Céline Sciamma est dans le fond une réalisatrice sage. Face à l'audace de ses sujets, qui ont toujours le mérite de décaler le regard cinématographique et d'apporter une bouffée d'air frais salutaire au cinéma français, elle privilégie un traitement très soigné, réfléchi dans les moindres détails.


Chassons tout doute: son film est beau, magnifique même. Le regard posé sur les actrices, les plans, les couleurs, la musique. Il est très référencé, de Vivaldi à Orphée, en passant sur les réflexions sur l'engagement en tant qu'artiste. L'ensemble est construit, pensé et s'enchaîne à la perfection.


Cependant voilà, venant de Céline Sciamma, les attentes sont hautes, et les petits défauts d'autant plus décevants... Venons-en au fait: la jeune fille ne nous a pas totalement enflammés, reste à comprendre pourquoi.


Cette histoire, c'est l'histoire d'une passion folle, de deux femmes qui sont tout sauf ordinaires, remettant en cause chacune à leur manière les conventions de l'époque, l'une en refusant de se faire peindre, donc de se marier, l'autre en assumant sa passion, en fumant, profitant de la vie, bravant les interdits. Première partie du film, les braises sont allumées.


Dans cette passion, il y a cependant plusieurs cadres: le premier, les normes de l'époque, et le film gagne en crédibilité à les respecter. Les interdits n'attisent-ils pas la passion? Il y a également le cadre artistique, qui prend malheureusement un peu trop de place: plusieurs scènes, bien qu'esthétiques et chargées de sens, font perdre à la relation son intensité. Les jeunes filles se regardent, se dévisagent, se scrutent, apprennent à se connaître. A trop répéter ce procédé en le faisant à peine évoluer tout au long du film, on perd en intensité. Les scènes d'intimité ne sont pas les plus réussies et on en revient donc, inlassablement, à la peinture. La toile, c'est un peu le pare-feu qui empêche de souffler sur les braises.


Enfin, il y a le cadre narratif, la structure travaillée du film, qui bien qu'admirable en elle-même, est parfois un peu étouffante, au détriment de l'émotion. Si la référence à Orphée dans l'avant-scène finale nous fait tressaillir de perfection, la dernière référence est celle de trop, et on se dit que la réalisatrice a été trop studieuse. On nous avait promis un brasier, il a cependant manqué que l'on jette un peu d'huile (de peinture?) dessus.

-MâriönCihüatl-
8

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le 17 sept. 2019

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