Philippe Greenleaf,riche héritier américain,est un oisif fêtard qui se baguenaude en Italie sur son bateau et refuse de rentrer à San Francisco comme le lui demande son père,d'autant qu'il ne veut pas s'éloigner de Marge,sa jolie fiancée,qui écrit un livre sur Fra Angelico.C'est pourquoi sa famille lui a envoyé un jeune aventurier désargenté,Tom Ripley,afin qu'il le ramène au bercail.Mais Philippe ne veut rien savoir et mène Tom en bateau,dans tous les sens du terme,en lui promettant qu'ils vont rentrer aux States.En attendant il s'en sert comme homme à tout faire,un peu secrétaire,un peu domestique,un peu copain de fiesta,et s'amuse à humilier ce type pauvre et plutôt rustre qui supporte ce comportement car il a besoin de la somme promise contre le rapatriement de son "ami".Mais les choses vont prendre une autre tournure quand Ripley,comprenant que Greenleaf n'est pas près de quitter l'Italie et prenant goût à la dolce vita et aux avantages de la fortune,décide de supprimer le gandin récalcitrant et de lui piquer tout son fric.C'est la première fois qu'un des cinq romans de la série des "Ripley",écrits par l'américaine Patricia Highsmith,est adapté au cinéma.Il s'agit là de "Monsieur Ripley",qui sera à nouveau porté à l'écran par Anthony Minghella sous le titre "Le talentueux M. Ripley"."Ripley s'amuse" fera aussi l'objet de deux adaptations,"L'ami américain" de Wim Wenders" et "Ripley s'amuse" de Liliana Cavani,tandis que "Ripley et les ombres" sera tourné par Roger Spottiswoode.Ici c'est donc René Clément qui s'y colle en réalisant le film dont il coécrit scénario et dialogues avec Paul Gégauff,le scénariste fétiche de Chabrol.Du beau monde est sur le pont du bateau avec le fellinien Nino Rota,qui a composé une musique délicieusement stressante,et le chef-op Henri Decaë qui use d'un superbe Eastmancolor.C'est une coprod franco-italienne impliquant la Paris Films Production des frères Robert et Raymond Hakim et,côté transalpin la célèbre Titanus.On retrouve l'académisme souvent reproché à Clément,une des têtes de turcs de la Nouvelle Vague,qui de fait abuse d'une certaine lenteur,étirant sans nécessité particulière de nombreuses scènes,quand il ne s'adonne pas carrément au dépliant touristique,notamment dans la longue et inutile scène du marché.On peut aussi déplorer une entame bien ratée avec des séquences de virée nocturne outrancières empreintes de fausse liesse et dans lesquelles les acteurs forcent leur jeu,comme dans les épisodes de l'aveugle et de la touriste belge.Mais au-delà de ces défauts le film est très recommandable,le réalisateur effectuant un remarquable travail au niveau des mouvements de caméra et des angles de prises de vues,que ce soit dans l'espace étroit du bateau ou en milieu urbain avec de belles plongées et contre-plongées.D'autre part la magnificence des paysages italiens,principalement shootés à Rome et à Ischia Ponte,près de Naples,donne un incontestable cachet visuel à l'oeuvre.Et puis il y a l'histoire,qui fonctionne à la fois sur l'aspect thriller et dans sa dimension psychologique.Ripley est un anti-héros absolu,un psychopathe manipulateur,un mythomane qui n'hésite pas à se transformer en un voleur et un assassin.Cependant rien n'est facile pour lui.Il a bien un plan mais ça ne marche pas comme prévu,les embûches se multiplient et il doit improviser sans arrêt.On est loin des génies du crime pour qui tout se déroule sans anicroche,Tom tombe sur les personnes à éviter,commet des erreurs stupides en voulant trop en faire et doit jouer à cache-cache avec la police,s'adaptant en permanence pour arriver à ses fins,ce qui entraîne une succession ininterrompue de scènes tendues qui voient ce malfaiteur évoluer sur une corde raide de laquelle il peut choir à tout moment.Ce polar excitant s'étoffe d'une double introspection concernant Ripley et Greenleaf.Le premier ne veut pas seulement dévaliser le second,il veut être Philippe.C'est un vampire qui imite sa victime,sa façon de parler,sa signature,qui prend son identité,qui porte ses vêtements et qui veut également prendre sa femme,se transformant en lui dans une osmose malsaine défiant la raison.Mais cette fascination semble réciproque car Philippe,qui n'est pas stupide et décèle vite les intentions de Tom,ne fait rien pour arrêter cette spirale dangereuse qu'il voit prendre forme.Sans doute,aveuglé par son arrogance et son goût du jeu,pense-t-il dominer facilement la situation tout en croyant Ripley incapable au fond d'accomplir ses funestes desseins.Evidemment on peut distinguer dans cette relation bizarre un arrière-plan homosexuel,chacun pensant,au moins symboliquement,posséder l'autre.Dans cette optique,le fait que Tom finisse par baiser Marge pourrait être vu comme l'accomplissement par procuration de ce désir inavoué.Le film est dans l'ensemble très fidèle au roman,à part la conclusion terrible en forme de twist qui moralise in extremis un cheminement jusque-là d'un cynisme total.Alain Delon est un Ripley extraordinaire,jouant en virtuose de sa froideur charismatique.Il occupe brillamment l'écran dans un rôle qu'il s'est battu pour obtenir.Au départ Clément et les Hakim voulaient qu'il incarne Philippe mais le comédien a argué du fait qu'étant lui-même un voyou il était nettement plus proche de Tom,ce qui se vérifie à l'image.L'irresponsable Greenleaf a donc échu à son pote Maurice Ronet,parfait en connard friqué plus malin qu'il n'en a l'air mais pas assez toutefois pour échapper à son sort fatal.Se faire tuer et balancer à la baille par Delon était un peu une habitude pour lui car ça recommencera, avec de l'eau douce pour changer,dans "La piscine".Marie Laforêt est bien jolie mais joue très faux,il faut préciser à sa décharge que c'était plus une chanteuse qu'une actrice et que c'était son premier film.L'italien Erno Crisa a énormément d'aisance et de prestance en policier italien pugnace et Billy Kearns est marrant en jet-setteur à grande gueule.Si Laforêt débute au ciné,la vieille Elvire Popesco y fait sa dernière apparition.Il était temps que ça s'arrête car son surjeu insupportable ne l'a jamais quittée.On a la surprise de voir fugitivement apparaître le charmant minois de Romy Schneider,sans doute parce qu'elle devait être la copine de Delon à l'époque.

pierrick_D_
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le 12 août 2022

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