Si Predator peut aujourd'hui être cité sans rougir comme un classique du cinéma fantastique, impossible de songer à ce succès lors de sa création. Conséquence d'un tournage dont son réalisateur, John McTiernan, garde un souvenir douloureux :


"C'était mon premier film produit par un studio et il y a des paramètres que je ne contrôlais pas. J'ai eu beaucoup de problèmes à cause du chef-décorateur qu'on m'avait imposé. Comme il avait une maison à Puerto Vallarta, il voulait absolument qu'on tourne là-bas. Ce crétin ne s'était renseigné sur rien, n'en avait pas fichu une rame, et quand on a débarqué, on a découvert que les arbres avaient perdu toutes leurs feuilles. On a donc passé un temps fou à coller des feuilles sur des arbres pour que le décor corresponde à l'histoire. J'étais fou de rage ! Finalement, j'ai obtenu du studio qu'on aille au Mexique pour tourner la majorité des séquences de jungle. C'était très difficile, très éprouvant, on ne savait pas ce qu'on faisait, on ne savait pas comment les Mexicains fonctionnaient.


Conclusion, il y avait une poignée de techniciens américains qui se démenaient dans tous les sens, sous le regard fixe d'une centaine de techniciens mexicains qui restaient là, sans rien faire. C'était de notre faute : on ne savait pas comment les impliquer dans le processus du film. En plus, tout le monde est tombé malade, j'ai perdu douze kilos, mon assistant en a perdu vingt, on se serait cru dans un camp de prisonniers ! On ne savait pas que les légumes, les fruits et l'eau grouillaient de bactéries, que la majorité des restaurants avaient une hygiène affreuse et que certains supermarchés vendaient des produits désinfectés. Et on ne savait pas non plus comment organiser un plateau. Quand on avait besoin d'une ampoule, ça prenait une demi-heure parce que le matériel était entreposé à l'autre bout de la jungle. Ca a été l'enfer, ce film, l'enfer. Mais ça m'a servi de leçon." (1)


Dans la droite lignée du Aguirre : la colère de Dieu de Werner Herzog, McTiernan fit l'expérience difficile d'un tournage en pleine jungle. Un sacré baptême du feu pour un cinéaste dont "Predator" n'était que le second long-métrage. Un baptême partagé par les deux co-scénaristes, James Jones et John Thomas, dont c'était le premier boulot. Basé sur un script déjà terminé de David Peoples (oui, celui de Blade Runner), les duettistes ont nourri leurs apports de discussions avec des proches anciens des forces spéciales ou de l'armée. Nul ne dit si le légendaire bras de fer entre Arnold et Carl Weathers au début du film est une anecdote réelle, il n'empêche qu'avant l'arrivé de John McTiernan, c'est un certain Geoff Murphy qui devait mener le projet à bon port avant de le lâcher pour les sempiternels "différends artistiques" avec le studio.


Peut-être l'état d'esprit de McT aura mieux convenu aux décideurs : "J'ai toujours rêvé de réaliser un spectacle du samedi après-midi, un spectacle un peu à l'ancienne, et "Predator" était tout désigné pour être le film d'action dans le style que j'aimais, avec un suspense aussi. Il combine des éléments qu'on a pas l'habitude de trouver mêlés, l'histoire classique d'un héros d'abord et celle d'un film d'horreur, un peu comme les légendes nordiques dans lesquelles les guerriers luttaient contre des êtres surnaturels. Le scénario de Predator me rappelait également les vieux films de guerre et les comic-books remplis d'hommes plus grands que nature. Arnold Schwarzenegger est l'une des rares personnes au monde à pouvoir incarner une de ces figures". La note d'intention est claire, droite, et on comprend la colère d'un cinéaste bosseur comme McT une fois plongé dans l'enfer du tournage.


Car la discipline filmique qu'il se sera imposée, le cinéaste l'a aussi voulue pour l'actorat (dont le casting compte Shane Black, scénariste de L'Arme fatale) : "Nous avons amené sur place des entraîneurs spéciaux (...) Arnold, Jesse ventura, Richard Chaves et Sonny Landham avaient des connaissances militaires, j'ai voulu leur donner une chance d'apprendre à se connaître, de développer un sens de la solidarité. L'idée était d'endurer quelque chose et de la vaincre ensemble. Peut-être que le meilleur représentant de cette transformation a été Shane Black. C'est un bon scénariste mais il passait beaucoup de son temps devant une machine à écrire une cigarette à la bouche dans un sombre appartement d'Hollywood. Au bout de quatre ou cinq jours, même Shane commençait à avoir l'air d'un tueur !".


De la solidarité, il en a sans doute fallu pour arriver à transformer une poignée de troufions en masses musculaires terrifiées devant une menace invisible. Encore une fois, John McTiernan ne cache pas le boulot accompli pour venir à bout de la dernière prise dans ce décor naturel : "Il a fallu qu'on s'adapte au terme d'efforts énormes, ne serait-ce que pour pouvoir y travailler, s'asseoir, rester debout, ou installer une caméra sur son trépied ou le travelling sur ses rails alors que la topographie n'était pas idéale. J'étais contraint de me déplacer avec un poignet fracturé. Je me suis ainsi blessé en grimpant sur un arbre pour y trouver une position à la caméra. La branche sur laquelle je m'étais installé s'est cassée et m'est tombée sur la tête !". Une anecdote parmi d'autres pour ce tournage sous les 50 degrés, et où il fallait constamment prendre garde aux serpents...


Mais quid du Predator dans tout ça ? Avec une chaleur pareille, le comédien qui endossera le costume a plutôt intérêt d'avoir la santé ! En l'occurrence, Kevin Peter Hall, habitué de l'exercice. Trois mois avant le tournage, il entama un entraînement quotidien à base de gymnastique et d'aérobic, avec pour objectif de prendre neuf kilos de muscles. En prime, il suivit également une semaine d'entraînement à la lutte médiévale, choix dont il explique les motivations : "Un guerrier extraterrestre venant d'une autre galaxie ne peut utiliser les vieilles méthodes de combat d'un Bruce Lee. Je voulais quelque chose d'un peu différent de la routine des films de karaté. Les combats médiévaux me semblaient appropriés". A la stature du bestiau, il apporta en effet un sentiment de puissance des plus convaincants.


Durant tout le processus, l'équipe eut heureusement le soutien actif de leur producteur. Soit Joel Silver, un homme très impliqué sur ses films (il alla jusqu'à en parodier les figures majeures, tout juste un an après Predator, via l'hilarant Les Aventures de Ford Fairlane). Présent sur place, il assura même le transport des nombreuses armes à feu. Aux responsables de l'arsenal, il demanda d'ailleurs des détails sur une arme démesurée, le Gatling Gun, monstre à six barillets rotatifs conçu pour être fixé à un hélicoptère. Silver chercha à savoir si l'arme pouvait être manipulée par un homme, provoquant une belle crise de rire chez ses interlocuteurs. Ce qui n'empêcha pas le producteur de partir avec et de suivre sa petite idée !


Predator, ou comment un survival millimétré fut le fruit d'un cauchemar en coulisse qui aura plongé ses responsables dans le même état que les protagonistes du long-métrage. Devant répartir les tâches sous peine de faire durer le calvaire, McT délégua ainsi la mise en scène de l'attaque du camp de guerrilleros en premier acte à Garig Baxley, génial coordinateur de cascades et ici réalisateur de seconde équipe. Quant au costume du Predator, conçu en catastrophe par le célèbre Stan Winston (embauché grâce à son Oscar sur Aliens : le retour, de Cameron), il doit semble-t'il son aspect définitif à des suggestions de...James Cameron ! A ce niveau là, c'est presque du cinéma participatif, et le résultat global a bien du mérite.


Pure série B qui ne demandait pas tant d'attention, Predator voit ses poncifs transcendés par un cinéaste qui tira vers le haut un concept éculé, McT y apposant une grammaire cinématographique propre à transformer un banal croisement entre Commando et Alien en symphonie barbare, bien aidé par le score d'Alan Silvestri. L'été dernier, Predator a eu droit à une projection en salle organisée par l'Institut Lumière à Lyon, en soutien à l'artiste et à son épouse face aux déboires judiciaires auxquels ils faisaient face depuis dix ans. Une soirée formidable ou fut également projeté Last Action Hero, et l'occasion idéale de redécouvrir Predator.


(1) In Cine Live n° 69, p. 89, itw par Sandra Benedetti

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le 27 août 2014

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Fritz_the_Cat

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