J'aime beaucoup Céline Sciamma mais j'avais un peu peur qu'elle se casse la figure avec un projet comme celui-la. Disons que je la voyais mal remballer ses velléités féministes qui sont toujours sous-jacentes dans ses films parce qu'elle faisait un film d'époque et encore plus si c'était une histoire d'amour lesbienne.


Et en effet, elle ne l'a pas fait. Dans ce film on voit une peintre sauter à l'eau récupérer ses toiles, on parle de la peinture de nus masculins interdite aux femmes, des mariages arrangés, de l'avortement... Et clairement on aurait pu se contenter de l'histoire du mariage arrangé, le reste ça fait un peu mis sur le tapis pour le plaisir d'en parler sans que ça apporte quoique ce soit à l'histoire ou à la romance.


Parce que la romance est très belle, c'est elle qui fonctionne le mieux et c'est elle qui porte le film et qui fait que je lui pardonne ses errances. Je dirai même mieux, je dirai que c'est la fin de la romance qui est vraiment belle.


Je ne veux pas dire par là que le début n'est pas réussi, j'aime bien l'idée de cacher aussi longtemps que possible le visage d'Adèle Haenel afin de faire monter la sauce, pour ainsi dire, ce qui suffit à justifier que la peintre soit intriguée par elle vu qu'elle lui échappe assez longtemps. J'aime beaucoup l'idée que la première représentation que l'on voit d'elle soit ce tableau avec le visage effacé, comme s'il était parti en fumée.
Cependant, nous spectateurs on sait que c'est Adèle Haenel, on l'a déjà vu, on sait à quoi elle ressemble et on la voit sur les affiches du film, donc en fait on garde un mystère qui n'en est pas un et par conséquent ça ne fonctionne pas forcément aussi bien que ça aurait dû.


Ceci dit j'aime beaucoup l'ambiance calme, feutrée, avec ce soleil magnifique sur cette plage bretonne... On sent que Sciamma a beaucoup travaillé son atmosphère afin d'y instaurer un cadre assez chaleureux et propice pour cette histoire d'amour.


Mais j'ai commencé à vraiment aimer le film lorsque l'on a ce fameux passage musical lors de la fête qui donne son nom au film. Parce que avant je voyais bien que Sciamma essayait de nous montrer qu'elles se cherchent un peu, mais sans que ça prenne vraiment chez moi, un regard appuyé en gros plan je trouve ça pas forcément très subtil et pas assez puissant pour être marquant. Mais lors de ce passage, avec cette musique foutrement belle enfin elle arrête de minauder et on passe aux choses sérieuses, au diable la subtilité et enfin elle ose quelques effets de mise en scène qui rendent vraiment bien.


Et il est là l'échec de Sciamma, elle voulait réussir à raconter son histoire sans s'appuyer sur la musique et finalement la scène qui fonctionne le mieux c'est celle où la musique domine le tout.


Mais ce qui m'a touché c'est la toute fin, sans doute car je me suis reconnu un peu, ce moment où tu sais qu'il ne reste plus que peu de temps avec l'être aimé et où tu dois essayer de profiter de chaque instant... Et je crois que j'ai vraiment adoré ces adieux et cette référence à Orphée (je suis un homme simple, tu me mets du Orphée et je suis content). Disons que ces longs adieux fonctionnent vraiment bien, notamment dans les dialogues où elles sont conscientes que pour le moment elles peuvent encore se regarder en vrai et qu'ensuite elles ne pourront regarder qu'une image d'elles.


J'aime cette idée et c'est clairement celle qui fait que j'ai apprécié le film et qu'il a réussi à me toucher, ce qui n'est pas rien.


Et le film aurait pour moi dû finir là-dessus, sur cette référence à Orphée. Mais Sciamma choisit de continuer et d'en montrer un peu plus. Alors, je ne vais pas râler, car ça fonctionne, ça permet au lieu d'avoir une rupture sèche et cassante d'avoir une sorte de lente agonie où l'on voit cet amour se traîner...
Cependant, si ça fonctionne lorsque l'on voit le film, je tiens à dire que le coup du tableau, avec le livre en main et le petit détail qui tue montrant que la jeune fille en feu pense toujours à la peintre, mouais... c'est gros. Mais on va dire que dans le feu de l'action ça passe, il ne faut pas trop y réfléchir.


Reste que le dernier plan quant à lui est vraiment beau, encore une fois grâce à la musique. Mais aussi beau que ne l'aurait été le film s'il s'arrêtait sur sa référence à Orphée.


Alors qu'on ne se méprenne pas, j'ai vraiment trouvé ça bien, j'ai été pris dedans en regardant le film... Mais en y réfléchissant, ça tient principalement, pour moi en tous cas, à l'utilisation judicieuse de la musique et à une douce mélancolie sur la fin... et puis les images, le son, c'est un régal...
Mais par exemple je n'ai pas trouvé Adèle Haenel si délicieuse que ça, j'ai largement préféré Noémie Merlant (je préfère les brunes), qui m'a semblé moins en train de montrer sa palette d'émotions de manière un poil forcée.


Aussi et je tiens à le dire, c'est un peu trop délicat tout ça, tout ça reste très gentil, même dans les scènes de sexe qui ne sont que suggérées avec un délire autour de l'axilisme qui franchement m'a plus fait sourire qu'autre chose.


Enfin, un dernier reproche, ces femmes dans ce film sont assez « libérées » on va dire... Sciamma leur colle des propos un peu anachroniques... et donc il est étrange vu les personnages tels qu'ils sont écrits, ne pas se rebeller contre leur condition... Alors oui, ça aurait été ridicule sans doute, mais là, la résignation ne colle pas vraiment avec le caractère de quelqu'un qui saute d'un bateau pour récupérer des toiles... qui a un franc-parler, etc.

Moizi
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le 12 janv. 2020

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Moizi

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