POESIA SIN FIN (Alejandro Jodorowsky, CHILI, 2016, 128min) :

Ce flamboyant récit autobiographique nous plonge au cœur de la jeunesse d’Alejandro Jodorowsky, dans l’effervescence de Santiago, la capitale chilienne où il rêve à 20 ans, de devenir poète alors que son père ne le voit qu’en médecin. Trois ans après son grand retour exaltant avec La Danza de la Realidad, le cinéaste poursuit l’introspection de ses souvenirs des années 40-50 dans ce deuxième volet de sa vie romancée.

La mise en scène reprend le même dispositif « théâtral familial » que le premier volet, réinventant le poème filmé en reconstituant les décors par de multiples trouvailles visuelles étonnantes. La narration chronologiquement linéaire s’avère plus lyrique que le premier volet et nous transporte d’abord dans le conflit qui l’oppose à son père autoritaire (joué par son propre fils Brontis) et sous les airs d’opéra à longueur de temps par sa mère interprétée par Pamela Flores. La mise en scène totalement libre avec une foi au cinéma rarement égalée, avec la présence d’Alejandro Jodorowsky comme « guide » et conteur de cette fable romancée qui nous invite dans un tourbillon de couleurs et de plaisirs dans les milieux culturels chiliens de l’époque. On croise de façon baroque avec le fantôme de Fellini planant au-dessus de l’œuvre tous les arts notamment par la représentation de la poétesse plantureuse Stella Diaz, muse castratrice aux cheveux rouges et aux seins opulents jouée également par Pamela Flores qui se dédouble dans une diversification du mythe Œdipien, un cousin gay, un gentil clown et d’autres personnages iconoclastes. Par des scènes époustouflantes et magnifiées par la photographie de Christopher Doyle (In the mood for love…), on découvre tour à tour l’atelier où Jodo débute comme créateur de marionnette et d’autres séquences se succèdent plus ou moins adroitement comme le fil d’une mémoire regardant son passé par fragments aléatoires mais toujours emplis d’une magie et d’une tendresse particulière.

La narration convoque le théâtre, l’opéra, le cirque, le personnage de Pierrot dans un bouillonnement d’idées absolument exaltant dans la description par exemple de la faune du café d’Iris lieu d’ivresses oniriques où les fantasmes de l’artiste se mêle au pouvoir de notre imaginaire (scène d’amour). Ces performances artistiques et allégoriques se déclinent avec truculences, certaines outrances et excès (charge contre le poète Pablo Neruda) sous une caméra virevoltante qui enveloppe les costumes ultra stylisés (conçus spécialement par l’épouse du cinéaste) dans un carnaval de couleurs. Somptueux poème cinématographique désordonné atteignant des sommets de beauté, notamment lors de la scène de la fête des morts où lors du bouleversant adieu de Jodorowsky à son pays, ses amis et son père sur un ponton avant d’embarquer vers la conquête de Paris et de ses surréalistes. Un cinéma qui panse les plaies où l’investissement personnel de l’auteur devient cathartique aussi bien pour lui-même que pour nous tant la richesse plastique, des thèmes et de l’art en pleine création peut guérir nos propres doutes et blessure. Un regard sur le passé du point de vue du présent embelli par une judicieuse partition musicale originale écrite pas l’autre fils Adan (jouant également le rôle de Jordowsky) et accompagné par des morceaux de musique classique de Stravinsky ou Sibelius avec La Valse Triste et un air de Fred Astaire.

Une œuvre infiniment personnelle, un récit d’émancipation éclaboussée de fulgurances intimes et pourtant universelle, tant la beauté de cet ovni cinématographique ne peut que séduire chaque être humain. Venez goûter sans réserve avec délice à cette épopée fantasmagorique, une singulière invitation à la Poesia Sin Fin. Monsieur Jodorowsky, merci pour ce voyage extravagant, mystique, esthétique, audacieux, émouvant et envoûtant.

seb2046
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le 17 févr. 2023

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