Déjà je me rappelle qu’à l’époque de Prisoners, j’avais été interloqué de constater que Denis Villeneuve était unanimement considéré comme un bon cinéaste. En même pas deux heures, ce film avait réussi le triple défi d’insulter à la fois mon intelligence de spectateur, mon sens moral et mes (maigres) références en termes de thriller U.S, au point de m’avoir rendu littéralement furieux en sortant de la salle : j’avais l’impression d’avoir vu un pompage de Fincher calculé pour délivrer un message soi-disant critique envers notre société moderne, tout en enfilant les techniques de mise en scène les plus grossièrement manipulatrices, en cédant au maximum de facilités scénaristiques pour choquer son public sans effort, et en prenant soin de rester le plus lisse et consensuel possible pour se protéger de toute attaque. La scène de fin, grotesque, idiote, en illustre d’ailleurs toujours la profonde immoralité, ce que j'appellerais presque une certaine "irresponsabilité" du réalisateur qui ne semble pas comprendre ce qu'il filme, à travers ce plan sur le personnage meurtrier qui, dents serrées et chapelet à la main, érigé en avatar sacrificiel, voit ses crimes absous par une vaseuse contre-plongée mollement esthétisante et lourdement nazifiante. Depuis Prisoners, je vois en Villeneuve le cinéaste de la lourdeur, de la pachydermie du sens. Le petit dramaturge mafioso qui braque son public pour le faire pleurer ou réfléchir à coups de panoramiques passepartouts et de dialogues sentencieux. Le chien de garde des grands sentiments qui aboie ses petites vérités toutes faites pour se donner un genre. Devenu réalisateur de blockbusters, c'est, en plus, maintenant, un plagieur sans talent. Et je ne comprends toujours pas comment on peut défendre son œuvre à la lumière de ce Premier Contact toujours aussi effrayant de bêtise et de vacuité.


De la même façon que Prisoners, Premier Contact vise le consensus ultime. Les personnages, volontairement conçus comme des archétypes hollywoodiens (la Mère éplorée, le Scientifique rigolo, le Militaire inflexible, etc.) ne sont là que pour débiter des répliques qui semblent avoir été écrites il y a cent ans. La moindre de leurs mimiques, le plus petit haussement de sourcil ou le plus mince sourire en coin semblent avoir été storyboardés par un stagiaire dont la culture cinématographique se limite aux films de Roland Emmerich, à qui les cadrages impersonnels rendent par ailleurs hommage. Premier Contact convoque, dans la finesse de la caractérisation de ses personnages, dans l’absence totale de sens de ses effets visuels ou sonores, dans la grandiloquence affectée de ses panoramiques lents et souffreteux, un certain cinéma américain AAA des années 90. Et quand enfin le film se risque à se diriger vers plus de contemporanéité, c’est là aussi l’hécatombe : Premier Contact se vautre dans le plagiat le plus vil, entre le gris/bleu permanent volé à Prometheus, le sound design des extraterrestres pris aux tripodes de la Guerre des Mondes… quant au scénario, même s’il assume être tiré d’un livre, la platitude extrême de son traitement le rend pire qu’anecdotique.


Villeneuve, on le sait, aime les drames : on peut être sûr, en regardant l’un de ses films, de prendre sa dose de « sens de la vie ». Malin, le margoulin nous ressert donc ici ses obsessions habituelles sur la famille et la rédemption, adaptées, comme toujours, au public de multiplexe qu’il chérit désormais comme la prunelle de ses yeux. C’est ici, c’est véritablement ici que le film laisse K.O. debout : dans son récit imbitable et sans enjeu d’une invasion extraterrestre sous anesthésie. Très soucieux d’avoir l’air profond et intelligent, le cinéaste oublie de rendre la moindre péripétie vraisemblable ou crédible. Les plus grands défis se règlent à coups de répliques poseuses et expédiées. L’impensable se produit par la grâce d’un journal télé ou d’une scène d’émeute. Tout est rangé, ordonné. Les aliens sont là, mais tout va bien. En pacifiste convaincu, Villeneuve construit son film autour de son dénouement, espérant sans doute que toutes les maladresses de narration seront effacées par la puissance de la conclusion. C’est là qu’on s’en rend compte : il y aurait presque quelque chose de réussi dans ces dernières minutes, une sorte de puissance philosophique qui justifierait les deux heures de gabegie les précédant. L'idée n'est pas bête, loin de là même, évoquant brièvement une certaine remise en question de toutes nos perceptions, à travers cette ligne claire d’un monde-puzzle où la réalité n’est qu’affaire de perception. Le livre est sans doute très bon. Ce qui est un autre défaut du film : ne pas chercher à en saisir l'intrinsèque moelle, se contenter d'en piquer l'idée sans apporter de valeur ajoutée, façon produit dérivé vite bricolé. En sortant de la salle, on compte pour rire les incohérences, les invraisemblances, les répliques débiles, les séquences bateau. On comprend que rien n’a de sens. Qu’on vient de se faire vendre un film sur le sens de la vie qui n’est même pas fichu de se fixer sur le sien propre. Alors on réalise, encore une fois, qu’on s’est fait arnaquer par la grosse machine hollywoodienne, qu'on vient de se faire refourguer pour pas cher un concept fumeux (et fumiste) par la technique du moindre effort.

boulingrin87
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le 18 déc. 2016

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Seb C.

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