Pleasantville
7.2
Pleasantville

Film de Gary Ross (1998)

Mon grand père n'apprécierait pas ce film... - Analyse -

Nombreuses sont les œuvres dystopiques dans le domaine artistique, aussi bien en littérature, avec le XXème siècle en fer de lance, mais également et bien évidemment en ce qui nous concerne aujourd'hui, au cinéma.
Pleasantville en fait bien entendu partie. Il fait d'ailleurs partie des films que je trouve trop méconnu, et c'est en cela que j'estime qu'il vaut le coup d'oeil. Pour résumer rapidement, ce film condense et symbolise le passage des sociétés occidentales traditionnelles, avec ses valeurs conservatrices et libertaires aux sociétés modernes, avec valeurs libérales, libertines et psychédéliques (dans son sens strict). Et dans cette matière, Pleasantville excelle. Percute même, dû à une idée de génie qui fera ressortir le caractère hautement symbolique du film, qui pour moi fait partie de ce genre de film quasiment parfait, qui traite, dirige et filme son propos de bout en bout. Pourrais-je dire qu'il fait partie de mes films préférés ? Sans problème. Mais il va falloir que je m'explique. Forcément.
Cette critique portera de ce fait essentiellement sur les personnages qui sont en leur caractère et leurs actions un très bon fil rouge pour l'analyse de votre serviteur.


Hum... Il va me falloir pour débuter repréciser le propos du film, par un passage rapide sur son scénario. Et sur les personnages. Nous avons donc en héros Tobey Maguire, avec sa tête juvénile, qui se retrouve aspiré dans une série des années 50, Pleasantville (qui est aussi le nom de la ville) avec sa sœur, jouée par Reese Whitherspoon. Et cela en raison d'une punition pour leur mauvais comportement. Il remplace ainsi dans le casting de Pleasantville la fratrie des époux Parker (William H Macy & Joan Allen, je reviendrai dessus), cantonnant les personnages de Bud et Mary Sue.
La société dans laquelle ils sont projetés est une société conservatrice américaine post-seconde guerre mondiale, très bourgeoise, où les valeurs de la famille, de l'autorité masculine, de la religion et de la stabilité sont parmi celles les plus importantes. On retrouve la figure du pater familias, très prégnante au début du film, associé au personnage de William H Macy, prude, traditionnel, refusant le changement en tout point, se reposant sur ses acquis ancestraux que les cultures de l'Europe ont transmise depuis la naissance des premières sociétés qualifiées de moderne. Pleasantville va donc s'amuser, de manière assez cynique, à retourner les valeurs que le père, et plus généralement l'autorité paternelle, s'exaspère à combattre. Cette figure est de plus exacerbée par le gardien suprême de ses ressorts, à savoir le maire de la ville. Contrairement à ce que l'on pourrait penser aux premiers abords, c'est donc pour moi le personnage de George Parker qui est central au film, c'est à travers sa vision que l'on va voir tout le monde qu'il a forgé s'effondrer, perdant ce pourquoi il s'est engagé à se battre. Il sera dès lors toujours dans l'incompréhension la plus totale à ce dont il passe, très candide, abasourdi par l'ampleur de la destruction de son univers commun, ce qui est d'ailleurs rendu très touchant par le travail de l'acteur H. Macy. Belle performance.
La figure antinomique du rôle du père est Mary Sue, aseptisé à l'univers de Pleasantville, à tout ce qui caractérise son innocence, voulant jouir, s'amuser, ne pas prendre en compte les figures de pouvoir, les choses établies strictement. Elle représente l'inversion des valeurs au niveau nietzschéen du terme, c'est à dire partir d'une société trempée, flétries de coutumes ancrées au plus profond des mentalités du groupe, et qu'un être, en la personne de Nietszche, briseur, para-occidental, anticlérical et surtout des plus révolutionnaires campé dans le personnage de Mary Sue pour faire changer l'état d’esprit ambiant. Ainsi, c'est son personnage qui va amener la vague de changement et va impacter de manière irrémédiable la vie de la communauté de Pleasantville. Le renversement des valeurs va donc commencer lorsque notre anti-héroine va rencontrer le feu Paul Walker, beau gosse de luxe, mais coincé dans les ressorts cinématographiques des canons culturels de la série et de Pleasanville. Et c'est de là que tout le symbolisme du film part. Mary Sue tombe dans un monde qu'elle ne comprend pas, et qu'elle n'essaye pas de comprendre. Elle est issue d'une génération de la société américaine qui trouve ses fondements idéologiques implicites dans les mouvements de libération de pensée, comme le mouvement hippie de la fin des années 1960, ainsi que les débuts de l'ultralibéralisme initié par Reagan et Thatcher. Elle représente de ce fait la jeunesse américaine des années 1990, libérée des chaînes sexuelles, des carcans familiaux paternalistes, qui croit revivre les espoirs de l'American Way of Life dans un aspect dévergondé. Ainsi, elle va nettement transformer feu Paul Walker, personnage cliché de prince charmant, qui ne connaît rien du sexe, enfermé dans une pudeur traditionaliste qui l'oblige à croire qu'un acte charnel se résume à des petits bisous tout mignons sur la bouche. C'est chou tout ça hein ? Sauf que Mary Sue va avoir vite fait de lui inculquer les bonnes valeurs de la copulation, commençant par là-même la transformation complète de Pleasantville. Et là mes chers amis, ça va devenir TRES intéressant.
Le film adopte quelque chose de simple mais de très abstrait : la gestion cinématographique de la couleur. En effet, Pleasantville étant une série des années 50, elle est tournée en noir et blanc, et le monde contemporain est représenté lui en couleur. Au début du film, on peut voir un léger extrait, certes très adolescent, de ce qu'est la vie dans les lycées/universités américaines de la fin du XXème siècle. Et ceci est représenté intégralement en couleur. Bud et Mary Sue vont vite se rendre compte (en réalité immédiatement, ça ne paraît pas très compliqué d'un côté) qu'ils voient le monde en noir et blanc, une fois aspirés dans Pleasantville. Et cette couleur représente à part entière le conformisme, l'apanage d'une société passée mais gravée pour l'éternité. Car le film remarque à quel point les choses ont changé depuis ses années. Alors, certes, et il enfin temps pour moi de le dire, cela est basé sur de nombreux clichés. Mais c'est parfaitement contrebalancé du fait que l'on se retrouve dans le champ d'une série, donc d'une œuvre de fiction, donc de quelque chose dont il est justifié qu'il use de lieux communs et qu'il en rajoute sur beaucoup de points. Enfin, subjectivement, pas tant que ça, mais bon, subjectivement niark niark.


Attelons-nous dès, enfin, une analyse de ces fameuses valeurs, retranscrites point par point par votre serviteur. Celui-ci, à défaut d'être parfaitement exhaustif, s'engagera à ressortir deux changements conséquents et historiques, qui marquent grandement notre monde occidental. Comme progression, je décrirai la situation initiale, les péripéties, et la situation finale. Ouais, c'est très littéraire comme présentation, mais cela a au moins le mérite d'être clair.
Le premier consacre le rôle de la femme dans notre société, et est incarné par Joan Allen (j'avais promis que je reviendrai dessus, après ça vous pouvez me croire sur parole). Au début du film, elle représente a contrario de son mari la femme dominée, la figure maternelle pure, propre à s'occuper de la cuisine, des tâches ménagères, de tout ce qui constitue en réalité le foyer, mais non pas en tant que véritable maîtresse de sa maison comme dans la culture grecque, mais surtout en statut de femme « de ménage », verbatim, et de surcroît toujours avec le sourire et le zèle le plus prompt. Progressivement dans le film, son statut va évoluer en même temps que sa propension à retrouver des couleurs. Car oui, toutes les actions qu'elle entreprendra la mèneront dans ce sens, notamment celle adultérine (l’élément perturbateur) avec le serveur Bill, qui aura le droit à son moment de gloire lui-aussi. On y reviendra. A la fin, elle se retournera même contre son mari, renversant le leadership familial, et prouvant l'évolution de nos sociétés vers des canons plus égalitaires, surtout dans les genres. On a donc bien un passage de la tradition vers la société actuelle, qui sera de surcroît accompagné par Bud qui facilitera la transition. C'est d'ailleurs son principal rôle. Il sera l'intermédiaire explicatif et sentimental de la transformation profonde des personnages.
D'ailleurs, son impact le plus fort concernera Bill, le fameux employé du restaurant du coin. Au début, il se trouve totalement enfermé dans son personnage, dans son rôle scripté qui ne lui permet pas de pouvoir s'exprimer et qui annihile toute originalité quant à sa manière de vivre. La scène où celui lave le comptoir de manière répétée voire frénétique voire d'une mécanique inhumaine (on se fait plaiz' avec les « voire » sisi), dû à une rupture dans ses habitudes, n'en est que plus révélatrice. On retrouve d'ailleurs cela lorsque les joueurs de basket rate l'ensemble de leur panier alors que le script de la série n'admettait que du 100% de réussite (scène très drôle en passant). A nouveau, Bud va « travailler » le personnage, va faire évoluer son statut de simple « benêt » de service pour en caractériser un des personnages les plus marquant du film. Car c'est dans son rapport à l'art, à l'expression, et de manière générale son ouverture d'esprit qu'il va profondément impacter l'ensemble de la ville, continuer de désabuser notre pater familias en passant et ouvrir la porte à une profondeur et une portée nouvelle dans le film : le totalitarisme.
Et ouais, le totalitarisme. Il est là, il est prégnant, mais le sens du film l'entoure, le rend intimement dangereux. Mais il s'agit là d'un totalitarisme abstrait, au niveau de la pensée, de l'esprit, de l'inconscient. Car Pleasantville s'avère être un lieu totalement aseptisé au niveau de la conscience, de l'idéologique, à la réflexion. Et le changement de Bill, qui va insuffler ce mouvement de changement, est l'élément perturbateur aussi bien pour son changement de conditions, mais pour la ville entière. Car il va peindre (utilisant de ce fait les couleurs, apparaissant par petite touche en même temps que l'évolution du personnage) des fleurs, des objets divers et variés, allant même jusqu'à faire un nu de Mme Parker ! Et la société des hommes, avec le maire donc en tête, va se rebeller contre sa créativité. Et là se trouve le totalitarisme. Car cette société réfute tout idée de changement, d'évolution, et incarne par là même le conformisme donc, mais également l'obscurantisme. Et c'est ce qui frappe le plus dans le film. Ils se battent littéralement pour cet vision fermée des choses, agissant tel un gouvernement qui souhaite opprimer la liberté de penser, qui est pour moi la seule vrai liberté existante dans ce monde.


Cela parce que l'homme est toujours comprimé par des contraintes sociales, morales, politiques, éducatives, relatives au respect, au droit, il n'est jamais totalement libre : il fait partie d'un monde et se doit d’interagir avec lui. Donc ceux qui me disent "Je fais ce que je veux", Ouais ouais. Mais non. Il suffit juste de prendre avec recul ce que l'on fait. On remarquera que ceux qui s'écartent des normes sont soit marginalisés, soit pris pour des fous. En effet, un serial killer n'est pas humainement ou spirituellement fou, il l'est socialement. Il est toujours animé par sa propre réalité, ses propres objectifs qui rendent sa vision de la réalité, propre à chaque être, totalement logique. Je citerai trois exemples cinématographiques qui en sont révélateurs : John Doe dans Seven, Hannibal dans Le Silence des Agneaux, et Lou dans Nightcall. Osez me dire qu'ils sont fous, vous aurez rapidement ma réponse. D'ailleurs, n'allez vous pas pensez que me faire l'avocat du diable ne fait pas aussi de moi un fou ?


Pour conclure, Pleasantville est un excellent film, beaucoup plus profond que ce qu'il pourrait être au premier regard. L'utilisation de la couleur comme symbole du changement est parfaitement dosée, et celui-ci est inéluctable, il fait partie de la nature même de nos sociétés humaines. Je finirai donc en revenant à notre bon vieux Georges : à la fin du film, il accepte la réalité : Pleasantville ne restera pas ce qu'elle a été, elle a profondément changé, elle fait partie du monde, elle ne représente plus qu'un passé lointain, le reléguant à son statut d'Histoire. Et George lui-même apprendra à apprécier ce monde tel qu'il est : libéré, composée de millions de choses incontrôlables qui le rendent touchant, qui donne pour ainsi envie de vivre la vie. Car le film est un aune à la vie, à la créativité, à ce qui fait que chaque expérience humaine est différente, composée de bonheur mais aussi l'inverse. Et c'est le propos encore plus essentiel du film. Une critique du totalitarisme spirituel pour atteindre de toute manière le bonheur. Pour finir ma plus longue critique sur une citation bien disposée (Champagne?), comme disait Platon : «  Une vie qui ne se met pas elle-même à l'épreuve ne mérite pas d'être vécue » : N'est ce pas Georges ?

Simon_Besançon
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le 5 avr. 2015

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