Du flubber dans tes dents
Sacré moment horrifique à l'atmosphère oppressante et malsaine, qui encore aujourd'hui s'avère être d'une efficacité redoutable. Big John prouve une nouvelle fois qu'il est un excellent faiseur et se contente d'investir un seul lieu pour nous en mettre plein les mirettes. Des séquences de tension savamment mises en scène aux quelques plongées dans le monde extérieur, peuplé de clodos zombies des plus effrayants, il enrobe son film d'une noirceur totale qui n'a d'égal que le désespoir qui s'étire de son début à sa fin sans compromis. On y sent d'ailleurs une vraie douleur, qui prend à la gorge et se fait chemin avec force dès que s'introduit dans l'histoire ce concept du mal le plus total. A partir du moment où la visqueuse présence se met en action, on plonge pieds et poings liés dans une suite d'évènements qui nous semble inarrêtable tant les humains sont dépassés par ce qui se joue devant leur yeux. A ce titre, la fin surprendra le plus aguerri des spectateurs, inattendue car porteuse d'un espoir qui ne semblait plus possible.
Cette noirceur extrême qui habite la bobine est due à l'écriture efficace qui la caractérise. En confrontant science et religion, en les mêlant même, sans jamais prendre parti pour l'un ou l'autre camp, qui pour une fois ne se confronte pas mais font force commune vers un même objectif, Carpenter pose seulement la question du mal et de son origine. Le propos à de quoi surprendre et est traité avec tellement de sérieux qu'on se sent assez mal à l'aise à de multiples reprises. D'autant plus que personne parmi tous les personnages en présence, et ce malgré leurs esprits vifs et aguerris, n'émerge en tant que leader, ou tout au moins porteur de réponse. Tous semblent complètement dépassés, partagés entre le refus de croire ce qui met en péril leur esprit cartésien et acceptation d'une vérité qui échapperait à leur compréhension de l'univers. Dès lors, il n'y a plus à réfléchir, si personne, qu'il soit expert en science ou religion, n'a de réponse à apporter, de pistes à proposer, nous ne pourrons en trouver. C'est donc aussi impuissant que les personnages, pris au piège dans deux pièces étriquées, que Big John nous porte le coup fatal lors d'un final très puissant.
Prince des ténèbres est une oeuvre qui correspond bien à son auteur, dans le sens où elle est sans compromis et très singulière. Indéniablement marquée par ce côté peu généreux en réponses, elle nous laisse le soin de nous faire les nôtres, après avoir assisté à un dénouement brutal qui nous marquera longtemps après la séance.