Nichols oublie pendant un moment de nous donner les outils pour comprendre son film, mais ce n'est pas grave car il est déjà passé spécialiste du grand spectacle politique. Saisissant directement l'ultracompétence décadente qui rend jouissifs ces films où les États-Unis parlent de leur propre système, il maîtrise tout si bien qu'il ne s'embarrasse pas de transitions d'arrière-plan : on verra des liaisons se construire et du sous-entendu déborder, mais pour lui c'est accessoire. Refusant d'expliciter les sentiments et laissant notre sens d'observation boucher les trous, il pousse son film dans ses retranchements, et ça marche.


Sans personnages principaux, Primary Colors fait vivre le frisson des intrigues gouvernementales jusqu'à nous faire poser les mêmes questions que devant un journal : qui se cache derrière le visage des hommes de pouvoir ? Quelques idoles médiatiques en caméos et voilà construit un des décors qui va temporairement faire vibrer l'histoire et transformer tous ces Hommes en pions pour notre plus grand plaisir.


Ce genre de décors (ou "chapitres" si l'on préfère), tous motivés par un obstacle à franchir, il y en aura au moins quatre, dont trois sont au minimum bons (le premier étant un brouillon) et dont un est érigé au sommet de l'excellence par Kathy Bates, écrasante de charisme au point d'effacer Travolta, et même (brièvement) Emma Thompson.


Tout cela justifiait déjà que je considère Primary Colors comme un bon film, mais il glane un point bonus dans ce que Nichols saura faire également dans La Guerre selon Charlie Wilson : manipuler le spectateur. Car derrière sa quête un peu naïve (menée d'ailleurs par le rôle un peu trop typé "charmant débutant" d'Adrian Lester) d'une politique que les idéaux tiennent encore à cœur, il ne donne pas de réponses définitives.


On comprendra que même si l'on croit tout savoir de ces protagonistes qui nous distraient pendant deux heures, la vérité n'éclatera qu'au dernier moment. Alors on hésite à se laisser séduire par tel ou tel beau discours : a-t-il été écrit juste pour faire joli ou bien est-ce un signal qu'il faut changer de camp ? Rien ne reste vrai longtemps chez Nichols, et c'est ce qui rend son cinéma épatant.


Quantième Art

EowynCwper
7
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le 22 févr. 2021

Critique lue 89 fois

Eowyn Cwper

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