The Transcendantal Object at the End of Time

Qu'on aime ses œuvres ou non, Denis Villeneuve s'impose de film en film comme un réalisateur curieux et versatile. A l'instar d'Aronofsky, Nolan, Fincher ou Cuarón, il se plaît non seulement à explorer les genres, mais s'évertue, sans pour autant avoir toujours quelque chose de nouveau à dire, à y porter un regard nouveau. Et le choix de ces 4 grandes figures du cinéma actuel n'est pas anodin, puisqu'ils ont tous, à un moment ou à un autre, exploré la Science-Fiction.


Cependant, bien que ces auteurs aient tous réalisé des choses intéressantes dans le domaine, Villeneuve se démarque. Avec Arrival, le Canadien explose des décennies de représentations extra-terrestres au cinéma. Car là où (à ma connaissance), toutes ces représentations se sont faites sur le modèle anthropologique de pensée linéaire et euclidienne, basée sur la notion de début et de fin, découlant de notre propre existence terrestre limitée, Villeneuve repense l'Alien, non-verbal, non pas en 4 dimensions mais en une multitude.


Le titre français est trompeur : il ne s'agit pas d'une histoire de "premier contact" comme l'imaginait Spielberg (Rencontre du 3ème type) mais bien d'une histoire d'Arrivée. Mais de quelle arrivée nous parle Arrival ? Celle d'une civilisation cosmique hyper-avancée, ou bien celle d'une nouvelle ère pour l'humanité ? Villeneuve semble répondre : les deux. Au travers de ses deux protagonistes, aussi antagonistes dans leurs approches du phénomène que complémentaires.


De façon assez surprenante, alors que l'habitude pousse nombre de réalisateurs à opposer Science et Religion, Villeneuve tente une approche inédite : celle d'opposer Science et Langage.
Il est fondamental toutefois de rappeler l'importance du langage dans la religion. Au commencement était le Verbe (Logos), nous dit la Bible. Tout comme Louise, la Bible place le langage comme la force créatrice primordiale, celle par laquelle l'humanité s'est faite conscience. Ian, lui, place la science au-dessus, mais clairement Villeneuve choisit la première option. Ainsi, si de religion il est question dans Arrival, il s'agit de parler de la Genèse de l'Homme et de la Femme plutôt que de leur foi ou de leur place dans l'univers.


A l'heure où l'humanité met toute sa force dans la science afin de partir à la conquête de l'espace, celle-ci ne répond pas à des problématiques pour le moment insurmontables : d'abord, comment traverser des milliards d'années-lumière sans que cela prenne des milliards d'années ? Puis, comment nos corps terrestres, intimement liés à notre planète-mère, pourront-ils endurer de tels voyages (voir à ce sujet les effets du vide spatial sur le corps humain) ? Dans Arrival, les Heptapodes répondent à ces deux problèmes : ce n'est pas la science qui pourra y remédier, mais la pensée. Courber l'espace-temps n'est pas une affaire de physique quantique mais il nécessite de totalement transcender notre conscience.


Mais voilà, notre conscience est conditionnée par notre langage, fer de lance de toute évolution post-darwiniste. Ian, au début du film, fait référence à l'hypothèse de Sapir-Whorf, selon laquelle le langage conditionne la façon de penser d'une civilisation. Le fait de mettre un mot sur un phénomène, ou une sensation, permet d'ouvrir la sensibilité cognitive à ce phénomène ou cette sensation. L'absence de mot les relègue à un point de vue descriptif marginal. Par exemple, le japonais possède un mot pour désigner la lumière du soleil qui transperce le feuillage des arbres (Komorebi). L'absence de terme en français rend ce phénomène anecdotique, là où le japonais prend le temps de l'observer et le rendre plus "réel" en l'incluant dans son langage.
Ian ne semble pas croire en cette théorie. Dès lors, Villeneuve oppose 2 approches de la réalité, et par ce biais, 2 approches de l'Arrivée des Heptapodes : pour Ian, elle est physique, visuelle. Pour Louise, elle est plus sensitive, cognitive. Cela se traduit dans le film par leur premier contact avec les êtres cosmiques : tandis que Ian jubile, fasciné, sourire aux lèvres, Louise suffoque, chancelle. Ian voit les Heptapodes matériellement, Louise les ressent.


Il est toutefois bien question de contact dans ce film. Celui du toucher, lorsque Louise pose sa main sur la barrière qui la sépare des Heptapodes, puis en étant enveloppée littéralement par eux (ce qui conduira à la Révélation), mais avant cela il s'agit d'un contact visuel. Ce qui relie en premier lieu les Heptapodes et les humains est la vue. Bien qu'a priori dépourvus d'yeux, les Heptapodes semblent bien voir. Et leur vaisseau, souvent rapporté et probablement à raison comme une référence au monolithe noir 2001 : A Space Odyssey, rappelle surtout la forme de la pupille ; cette partie de l’œil qui est un pont entre le monde matériel extérieur et la pensée intérieure que l'on s'en fait. Ainsi, voilà pourquoi Louise parvient à comprendre réellement le langage heptapode et ce qu'il signifie, pendant que Ian, pourtant au même degré de connaissance de la langue, n'aura jamais de visions de mémoires du futur comme sa compagne. Alors qu'elle laisse pénétrer, presque littéralement, l'encre des Heptapodes à travers ses yeux pour en comprendre le mécanisme de leur pensée, Ian en gardera toujours la distance pudique de l'analyse scientifique. En somme, Louise ouvre entièrement sa sensibilité à tout ce qui l'entoure, tandis que Ian la réserve uniquement à la linguiste.


En cela, Arrival est un film visionnaire, même bien plus que n'importe quel autre film de science-fiction relatant les voyages intergalactiques : si nous, humains, voulons transcender notre condition géotropique, il va nous falloir franchir les barrières de notre pensée tridimensionnelle. La science, comme le langage, est basée sur des valeurs quantifiables, donc limitées. La science s'appuie sur des chiffres, le langage sur des mots pour les énumérer. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que le langage heptapode ne semble contenir aucun chiffre. Uniquement des termes représentant des notions.
Cette limitation géotropique, c'est aussi celle de notre plus grande malédiction : celle de réfléchir le monde selon notre existence, cette chose que l'on appelle la vie, comprise entre la naissance et la mort. Notre plus grande peur (la mort) est aussi la loi fondamentale qui définit notre façon de penser. Tout a un début et une fin, alors notre langage a un début et une fin. Pour les Heptapodes, la mort est un "process" comme l'est la naissance. Il n'est pas une fin en soi, juste une étape. En cela, si Arrival devait avoir quelque chose de religieux, c'est du côté du bouddhisme qu'il lorgne. L'écriture de Abbott et Costello (ils se nomment eux-mêmes ainsi, probablement pour se rendre plus compréhensibles aux humains si attachés à l'individu-indivisible) est cyclique comme le "process" d'existence. Le bouddhisme et le cycle de vie et de mort est aussi représenté lors du premier contact de Louise et Ian dans le vaisseau extra-terrestre. La lumière au bout du tunnel sombre, comme le passage rituel d'un état à un autre, sera l'étape fondatrice d'une transformation de la perception du monde pour Louise. Dès lors pour elle, what has been seen cannot be unseen (autre exemple linguistique, par ailleurs, d'expressions intraduisibles qui montrent les différentes approches intellectuelles d'une langue à une autre).


Le philosophe et psychonaute américain Terence McKenna disait qu'il existe un "Objet Transcendantal à la Fin des Temps", c'est-à-dire quelque chose qui existe au-delà de la perception physique du monde. Pour lui comme pour Villeneuve, atteindre cet objet transcendantal nécessite d'abord de transformer complètement notre vision du temps lui-même. Et pour cela, il faut vouloir le voir (l'intention dont parlait Bouddha) et accepter qu'il nous pénètre.

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le 6 nov. 2017

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Fortynine Days

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