Durant l'été 1996, sortait en salles dans l'indifférence générale, un petit film de science-fiction, production modeste en grande partie canadienne, dont l'exploitation se dilua dans le raz-de-marée tonitruant du surestimé Independence Day, blockbuster propagandiste du subtil tâcheron teuton, Roland Emmerich.


Réalisé par le québequois Christian Duguay, Screamers (titre original du film) est l'adaptation d'une nouvelle méconnue du célèbre auteur de science-fiction Philip K. Dick, un court récit intitulé Second Variety (Nouveau modèle, disponible dans le recueil Minority Report et autres histoires) et dont la trame reste sensiblement la même que celle du film, bien qu'elle aurait nécessité plus de moyens au vu de l'ampleur de son contexte.


Comme beaucoup le savent, Philip K.Dick est généralement considéré comme le plus grand auteur de réalités truquées et tronquées, mettant invariablement en scène dans ses romans et nouvelles, une humanité aux confins de la paranoïa dès lors qu'elle se dilue dans de parfaits simulacres virtuels. Son oeuvre servit notamment d'inspiration à de véritables classiques du cinéma de SF tels Blade Runner, Total Recall, Minority Report. Des oeuvres mémorables ainsi que des productions monumentales, loin du budget minimaliste de Screamers.


Si la trame du film reste inchangée, le scénario (signé Dan O'Bannon) se permet toutefois quelques modifications. Epoque oblige, les puissances belligérantes ne sont donc plus les Etats-unis et l'Union soviétique mais deux blocs économiques fictifs, leur champ de bataille n'est plus une Terre ravagée mais une lointaine planète répondant au doux nom de Sirius 6B.


Dans un lointain futur, bien après la conquête spatiale, une guerre oppose deux corporations, le NBE, (représentant le patronat et les intérêts financiers) et l'Alliance (constituée de scientifiques et de militaires insurgés). L'enjeu de leur conflit reste l'exploitation d'un précieux minerai extrait des sous-sols de la lointaine planète coloniale Sirius-6B. Le conflit s'éternisant et s'étendant à d'autres planètes (d'après ce qui nous est expliqué), l'Alliance met au point une nouvelle arme, l'Epée, sous la forme d'un petit androïde meurtrier à l'allure de rongeur métallique, conçue pour s'attaquer à toute forme de vie organique. Baptisés également Hurleurs à cause du cri strident qu'ils poussent en attaquant et dont le niveau de décibels étourdit leurs proies, les petits androïdes disposent d'une lame circulaire tranchante en guise de museau. Les militaires de l'Alliance se prémunissent contre toute attaque de leur propre création en portant un bracelet cachant leur pouls aux Hurleurs, ainsi incapables de les repérer et les attaquer. Quelques mois après l'invention des Hurleurs et leur libre-circulation sur Sirius 6B, l'Alliance s'apprête à gagner la guerre, les troupes du NBE étant invariablement décimées par les petits robots.


Ce contexte posé, l'intrigue débute en nous présentant une faction reculée de l'Alliance. Dans leur bunker sous-terrain, les militaires, inactifs depuis la création des Hurleurs et donc livrés à l'ennui et l'oisiveté, n'attendent plus que la guerre se termine pour pouvoir rejoindre leurs familles sur Terre. Perdus au milieu d'un désert sans vie, les sentinelles ne cessent de guetter l'horizon, dans l'espoir d'une improbable offensive ennemie. C'est à ce moment-là que se présente à leur porte un émissaire du NBE qui ne tarde pas à se faire littéralement couper en morceaux par les Hurleurs environnant le bunker. Les soldats de l'Alliance découvrent que le bougre était porteur d'une missive de son état-major requérant une trêve et un pour-parler. Le commandant de la base de l'Alliance, Joseph Hendrickson (Peter Weller, toujours excellent, même sans son costume de Robocop), décide de partir lui-même à la rencontre des dirigeants du NBE, accompagné de Jefferson, une bleusaille zélée, fraîchement débarqué sur la planète. Commence alors le voyage des deux hommes à travers les décombres d'anciennes villes industrielles, réduites à néant par les bombardements. Durant leur périple, authentique odyssée à travers les ruines, ils recueillent un petit garçon ayant miraculeusement survécu au carnage. Une fois atteint le QG de leurs adversaires, les deux hommes découvriront non seulement qu'il y a belle lurette que le NBE a déserté la planète mais aussi que les Hurleurs sont devenus autonomes tant dans leur reproduction que leur évolution. Les derniers modèles ressemblent ainsi traits pour traits... à des humains. Reste à savoir si ceux-ci n'ont pas infiltré le groupe.


Ambitieux tant dans son background futuriste que dans les thématiques qu'il aborde, le scénario ne s'écarte que très légèrement du concept imaginé par Dick. Le motif de l'apparence trompeuse, du leurre, est ici habilement exploité. On retrouve l'obsession dickienne pour les simulacres d'humanité et même de réalité. Car les militaires découvriront très vite que depuis leur mobilisation, le conflit a évolué sans même qu'ils s'en rendent comptent. Ainsi, loin de toute civilisation, entretenus par les mensonges de leurs états-majors respectifs, les survivants des deux camps découvrent tardivement que le contexte politique a changé hors de Sirius 6B, que le conflit est terminé depuis belle lurette sur Terre et qu'eux ont tout bonnement été abandonnés sur cette planète désolée, leurs hiérarchies n'envisageant à aucun moment de se risquer à perdre du temps et de l'argent à les rapatrier. C'est ainsi qu'Hendrickson et son équipier s'allient à trois soldats du NBE afin d'affronter les vagues incessantes de David, nouveau modèle de Hurleur, décalquant l'apparence et l'attitude inoffensive et adorable d'un petit garçon pour mieux infiltrer les groupes humains qu'il décime ensuite sans distinction. Pour ajouter au problème, Hendrickson découvre qu'il existe certainement d'autres modèles humanoïdes de Hurleurs mais n'en connaît pas l'apparence. Ainsi, il se peut que certains de ses nouveaux compagnons ne soient pas ce qu'ils prétendent être.


Le récit plonge alors doucement dans la paranoïa, entretenant efficacement le suspense via un climat de défiance entre les personnages lesquels finissent évidemment par s'accuser à tour de rôle. Habile, sans jamais atteindre le degré d'excellence de The Thing, le scénario (un fond de tiroirs exhumé dix ans après sa rédaction) concocté par Dan O'Bannon, le même qui écrivit près de vingt ans plus tôt le premier jet d'Alien le huitième passager, s'appuie sur un whodunit classique et met en avant l'attitude de ses personnages pour orienter les spéculations du spectateur sur leur nature (humain ou robot ?). Ainsi, les répliques récurrentes, répétées trop souvent par le même personnage, sonnent-elles comme une trahison de la part d'un Hurleur infiltré, les robots tout aussi parfaits soient-ils en apparence, ne disposent que d'un maigre choix de mots et sont victimes de tics verbaux irrépressibles. Cela peut-être une répétition convulsive ("Can i come with you ?") ou une citation déférente à Shakespeare.


Le suspense s'articule ainsi sur la suspicion de chaque protagoniste et sur les attaques soudaines des Hurleurs, précédées de leurs cris glaçants. N'ayant jamais l'ambition de pousser très loin la réflexion sur le simulacre, (ne nous emballons pas, nous sommes dans une authentique série B, pas dans Blade Runner, ni Ghost in the Shell), Duguay dilue plusieurs thématiques majeures de la littérature SF dans son film. Ainsi trouvons-nous un peu du cyberpunk dans l'évocation de ces deux corporations rivales et toutes puissantes, disposant chacune de leur propre milice privée, et dont la puissance économique conjuguée semble avoir eu raison du concept-même de nation (de la notion de patrie en diluant toutes les nations dans leurs intérêts financiers).
Cet aspect de l'histoire tend d'ailleurs à rapprocher le scénario de Screamers du premier traitement élaboré (et évidemment non retenu) par Ed Neumeier pour Robocop 2. Un premier script alors intitulé Corporate Wars, et qui opposait, dans un lointain futur, l'OCP à l'une de ses corporations rivales, les deux firmes étant devenues dans un contexte dystopique et cyberpunk les deux principaux blocs économiques et militaires du monde.
Ceci dit, il y a aussi quelque-chose des Réplicants de Blade Runner (les Nexus 6 du même Dick) dans l'attitude des Hurleurs, à travers leur farouche volonté de transcendance. Les Hurleurs étant une espèce aussi belliqueuse qu'en constante évolution, ils semblent réellement aspirer à une certaine forme d'humanité tout en s'émancipant de leurs maîtres.
Et même trouve-t-on un peu de L'invasion des profanateurs de sépultures, à travers ces androïdes qui usurpent les identités des défunts et en adoptent l'apparence.


Le plus emblématique de ces "imposteurs" est bien le personnage de Becker (Roy Dupuis), fantassin du NBE et véritable bad guy du film, tout en répliques cyniques et sarcasmes sadiques, entre deux citations shakespeariennes. Ses tirades nihilistes reflètent l'ambivalence du personnage tout en soulignant l'absurdité de la situation. Une des plus mémorables est celle où il prend à parti le bleu accompagnant Hendrickson :

"Il est assez évident que t'es une nouvelle recrue. Tu penses que tu es le centre de l'univers mais tu ne l'es pas. Nous ne sommes que de petits points insignifiants toi et moi. Nous n'allons pas changer le monde. Nous ne ne gagnerons pas la guerre. Personne ne se souciera de notre mort."
La réplique à elle seule, prononcée avec emphase par le personnage comme un acteur en pleine représentation, résume la situation inextricable dans laquelle se trouve les personnages : les adversaires d'hier n'ont plus aucune raison de se battre, car de guerre il n'y en a plus et le reste du monde les a oubliés sur cet astre désolé.


Aussi curieux et sarcastique qu'un enfant cruel, Becker semble bel et bien se délecter dans sa fonction de comédien, s'intégrant au groupe pour mieux le morceler de l'intérieur en orientant la suspicion. La larme qu'il a, tatouée au coin de l'oeil, rappelle celle d'un clown blanc, exilé loin de son cirque. Simulacre insidieux aux penchants ouvertements sadiques, Becker poussera le vice jusqu'à voler lui-même les apparences de ses victimes. Son attitude perverse et sans équivoque contraste donc avec celle de Jessica, autre "intrus" du groupe, qui elle, s'humanise au point de tomber amoureuse d'Hendrickson et de comprendre les notions de sacrifice et de remord.


Outre des références et thématiques purement science-fictionnelles, quelques éléments du scénario de Planète Hurlante évoque aussi une autre oeuvre qui n'a quant à elle aucun rapport évident avec le genre. Le début de l'intrigue expose ainsi des militaires oisifs, cloîtrés dans un avant-poste perdu dans le désert, attendant que survienne un ennemi dont la réalité-même semble discutable. Un point de départ qui n'est pas sans faire penser au roman Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, ne serait-ce que pour son seul contexte, qui voit des militaires se rendre compte qu'ils ont été "oubliés" par le reste du monde, sur une terre désertique et dépeuplée. Ici, il s'agit de deux milices rivales abandonnées à leur antagonisme, réduites à se toiser sur le sol dévasté de cette planète hurlante. De même que Drogo passait sa vie dans l'attente de combattre un ennemi invisible et légendaire, Hendrickson semblait bel et bien promis à la même destinée si ce malencontreux émissaire ne s'était pointé devant sa porte.


Evidemment la comparaison s'arrête là, l'intrigue de Screamers se bornant à reproduire en milieu de métrage, le schéma narratif d'un Alien (déjà écrit par O'Bannon) instaurant un climat anxiogène pour mieux justifier la fuite en avant de ses protagonistes dans un remarquable crescendo horrifique.
Efficace sans être transcendant, le film se voit hélas régulièrement nivelé par le bas à travers des effets spéciaux archaïques (même pour 1996), voire carrément anachroniques, qui ne peuvent jamais suivre les ambitions du récit. Techniquement, Planète Hurlante a bien dix ans de retard sur son époque, faute à son budget minimaliste. Le film est ainsi un des derniers à offrir une combinaison de matte paintings pour figurer le contexte post-apocalyptique et un mélange d'animatroniques et de stop-motion pour animer des Hurleurs pas toujours convaincants. Un paradoxe quelque peu ironique quand on pense que le film a été produit en pleine époque de l'essor des effets numériques. (Quinze ans plus tard, la suite tardive et dispensable du film corrigera ces défauts par des SFX numériques low cost).


Ces scories un rien frustrantes n'empêchent pas pour autant de reconnaître et d'apprécier les nombreuses qualités de ce "petit" film de genre, qui n'a jamais manqué de taper dans l'oeil des connaisseurs. Car en l'état, Screamers reste un excellent survival futuriste des 90's, digne représentant d'une SF hardcore, faite de sang, de crasse, de rouille... et de hurlements.

Buddy_Noone
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le 27 janv. 2016

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