Comme lors de sa sortie originale, PRINCE DES TÉNÈBRES suit de quelques mois celle, réjouissante, des Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin et précède le cultissime Invasion Los Angeles attendu le 2 janvier prochain.


L’occasion de redécouvrir un film de genre imparfait, mais revanchard et diablement malin, qui plonge au cœur du fantastique avec quelques escarmouches S.F. et un doigt de mécanique quantique. Sur un budget ridicule, John Carpenter fait pourtant preuve d’une maîtrise narrative et visuelle constante, sur le fil du rasoir, et offre une nouvelle preuve de son importance dans un système hollywoodien dont il allait peu à peu être exclu, faute de véritable succès. À l’instar d’un Joe Dante avec qui il partage nombre de points communs, le réalisateur (scénariste et compositeur) livre ici une véritable lettre d’amour au genre sous-estimé de la série B.


« Le dormeur doit se réveiller » : si la sentence peut raisonner comme un écho à l’univers de Dune, PRINCE DES TÉNÈBRES n’a pourtant rien à voir avec l’œuvre de Frank Herbert. Qu’on se le dise. Flashback : pour son dixième long métrage, John Carpenter (même pas 40 piges à l’époque) doit composer avec le bide public et critique abandonné par Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin (1986) suite, notamment, à un travail promotionnel saboté par la 20th Century Fox. Un poil remonté aux entournures, le cinéaste se lance alors dans ce qui s’avérera le second volet de sa trilogie officielle de la « fin du monde » entamée avec The thing (1982) et qu’il achèvera plus tard avec L’Antre de la Folie (1995). Certains critiques y verront également le premier volet d’une autre trilogie (décidément) fondée sur la mécanique quantique, un sujet qui passionne notre ami, et complétée cette fois par Invasion L.A. (1988) et, encore une fois, L’Antre de la Folie. Qu’importe ! Doté d’un budget dérisoire de 3 millions de dollars, tourné à Los Angeles en 30 jours seulement, PRINCE DES TÉNÈBRES sera le premier des trois films réalisés pour Alive Pictures (propriété de Universal) avec un total contrôle créatif, final cut compris.


Les mains libres, John Carpenter ne va donc rien s’épargner. En reprenant quelques uns de ses thèmes de prédilections tels que la paranoïa, l’enfermement des protagonistes, la peur incarnée ou ressentie, le film va déployer un fil narratif classique opposant le Bien contre le Mal afin de livrer une des visions les plus sombres et pessimistes de l’œuvre de Carpenter. Pour faire court, nos héros sont une poignée d’étudiants guidés par un prof un poil mystique (Victor Wong) venus aider le père Loomis (patronyme clin d’œil au professeur de Halloween), un prêtre en déréliction interprété par un Donald Pleasance convaincant même dans sa théâtralité. Nos amis se retrouvent alors enfermés dans une vieille église où le mal absolu attend de se réincarner pour la fin de toutes choses. Isolé, traqué, le petit groupe essaye de survivre à l’attaque de clochards insectivores (menés par Alice Cooper) et à ce fichu Anti-Dieu, bien résolu à remettre le boxon après 2000 ans de sieste. Le but est donc simple : sauver l’humanité. Rien que ça ! Entre temps, une petite romance s’amorce (histoire de) entre le moustachu Brian Marsh interprété par Jameson Parker dont la ressemblance avec le cinéaste n’est pas fortuite, et Catherine Danforth (Lisa Blount)… tout cela alors que l’Armageddon s’annonce sous de multiples formes.


La joyeuse bande décide donc de travailler son missel autant que ses équations, à base de calculs savants, d’ordinateurs et de messages télépathiques venus du futur. John Carpenter s’amuse, lui, à assembler toutes les pièces de ce puzzle horrifique avec son talent habituel : construction rigoureuse des cadres et travellings élégants dans lesquels il cloisonne ses protagonistes, pris au piège, avec la même méticulosité que son maître Howard Hawks avec lequel il entretien un rapport affectif pour le western. À tel point que tous ses films seraient, selon lui, une variation de ce genre fondateur. Avec un peu de George Romero (notamment le discours entre morts vivants et politique) et de Dario Argento pour le sens de la flamboyance colorée, le style minimaliste et « invisible » de Carpenter prend ici tout son sens, avec cette envie, constante, de l’efficacité et de l’effet réussi sans en faire des tonnes. Si le réalisateur se laisse parfois aller à flirter avec la grandiloquence (certains effets paraissent en effet un peu faciles), il parvient à suivre sa ligne narrative avec une foi inébranlable pour le pulp et la série B élevée au rang d’art majeur. La musique qu’il a composée (comme pour la plupart de ses films) est en cela symptomatique – le patron l’Exorciste en ligne de mire, avec ses nappes obsédantes que certains pourraient assimiler à un gimmick trop facile.


Pour autant, le film distille quelques scènes d’anthologie. Dans cette église oubliée du monde, isolée, comme si le reste de l’humanité s’y trouvait confiné, le casting de comédiens quasi inconnus à l’exception d’une poignée, ajoute au suspense de ce qui pourrait leur advenir. Tout cela palpite, oppresse dans une claustrophobie qui monte crescendo avant d’aboutir à un final charbonneux, presque nihiliste, et un dernier plan qui nous renvoie, dans un ultime sursaut, à l’idée d’un monde inversé, de l’autre côté du miroir. Une référence quantique à Lewis Caroll qui sera une base de travail pour nombre de futurs réalisateurs et jusqu’au principe même de Stranger Things (2016) dont l’univers du cinéaste reste une des inspirations les plus explicites.


Malgré sa construction parfaitement agencée en trois actes et sa concision (une heure et demie seulement), le film ne rencontrera pas de véritable succès mais s’avérera rentable. La critique sera quant à elle acerbe même si le film se verra réhabilité, comme souvent avec la filmographie chaotique de John Carpenter, faisant de ce PRINCE DES TÉNÈBRES une œuvre de genre maîtrisée qui lui donnera du grain à moudre pour la suite et notamment le très énervé Invasion Los Angeles, produit dans les mêmes conditions et qui sortira l’année suivante. Mais ceci est une autre histoire…


Cyrille DELANLSSAYS


https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/ressortie-du-prince-des-tenebres-une-veritable-lettre-damour-a-la-serie-b-872997/

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le 29 nov. 2018

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