Dès la première séquence, le film de Matthew Warchus sème quelques indices quant à sa proposition de mise en scène : Mark, un jeune homme au regard grave, (Ben Schnetzer, américain impeccable dans son rôle d’un anglais plus vrai que nature) boit une tasse de café, les yeux dans le vague. Un deuxième garçon apparaît, timide, dans l’entrebaillement de la porte. Il propose de laisser son numéro avec des yeux de chien battu, tellement battu d’avance. Mark ne répond pas, Mark ne se retourne pas. Matthew Warchus n’a pas besoin de sous-titre explicatif : en peu d’images, le spectateur a compris d’emblée qui il est et comment il est.

Mark rejoint ses amis pour confectionner une banderole anti-Thatcher pour la Gaypride. Ce gay activiste est pris d’une idée soudaine en voyant à la télé les nouvelles concernant les mineurs en grève (nous sommes en 1984, sous le gouvernement Thatcher) : il va profiter du défilé pour collecter de l’argent afin de soutenir les mineurs, et arrive à persuader ses camarades d’en faire autant. Et c’est ainsi que le LGSM est né (Lesbians and Gays Support Miners).
Ce défilé sera l’occasion pour le réalisateur de présenter au spectateur ses différents personnages :Mark, donc, mais aussi Joe , alias Bromley, un tout jeune homme pas tout à fait sorti du placard, qui déserte son Bromley natal et petit-bourgeois, d’où son surnom, pour venir à Londres humer l’interdit; Gethin, exilé pour panser ses plaies et cacher des secrets loin de son pays natal ; son amant Jonathan, dont l’exubérance camp masque visiblement des souffrances dévoilées plus tard dans le film, ainsi que de nombreux autres acteurs avec leur petite ou grande histoire. Le grand mérite de Warchus et de son scénariste Stephen Beresford est d’avoir su profiter du côté véridique des évènements et des personnes et de faire surgir ces individus et ces histoires singulières dans une certaine forme de film choral hyper-dynamique.

Mark et son nouveau groupe n’arrivant pas, pour des raisons évidentes inhérentes à l’époque, à être reçus par les syndicats, ils ont eu l’idée d’aller directement dans les villages remettre l’argent récolté. Le scenario se focalisera sur un seul de ces villages, au pays de Galles, et de nouveau, c’est au travers de différents personnages richement définis que la vie bouillonne.
Imelda Staunton dans le rôle de Hefina, la cheftaine du Comité de soutien des mineurs en grève est bien loin de son rôle-phare de Vera Drake, dans le film éponyme de Mike Leigh, pour jouer la figure de proue de ce côté-ci du récit. Facétieuse et drôle, à la limite du cabotinage parfois, elle joue juste et sait être grave quand il le faut (dans l’émouvante scène des sandwiches avec Billy Nighy , par exemple). Bill Nighy lui-même, avec ses parts d’ombre, mais ne départant jamais de son flegme et de sa classe toute britannique. Paddy Considine, composant un Dai Donovan tout à fait crédible, ce mineur porte-parole qui dans la vraie vie a su toucher les foules de l’Electric Ballroom lors du concert organisé par LGSM et donné par Bronski Beat (permettant ainsi de rapporter plus de 5000 £), et encore d’autres mineurs et femmes de mineurs inspirés de modèles dont la réalité rend encore plus émouvants.



Les faits relatés sont graves, des mineurs dans une grève dure, même si le sujet n’est pas aussi détaillé que dans Les Virtuoses ou dans Billy Eliot (condition des piquets de grève, pauvreté crasse endurée pendant ces périodes), des homosexuels rejetés par tous, y compris par les mineurs eux-mêmes , et par d’autres homosexuels peu empathiques de leur mouvement, car focalisés sur l’horreur du sida, un changement sociétal assez radical en Grande-Bretagne sous la férule de Thatcher prônant l’individualisme et l’ultra-libéralisme, (alors que le film ne fait que montrer le contraire, la puissance de l’union). Les faits sont graves, mais Warchus a pris à raison le parti de la comédie pure qui dégraisse le film de tout misérabilisme et de tout sentimentalisme, et dont les ressorts comiques reposent surtout la confrontation entre ces deux univers disjoints. De fait, il réussit un des meilleurs « feel good movies » de 2014 à ce jour.

Alors, certes, il peut y avoir de l’énervement à voir les villageoises à ricaner sur des magazines gay porn trouvés sous le lit londonien de leurs nouveaux amis, ou sur leurs sextoys à tendance caricaturale. Il peut y avoir un léger haut-le-coeur en voyant ces scènes de solidarité et de tolérance bigger than life, pourtant inspirées de la réalité. Il peut y avoir le mépris du cinéphile pour cette histoire somme toute simple et conventionnelle, mais il ne peut y avoir de l’indifférence pour ce film chaleureux et drôle, qui croque avec justesse la réalité de ces terribles années.

Last but not least, soulignons le choix des chansons émaillant le film, contribuant à donner au film l’ambiance de l’époque, allant des incontournables Smiths, aux icônes gay de ces années-là (Bronski Beat, FGTH, Culture Club…), passant du sur-mesure de Billy Bragg (Power in the Union) , au disco (Shame, shame, shame de Shirley & Co) ou encore au cœur de la New Wave (Dead or alive, King)…
Bea_Dls
8
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le 27 sept. 2014

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Bea Dls

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