Ce n’est pas vraiment un univers que se créée l’ami Denis Villeneuve, de film en film, d’année en année. D’une certaine façon, ce serait plutôt, tant bien que cela puisse s’appliquer à une filmographie, un labyrinthe. Une multitude de portes aux mêmes origines, ouvrant toutes sur un microcosme différent, répondant à ses propres règles, avec ses propres personnages, toujours très différents, mais respectant à chaque fois une charte silencieuse et évidente qui, sans qu’elle tombe dans l’académisme mollasson, est d’une rigueur sans pareil.


Villeneuve adapte le rythme de sa narration à chaque histoire, il modèle ses codes visuels à chaque ambiance – d’un film à l’autre, le cadre sera renouvelé, les personnages seront nouveaux, frais. Après trois thrillers très terre-à-terre, il pourrait être surprenant de retrouver le cinéaste à la tête d’un film de science-fiction. Même si Enemy lorgnait déjà vers le film de genre, Premier Contact ressemble bien à une nouvelle étape dans la carrière du réalisateur, alors que l’on attend sa suite de Blade Runner pour 2017 et que l’on évoque son nom pour une potentielle nouvelle adaptation de Dune. Ici, pas de cartel, ni de fusillade scolaire, mais des aliens avec lesquels il faut communiquer. Rien que le titre français renvoie au Contact de Zemeckis : ce n’est pas un hasard, car justement dans cette rigueur qu’on lui connaît, Villeneuve joue la carte du réalisme scientifique, social et politique.
L’héroïne de Premier Contact est une linguiste. Sur le papier, rien de bien excitant : mais c’est finalement dans ce rapport très cérébral à l’action que Villeneuve extrait toute la force évocatrice de son propos. Les mots, ici, sont vivants ; les phrases sont des idées ; le bruit de communication, l’inconnu. Tout ceci se retrouve dans la temporalité décousue que le réalisateur tisse adroitement, se dévoilant en un sens plus au travers de son assemblage insolite que de son récit, conceptuellement très linéaire.
Premier Contact est une matière meuble, un essai cinématographique fort qui n’hésite pas à réutiliser et transgresser les sentiers battus du genre. L’invasion extra-terrestre en devient presque le prétexte d’une allégorie politique d’une actualité profonde qui, en plus des rapports géopolitiques contemporains, semble revisiter avec un talent certain la Grande Histoire de l’incompréhension humaine, du rejet de l’autre et du défi de l’interculturel. Les conflits qu’on évite ou tente d’éviter n’ont pas seulement des conséquences directes et tangibles, mais projette dans le même temps des ondulations insignifiantes qui se transformeront, un jour, en tsunamis.


Villeneuve bâtit sa Tour de Babel sur le terreau de la langue, de la diplomatie et, surtout, de l’émerveillement. Il y a quelque chose de fondamentale fascinant dans Premier Contact, objet filmique sans faute qui ne peine guère à rejoindre les classiques modernes de la science-fiction. Le propos est malin, l’exécution totalement novatrice, les intervenants, irréprochables. Les années nous diront si l’expérience était vraiment intemporelle – sa philosophie, en tout cas, est à l’épreuve de toute l’humanité. Exemplaire.

Vivienn
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le 4 janv. 2017

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