J'ai assez conspué - pendant des décennies - les niaiseries de George Lucas et autres geeks fans de bêtises spatiales pour ne pas clamer mon bonheur de voir de plus en plus fréquemment des réalisateurs notables prendre à bras le corps des sujets ambitieux comme ceux que la grande littérature de Science Fiction affrontait à son âge d'or. Et même si le mètre étalon kubrickien (ou tarkovskien, puisque "Solaris" ne rend que peu de points à "2001") semble régulièrement inatteignable (on n'oubliera pas de sitôt l'échec de "Interstellar"...), mieux vaut sans doute se planter en essayant d'atteindre la grandeur d'un vrai cinéma de l'intelligence, que ramasser le jackpot commercial en recyclant les codes usés d'un cinéma aussi vain et bruyant que les licences Disney ou Marvel. Dans la ligne directe de son magnifique "Enemy" - sans doute son meilleur film à date" -, Villeneuve affronte la question du langage comme vecteur de sens et comme outil (arme ? c'est la question du film...) de communication, et nous propose avec "Arrival" un programme conceptuel brillant : entre le décryptage d'un langage non séquentiel chez les extra-terrestres et la vieille dialectique de la Tour de Babel où l'humanité divisée s'affronte et court à sa perte, Villeneuve est sur tous les fronts : en arrimant sa fiction à la belle idée (scientifique ?) que le langage détermine la perception de la "réalité", "Arrival" nous offre un flux remarquable de sensations sans temporalité, qui, si l'on excepte le twist "final" jubilatoire mais un peu trop malin sans doute, a l'avantage de recentrer le film sur ce qui importe vraiment : pas la paix dans le Monde à travers la fraternité et le partage (vieille antienne qui sonne un peu ringarde quand même), mais le bonheur - très intime - d'aimer, de vivre, encore et encore. Oui, les plus beaux moments des films de Villeneuve, en dépit de son impressionnante virtuosité et de son étonnante capacité à créer des atmosphères anxiogènes, sont toujours ceux où il prend le temps de regarder vivre ses personnages, et nous permet de partager avec une remarquable empathie leur bonheur ou leur désespoir. Non, "Arrival" n'est pas "2001", mais c'est quand même une formidable réussite, loin des canons du film hollywoodien. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
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le 14 déc. 2016

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Eric BBYoda

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