oeuvres de Carpenter, un des plus grands films d’horreur jamais réalisés.


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le 27 sept. 2020

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