Des spoilers immenses sont descendus sur Terre, seuls les lecteurs avertis oseront les approcher.


Le film me met dans une position très délicate, car il est aussi fascinant que gâché par nombre de petites erreurs. Commençons par la 1ère partie, qui représente ce pourquoi on adorera Premier Contact. Il y a déjà cette apparition des OVNI, anti-spectaculaire mais pourtant dérangeante, aussi bien par l'étrangeté de ces immenses monolithes qui tranchent avec le paysage que par la partition déroutante de Jóhann Jóhannsson. Le monde a peur de cet inconnu, tout se base sur la question des intentions des étrangers. Rien n'est plus effrayant que de ne pas du tout connaître le fonctionnement mental de son interlocuteur, de ne pas savoir s'il est capable d'envisager de nous faire du mal, de ne pas pouvoir anticiper quoi que ce soit faute de connaître ses valeurs. Puis vient l'autre grand thème : la langue, ses mystères, ce qu'elle nous apprend sur nous, en quoi elle implique des notions qui ne sont pas si évidentes que ça, et surtout les problèmes de communication qui vont avec. Mélangez tout ça et vous obtenez un propos passionnant. La découverte progressive des extra-terrestres et de leur fonctionnement, c'est exactement ce qui me plaît.


Mais c'est vraiment la question de la langue qui est la plus intéressante. Le personnage de Amy Adams nous interpelle en remettant en cause tous nos acquis en matière de communication. Elle nous fait prendre conscience de la possibilité d'alternatives dans le langage et fait un juste rappel sur la dangerosité des interprétations hâtives. Il y a surtout l'éventualité d'une langue non-linéaire qui m'a captivé, avec cette écriture particulière des aliens et l'idée que leur pensée pourrait elle-même être non-linéaire. Le film évoque ce phénomène, puis il le développe en l’appliquant à d'autres domaines : les lois de la physique non plus ne sont pas linéaires, le changement de gravité en faisant foi. Ce qui aurait pu ne constituer qu'un gadget SF se montre bien plus pertinent que ça puisqu'il illustre visuellement (mais en avance) ce que Amy Adams explique à ce sujet. Il permet aussi d'avertir le spectateur que la langue n'est pas la seule chose qui ne soit pas linéaire chez les aliens. C'est comme ça que l'on peut se préparer à une gestion du temps tout aussi inédite, laquelle aurait pu sonner comme un manque d'inspiration si elle n'était pas aussi cohérente avec le film. Elle apporte également un jeu sur le montage assez amusant le temps de comprendre qu'on s'est fait duper, même si je préférerai toujours la façon dont Alan Moore l'a mis en scène dans Watchmen. En bref Premier Contact pose une réflexion passionnante qui me semble bien nécessaire au vu de l'actualité, surtout lorsqu'il montre en parallèle les problèmes de communication qui existent au sein de l'espèce humaine avec les pays qui ne veulent pas partager leurs informations. Il traite de la rencontre extra-terrestre avec une forme d'optimisme, sans (trop) virer à une naïveté qui ne pardonne plus à notre époque sceptique. C'est agréable de voir un tel sujet traité avec un tel sérieux, tout en se permettant de nous emmener au-delà avec cette histoire de non-linéarité.


Mais si Denis Villeneuve s'est montré brillant pour nous interroger, il a bien du mal à assumer jusqu'au bout la lenteur du décryptage d'un langage. Alors qu'il rappelait que les extra-terrestres pouvaient très bien ne pas avoir la même notion de grammaire que les humains, il annule tous ses avertissements en balançant des ellipses pour nous amener soudainement à une situation où la linguiste arrive à communiquer en faisant des phrases avec une structure américaine. Non seulement on perd l'opportunité de nous faire concevoir le langage ou la pensée autrement (c'était bien la peine d'insister là-dessus), mais en plus le film fait ainsi les raccourcis que dénonce le Dr Banks : on devrait attendre de savoir comment les aliens conçoivent des phrases avant d'en faire à notre tour, or là on nous fait zapper cet apprentissage crucial comme s'il allait de soi. Non ça ne va pas de soi, tout le discours du film repose justement là-dessus. Ce choix des ellipses va complètement à l'encontre du propos du film.


Autre déception : on sent que Denis Villeneuve avait davantage envie de parler de langage que de SF, ce dernier servant de cheval de Troie au premier, et c'est tout à son honneur. Mais si l'on s'est déplacé pour le voir c'est d'abord pour la promesse d'une rencontre entre les humains et les aliens. Leur découverte par l'héroïne est très bien gérée, quoique gâchée par une ellipse aussi frustrante qu'inutile (décidément !). Mais quand le film se termine, on se dit que ce contact était franchement limité. Les heptapodes sont arrivés, ils ont posé leur colle aux linguistes, puis ils sont parti en disant que dans 3000 ans il faudra en reparler. Ouais donc en fait pour le moment cette rencontre n'a rien donné, l'intérêt des visions prophétiques étant assez peu mis en valeur. Si vous êtes venus pour l'accroche "Pourquoi sont-ils ici ?", vous avez dû être déçu. Ce n'est pas parce que ce n'est pas le premier centre d'intérêt du réalisateur qu'il pouvait se permettre de le limiter ainsi alors qu'il y avait tellement plus à faire.


Premier contact souffre de pas mal d'autres défauts qui, mis bout-à-bout, plombent pas mal le film dont le souvenir se ternit au fur et à mesure. Par exemple ses tentatives de thriller sont hyper forcées et tombent dans un style hollywoodien qui lui sied très mal. La discussion de la dernière chance avec les extra-terrestres alors qu'il y a une bombe dont le compteur est réglé sur 5 mn ? Avec les personnages qui échappent de peu à l'explosion ? Sérieux ? Même chose lors du moment de bravoure de fin avec le coup de fil à passer en urgence, le général Shang se montrant d'ailleurs peu difficile à convaincre. C'est du suspense tout ce qu'il y a de plus artificiel et ce n'était pas du tout le bon film pour ça. Autre raté : les scènes de flash avec la fille du Dr Banks, musique violoneuse en fond. Ces scènes ne sont pas hors sujet mais elles ne prennent pas, la musique appuyée n'aidant pas. Même chose avec le personnage de Jeremy Renner qui décide à la fin d'être amoureux de l'héroïne, sans plus de développement que ça, ce qui rend leur histoire inintéressante. C'est ainsi que l'on obtient une fin à rallonge qui essaie de verser dans l'émotion, s'éloignant des enjeux mondiaux précédents pour se rapprocher d'une dimension plus humaine, mais qui loupe le coche et se montre pesante.


Premier contact représente exactement ce qui plaît dans la hard SF, il nous questionne comme il faut et déborde de bonnes intentions. Mais il a beaucoup de défauts qui cassent ses ambitions, avec en premier lieu l'impression qu'il manque des bouts de film pour exploiter au mieux son postulat.

thetchaff
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2016

Créée

le 8 déc. 2016

Critique lue 553 fois

11 j'aime

thetchaff

Écrit par

Critique lue 553 fois

11

D'autres avis sur Premier Contact

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Premier Contact
Sergent_Pepper
8

Mission : indicible.

La science-fiction est avant tout affaire de promesse : c’est un élan vers l’ailleurs, vers l’au-delà de ce que les limites de notre connaissance actuelle nous impose. Lorsqu’un auteur s’empare du...

le 10 déc. 2016

192 j'aime

16

Premier Contact
trineor
5

Breaking news : t'es à court sur la drogue bleue de Lucy ? Apprends l'heptapode !

Bon, bon, bon. Faut que je réémerge d'une apnée boulot déraisonnable, rien que le temps d'un petit commentaire... parce que c'est que je l'ai attendu, celui-ci. Et fichtre, je suis tout déçu ...

le 7 déc. 2016

153 j'aime

61

Du même critique

Seven Sisters
thetchaff
5

On aurait dû faire un calendrier à 5 jours

Des mini-divulgâcheurs se sont glissés dans cette critique en se faisant passer pour des lignes normales. Mais ils sont petits, les plus tolérants pourront les supporter. Seven Sisters est l'exemple...

le 2 sept. 2017

94 j'aime

9

Matrix Resurrections
thetchaff
6

Méta rixe

Cette critique s'adresse à ceux qui ont vu le film, elle est tellement remplie de spoilers que même Neo ne pourrait pas les esquiver. On nous prévenait : le prochain Matrix ne devrait pas être pris...

le 27 déc. 2021

70 j'aime

3

Zack Snyder's Justice League
thetchaff
6

The Darkseid of the Moon

Vous qui avez suivi peut-être malgré vous le feuilleton du Snyder Cut, vous n'avez sans doute pas besoin que l'on vous rappelle le contexte mais impossible de ne pas en toucher deux mots. Une telle...

le 19 mars 2021

61 j'aime

4