Le voyage dans le temps est un thème très délicat à traiter, car il faut trouver une cohérence dans un phénomène physique fictif dont on a inventé de nombreux fonctionnements incompatibles, sans compter les paradoxes insolubles. Il y a par exemple le cas du futur que l'on réécrit, ou encore le cas d'une boucle où le voyageur temporel reproduit inconsciemment son propre passé. Lorsqu'un film comme Looper tente de mélanger plusieurs de ces visions incohérentes avec l'argument selon lequel "de toute façon le voyage dans le temps n'existe pas donc on peut faire ce qu'on veut", cela m'agace au plus haut point. Car le film présente des règles implicites qu'il brise sans justification quand ça lui chante, et il finit par ne plus avoir de sens.


Predestination a le mérite de ne presque pas tomber dans ce travers-là, mais il plonge dans une gestion du voyage dans le temps que je n'ai jamais apprécié. Je trouve que c'est une vision illogique des choses. Mais je ne peux pas me plaindre trop fort puisqu'il n'existe pas de fonctionnement absolu du voyage dans le temps. Je me retrouve donc à grommeler en silence, mais j'ai étonnamment plutôt apprécié la façon dont c'était utilisé, sans y croire pour autant.


Je ne pourrai pas détailler plus sans spoiler, le film ne s'y prête pas. Je donne donc ici une mini conclusion en avance : Predestination ne vous offrira pas d'intrigue satisfaisante car on ne croit pas à cette situation absurde. Mais il repose sur une astuce qui est poussée si loin que même si la surprise n'est plus là, on s'amuse de voir jusqu'où "c'est allé". C'est pour moi davantage un jeu sur un concept qu'un film, cela s'explique certainement par le fait que c'est tiré d'une nouvelle. Il y a en bonus une histoire avec un thème fort qui contient de bonnes bases, mais j'ai trouvé qu'elle ne se mélangeait pas très bien avec le reste. Elle reste néanmoins intéressante quoique sa 1ère moitié est trop longue.


Donc non ce n'est pas réaliste. Du tout. J'ai grincé des dents devant cette utilisation du voyage dans le temps, avant de me faire une raison. Non ce n'est pas toujours passionnant dans sa 1ère moitié. Mais il y a un système qui m'a intéressé.
Les détails qui spoilent :


Situation classique et agaçante d'un film avec du voyage dans le temps : le héros est en danger de mort, mais il est sauvé par son double du futur. Plus tard, il ira dans le passé pour se sauver la vie, comme son double lui-même. Question : quand quelqu'un meurt, pourquoi est-ce qu'il n'aurait pas pu y avoir de double du futur qui apparaisse pour le sauver ? Cette question est insoluble parce que le principe de boucle temporelle où notre passé est déjà déterminé par nos voyages dans le temps repose sur une contradiction : l'idée qu'un événement (ici, le sauvetage du héros) est à la fois la cause et la conséquence d'un autre événement. Pourquoi le héros du passé ne meurt-il pas ? Parce que son double du futur est venu. Pourquoi son double du futur est-il venu ? Parce que le héros du passé ne meurt pas. C'est ainsi une situation totalement artificielle, et une fois que je l'ai compris je n'ai plus été capable de l'accepter dans les histoires qu'on me proposait, parce que c'est de la facilité scénaristique et que ça m'énerve. Je l'ai accepté dans 4 œuvres : Terminator (parce que c'est mon 1er contact avec les boucles temporelles, parce que ça apporte une belle touche d'ironie et parce que cela n'influence pas tant que ça le récit), Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban (voici la raison spoilante), une série de romans interactifs que je ne citerai pas ici pour cause de spoil et, à ma grande surprise, ce Predestination.


En fait, j'ai eu l'impression de revoir Réalité. On quitte le monde rationnel au profit d'un jeu sur une succession insensée de mises en abîme vertigineuses. Cette question de qui est arrivé du premier entre l’œuf et la poule n'a pas de sens mais le film ne cherche pas à présenter une situation qui fonctionnerait. Il veut pousser l'absurde le plus loin possible avec une femme qui couche avec elle même pour accoucher d'elle même et provoquer son propre destin en s'envoyant elle même à l'orphelinat avant de se pourchasser elle-même, se tuer elle même et se faire pourchasser par elle même. Au bout d'un moment on ne peut plus prendre cette histoire tout à fait au sérieux, et c'est là que j'ai fini par accepter le postulat de la boucle temporelle. Parce qu'il ne sert plus juste de twist de petit malin, il devient une sorte de blague et plus encore.


Oui, plus encore. Car cette femme qui se rencontre dans sa jeunesse et découvre soudainement avec le recul toute la beauté qui résidait en elle et dont elle n'avait pas conscience, qui décide de devenir la personne dont elle avait besoin pour se réconforter elle même, j'ai trouvé que c'était fort, bien que narcissique. C'est d'ailleurs une idée que j'avais voulu mettre dans une de mes propres histoires de voyage dans le temps, et voir se concrétiser ce brouillon abandonné est réjouissant pour moi. Lorsque ce personnage devient ensuite son propre pire ennemi et qu'il se tue, ça a aussi quelque chose d'effrayant que je n'ai vu qu'après coup. Le personnage regarde toujours son passé avec amour ou compassion et son futur avec haine. Car il ne va aller qu'en empirant et il ne comprend pas cet homme à venir, alors qu'il connaît tout de cette femme qu'il a été. Mais est-ce le Barkeeper qui est sain et le vieux qui est devenu fou (représentant la sénilité qui nous guette tous), ou bien est-ce le Barkeeper qui est trop jeune pour déceler l'intérêt des actions qu'il commettra lorsqu'il sera plus âgé et peut-être plus mature ?


Mais même en acceptant cette proposition de voyage dans le temps, il y a des choses qui fâchent. L'histoire de l'Unmarried Mother est longue à se mettre en place avec des passages pas toujours intéressants ou utiles à l'histoire. La place qu'elle occupe dans un film coupé en 2 me paraît trop longue, même si elle est essentielle. Cette 2e moitié a également tendance à être un peu bordélique dans sa construction et contient des maladresses. Les différents twists ne sont pas bien surprenants, certains indices sont très gros ("♩ I'm my own grandfather ♩" : tu parles d'une subtilité). Une fois que la rencontre des deux Unmarried Mother a lieu, la suite se devine petit à petit. On a pourtant une fin qui a l'air de nous dévoiler une information de folie alors qu'on avait tout compris lorsque le Barkeeper disait "Tu sais maintenant qui je suis réellement". Enfin, la logique du film est ébranlée lorsqu'on apprend que le Fizzle Bomber a changé l'avenir, ses articles d'un futur évité le prouvent. C'est d'ailleurs logique que le destin ne soit pas inévitable, sinon les agents temporels ne serviraient à rien. Mais cela remet complètement en cause le principe de boucle temporelle incassable présenté par le film. Y a eu un foirage là...


Predestination est un film difficile à évaluer objectivement. Il repose sur un principe que je n'aime pas, mais il en fait une attraction inattendue. Il a une intrigue, mais ce n'est pas tellement elle qui est intéressante. Il y a des concepts forts, mais qui manquent d'émotion pour pleinement me satisfaire. Je vois tout le potentiel du film, mais il lui manque plein de petits rien pour bien fonctionner. Mais en l'état, il m'a offert un visionnage plus stimulant que ce à quoi je m'attendais.

thetchaff
7
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le 18 févr. 2016

Critique lue 384 fois

thetchaff

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