Non, mais, Premier contact est un film beau, très beau! (Bon, OK, je n'aurais pas forcément été aussi enthousiaste avec un autre casting, hein...)


C'est vrai, ce film est parsemé de visuels littéralement tétanisants, que ce soit le langage des aliens (oui, oui, c'est visuel) ou leurs vaisseaux, ou encore les gros plans sur les traits d'Amy Adams. Ou encore, ces rencontres assez incroyables dans le vaisseau, baignées d'une brume blanche du plus bel effet...


Bien entendu, tout n'est pas non plus réussi, comme les aliens en CGI, complètement désincarnés, ou encore quelques plans d'Amy Admas toujours en CGI, aussi grossiers qu'une blague de médecin de la marine de guerre...


Mais, globalement, y a une ambiance, et, finalement, je crois que je n'attendais pas autre chose de Villeneuve, car, il me faut l'avouer, c'était ma première fois avec ce réalisateur venu de la "Belle Province", et le concert de louanges entendu à son sujet mettait l'accent avant tout sur l'expérience sensorielle que pouvait représenter ce film.


Dommage qu'au final, ce soit desservi par un scénario que je trouve débile au possible, digne d'une série B mal ficelée et produite en six semaines. Sous des dehors intellos (extrapolation audacieuse pour ne pas dire WTF de l'hypothèse Sapir-Whorf, gros mindfuck temporel), le film paraît surtout avoir bricolé autour de quelques idées-force, essentiellement formelles mais néanmoins cool (les idéogrammes des aliens qui ressemblent à des ronds de café tracés à l'encre de Chine) et la place cruciale du langage dans une civilisation, mais sans jamais faire autre chose qu'effleurer les réflexions qu'il se propose de saisir à bras le corps.


Mais quand le film prend des grands airs de linguiste avancé, il ne fait que nous montrer ce que fait toute personne douée de bon sens pour tenter de comprendre une langue qui lui est étrangère: noter la récurrence des motifs face à certains stimuli ou certaines situations. Heureusement pour l'humanité, la structuration du langage alien, et de ses représentations, est suffisamment proche de l'indo-européen pour qu'une prof de linguistique (si douée fût-elle, elle capte l'anglais, le mandarin, l'hindi ou le sanskrit - je sais plus trop -, discourt sur le portugais et saisit à n'en pas douter des nuances de russe tout en étant probablement tout sauf larguée en pacthoun) puisse élaborer une amorce de compréhension dudit langage après seulement quelques heures de contact avec nos invités d'outre espace.


Puis, une fois qu'il estime avoir le tour de la question purement linguistique sans jamais avoir fait autre chose que l'effleurer (un langage véritablement différent de l'anglais ne se résume pas un langage uniquement écrit et constitué d'idéogrammes), il invoque Sapir-Whorff pour nous balancer une théorie fumeuse sur la non-linéarité du temps... dans un univers unique! Parce que, oui, il entend nous parler de non-linéarité du temps, mais le mot multivers n'est pas prononcé une seule fois. Arrêtez de rigoler, dans le fond, M Villeneuve se prend très au sérieux. Il n'y a qu'à voir le dernier contact avec les Aliens où, en micro-gravité, Amy Adams (brusquement enlaidie par les CGI) reçoit un édifiant et hermétique message (de paix?) de la part des aliens au milieu d'une grande lumière blanche, histoire de tapiner sur les terres de Kubrick (suivez mon regard...).


Rappel: l'hypothèse Sapir-Whorf postule que notre compréhension ou interprétation du monde est conditionnée par les catégories linguistiques portées par le langage que nous pratiquons naturellement. Ce qui a des répercussions plutôt intéressantes, comme l'idée que bien des rôles sociaux (classe, genre etc) sont délimités au moins autant par notre langages que par d'autres repères culturels, comme la tradition, la religion et/ou la politique. Si on aborde la chose avec un minimum de malhonnêteté intellectuelle ou simplement d'incompréhension naïve, on peut ainsi comprendre cette hypothèse comme étant que le langage conditionne notre perception du réel, comme si celui-ci n'était, au final, que relatif à chacun, sans considération pour les machines, qui renvoient les mêmes résultats sans jamais parler ou penser en anglais, farsi, guarani ou finno-ougrien. Ce qui évacue d'emblée cette interprétation, mais, on n'en parlera pas, sinon, y a plus de film.


C'est à ce moment-là que j'ai eu envie de hurler. Les aliens perçoivent le temps comme non-linéaire. Soit. A la limite, je veux bien gober - ça en fait des cousins monstrueux des navigateurs de la Compagnie dans Dune. Mais que cette perception (et non, j'insiste, une compréhension ou interprétation) provienne de leur langage, je dis: "MAIS FUCK! Ca veut dire quoi, au juste?" La conclusion est sans ambigüité: il n'y a qu'un avenir, tout tracé, et celui-ci est lisible comme n'importe quelle prose. OK. On commence à comprendre: l'intro n'est pas le passé, mais l'avenir. Le tout mutique, commenté à mi-voix, entre ralentis facilement émouvants et gros plans bouldum ("bouleversants d'humanité" pour qui n'a pas suivi). On se croirait chez Malick.
Et, en vertu de ce temps soi-disant non-linéaire, les aliens lui donne la possibilité de voir l'avenir (non pas UN avenir parmi tant d'autres, mais L'avenir, avec un L majuscule)... afin qu'elle puisse faire le nécessaire pour qu'il advienne!


Il faut quand même voir cette séquence proprement hallucinante où, pour sauver la paix sur Terre, l'héroïne (dont le nom m'échappe encore, elle ne m'a décidément pas marqué) en proie à sa vision du futur qui lui relate des choses passées (mais encore à venir pour elle, vous suivez?), se voit se rappeler dans l'avenir avoir passé un coup de fil au général chinois, l'appelle dans le présent pour coller à son souvenir du futur (accrochez-vous, on tient l'bon bout), et lui dit les dernières paroles de sa défunte femme, paroles... qu'il lui révèle dans sa vision de l'avenir (et que, donc, elle n'a aucune raison de connaître dans le présent)!!!!!!!


Je trouve qu'il faut être sacrément gonflé pour balancer sérieusement que l'avenir peut être une cause du passé tout en en étant la conséquence. Toujours est-il que, si le futur est capable de "corriger" le passé en fonction d'une nécessité qui lui est propre (celle d'advenir, en premier lieu), Villeneuve nous fait la démonstration d'une linéarité du temps ultime, indépassable. Tout en prétendant (ou en faisant mine de...) l'inverse.


Bon, je vous raconte tout ça, mais pendant ce temps-là, la Terre (sans qu'on sache vraiment pourquoi) est à moitié à feu et à sang, et les rogue states (Chine, Soudan etc) décident de foutre sur la gueule des aliens, en se réfugiant derrière des arguments fallacieux qui auraient fait rire la moitié du monde communiste dans les années 50. Mais, soit, ils suivent. Et, au final, par le truchement d'une terrienne presque ordinaire (modulo sa chevelure de feu porteuse de moult malédictions pour votre serviteur), ils arrivent à diffuser un message de paix qui finit par créer une unité quasiment mondiale. Et vous savez quoi? Que ce soit l'histoire d'amour entre Amy Adams (personnage-fonction) et Jeremy Renner (inutile, comme à peu près tout le reste du casting), aussi attendue qu'incongrue, ou cette histoire fumeuse d'union mondiale réalisée grâce à un appel téléphonique (qui n'a jamais eu lieu) passé par une illuminée au Mister Big de l'Armée Populaire de Chine, on n'en a rien à carrer!!!


Sans doute conscient d'être arrivé à la dernière feuille de son rouleau de scénario, Villeneuve conclut son film avec une vision de l'avenir, Amy Adams avec sa fille vouée à mourir (wahou, quel drame, la mort d'un personnage que l'on doit voir trois minutes à l'écran), et ce commentaire monocorde et mi-solennel, mi-intimiste et tellement clichetonneux depuis La ligne rouge. Parce que ça fait intello, ça évite un happy-end qui, pour le coup, eût été bienvenu, parce que ça nous ferait nous sentir tout petits face à l'immensité d'une Histoire écrasante et monolithique. Tiens, tiens... monolithe, extra-terrestres, scènes mutiques ou presque dans une immensité blanche... Non, je dois avoir l'esprit taquin, c'est tout.


Au final, qu'en ai-je retenu? Des images très fortes, et le sentiment que Villeneuve s'offre son Interstellar, l'Odyssée de l'Espace, visant les hautes prétentions intellectuelles d'un 2001 (prétention n'est pas raison, notez bien...) autant que l'affectif d'un film de SF avec un héros bankable, cool et ne jouant pas sur son image virile et une ravissante rouquine aux yeux gris-bleu comme chez Nolan. Je serais bien en peine de trancher entre franche roublardise d'un faiseur en quête de reconnaissance, et maladresse naïve de celui qui ne comprend même pas les sujets qu'il aborde et espère dépasser 2001 ou Rencontre du Troisième Type, qui avaient déjà tout dit.


En tout cas, au vu des prétentions affichées, je ne peux pas passer l'éponge, tant j'ai l'impression d'avoir perdu presque deux heures de ma vie devant un long clip, ou bien l'interminable trailer d'une série qui, hélas, ne verra jamais le jour.

Cafe-Clope
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le 18 janv. 2018

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