Dans Le prince des ténèbres de Carpenter, la phénoménologie est partout, et s'immisce jusque dans les relations intimes. À l'image de ce dialogue post-coitum entre deux individus consentants :
_ Je peux te dire quelque chose, demande le garçon.
_Non s'il te plaît, répond l'objet de son désir, pas de déclarations hâtives.
_ ... Je n'étais peut-être pas sur le point de t'en faire.
_Dans ce cas, dit-elle un peu déçue, je préfère ne pas le savoir.
On reconnaît ici la fameuse théorie des potentialités quantiques, à l'image du chat de Schrödinger qui, tant que l'on n'ouvre pas sa boîte, est à la fois mort et vivant (à condition d'avoir bien pensé aux petits trous dans le carton).
En phénoménologie comme dans beaucoup de films d'horreur, c'est moins le "chat dans la boite" qui nous intéresse, que les schémas de pensée de l'homme qui se penche sur la boîte et ce qu'elle contient.
Il y a rencontre avec la boîte d'abord, puis Réduction (qui revient à admettre uniquement ce qui ne relève pas de l'abstraction), puis Constitution.
Pour aider à la compréhension, on peut rappeler la manière absurde avec laquelle la Réduction est mise en scène dans Dark star, le premier film de Carpenter.
Dans Dark star, une bombe intelligente reçoit un malencontreux signal électrique qui déclenche sa procédure d'autodestruction. Le capitaine, décidé à sauver sa vie et celle de son équipage, tente de démontrer à la machine le doute philosophique sous sa forme radicale telle que l'entend la phénoménologie, et de lui faire admettre ainsi que, malgré les apparences, les conditions ne sont peut-être pas réunies à l'accomplissement de ce pourquoi elle existe (faire boom) : il n'y a pas de certitude que le monde soit à l'image des informations qu'elle reçoit, lui explique-t-il, seul existe pour elle la certitude d'exister (je pense donc je suis).
_Toi non plus, lui répond la bombe, je ne peux pas être sûr que tu existes.
_Il est vrai, mais le concept que je démontre reste valide. Tu n'as aucune certitude que le signal reçu corresponde à une véritable nécessité d'exploser.
_Prouve-moi alors que c'est faux, dit la bombe.
_Prouve-moi que c'est vrai, réponds le capitaine.
Et hop la bombe se retire pour y réfléchir.
La phénoménologie, pour résumer, vise à appréhender les phénomènes dans leur plus simple expression et à remonter au fondement de la relation intentionnelle : autrement dit au fondement des mécaniques de réflexion dans lesquelles se retrouve plongé le sujet qui doute de l'image qu'il se fait du monde.
Husserl met en évidence la multiplicité des modes intentionnels qui gouvernent notre relation au monde : pensée, perception, imagination, volonté, affectivité, impression, rêve, etc... sont tous des modes différents par lesquels notre subjectivité opère. Chaque chose, à chaque fois, pour chaque homme, a une apparence différente. Husserl ne verse pas pour autant dans le relativisme bien au contraire puisqu'il affirme que la corrélation subjective est une nécessité d'essence.
Ainsi, la réduction va suspendre momentanément (ou neutraliser) la thèse du chat, suspendre la question de son état quantique, pour saisir ce que signifie exister à proximité du chat, dont on ne peut pas douter, soit-il mort ou vivant, qu'il existe. Comme dirait la petite actrice bizarre d'Hérédité : « My définition of horror is anything that make someone look behind them and really realise what it is to be near a dead-alive cat. »
La phénoménologie oppose les relations intentionnelles : pensée, perception, imagination, volonté, affectivité, impression, rêve, etc... aux attitudes naturelles : s'apercevoir de, agir, théoriser, désirer, aimer etc... pour lesquelles le monde est toujours pré-donné, présupposé, et qui implique des cultures, des modes de vie, des croyances.
C'est exactement l'ambition des physiciens exaltés de ce film, qui vont bien entendu tomber sur un phénomène vert, gluant et agressif qui renverra tout ce qui leur restait de vérités transcendantales au placard. Tout le monde devra bien prendre progressivement la posture de oui bon la c'est n'importe quoi je comprends plus rien. Même le curé devra admettre que oui, mettre le fondement du mal dans le cœur de l'homme était un mensonge délibéré, pour éviter de devoir expliquer à la populace l'existence de créatures des enfers télékinésistes vouées à faire régner le chaos et la destruction.
C'est tout un rapport au monde qui est à repenser depuis le début, et je vous incite pour partir sur des bases saines à fouiner du côté de Sylvain Duriff.
Pour conclure, et au risque à ce point d'extrapoler, le film fait explicitement référence au chat de Schrödinger, mais peut-être pas de manière suffisamment explicite pour que l'on repère toutes les références implicites. Il y a tout un retournement à différentes échelles, autour duquel l'équipe et les personnages, venus observer quelque chose dont ils doutent de la nature vivante, se retrouvent à leur tour cloitrés, enfermés et observés, dans une ambiance diabolique voir ironique ou la vie semble en permanence côtoyer la charogne. Un petit carton au départ type : Tel est le chat qui se croyait Schrödinger, nous aurait peut-être permis de nous tenir davantage à l'affût des diverses déclinaisons que fait Carpenter de ce concept. Car il est vrai qu'en attendant, tout le verbiage scientifique du film prend des allures de remplissage gratuit
(ce que, aux dires de @Jéjé fait son bagou, ce serait en grande partie...).