Éreintés d'enchaîner échec sur échec dès que leurs productions ne sont plus issues de grosses franchises, Walt Disney Pictures rompent leur association avec Jerry Bruckheimer en 2013 après le plantage presque historique de Lone Ranger, Naissance d'un Héros.
Rupture de courte durée néanmoins car après pas mal d'insistance de la part de Bruckheimer et une demande de réécriture de script, un an plus tard, Disney réengagent le producteur puis relancent le développement d'un cinquième film de leur saga culte: Pirates des Caraïbes.


Et comme toutes les relances actuelles de grandes séries de films, la Maison de Mickey espère réconcilier les fans de la première heure avec la saga après la déception engendrée par La Fontaine de Jouvence en misant sur le fan-service. Jerry Bruckheimer nous promet donc un retour aux sources plus dans l'esprit de la trilogie de Gore Verbinski. On fait revenir Johnny Depp, Geoffrey Rush, Kevin McNally mais aussi Orlando Bloom, l'équipage du Black Pearl presque au complet et les événements du quatrième film sont presque ignorés malgré le rappel de certains éléments (la jambe de bois de Barbossa, je ne répéterai jamais assez combien je maudits celui qui a eu cette idée).


La production de Pirates des Caraïbes: La Vengeance de Salazar mériterait un livre tant le projet a été sans cesse retardé et subi des révisions scénaristiques de dernière minute. Dès 2011 déjà, à cause du mauvais accueil de La Fontaine de Jouvence, Bruckheimer demande à Terry Rossio de revoir le scénario qui devait être une suite directe du quatrième opus. Après la suspension puis la relance du film, Rossio est finalement écarté pour que Jeff Nathanson réécrive l'histoire tout en conservant quelques éléments pensés par l'ancien scénariste.


Quand en 2015, le tournage principal est enfin lancé, pas de bol, Johnny Depp se blesse et doit être hospitalisé tandis que d'autres accidents sont signalés sur le plateau. Le retardement des prises se fait attendre et les dépenses dépassent les coûts initialement prévus. En Juillet, tout est enfin bouclé mais pour des raisons étranges, le film ne sortira qu'à l'été 2017 soit deux ans de post-production. Mais ça ne s'arrête pas là, des reshoots ont lieu vers Mars 2016 notamment pour inclure Paul Mcartney au casting. Après tout, ils ont encore du temps devant eux. Et fin Novembre, alors que les premiers teasers sont déjà sur le Net, Keira Knightley tourne dans le plus grand secret une petite scène, probablement due à son contrat avec Disney l'ayant fait tourner The Nutcracker and the Four Realms le même mois. Si jamais ce Pirates 5 fait un bide, peur justifiée par la baisse de popularité de Johnny Depp, les fans pourront au moins revoir une dernière fois tous leurs personnages préférés. Une opération de la dernière chance.


Un air de déjà-vu? C'est normal. Pas pour rien qu'en 2014, Orlando Bloom avait parlé d'un "soft-reboot" pour qualifier ce nouveau volet. Disney reprennent leur formule o'combien haïssable des reboots déguisés en suites comme ils l'ont fait pour Star Wars. L'objectif est de rassurer les puristes et de faire oublier le vilain petit canard de la franchise. Prochainement, c'est Cars qui devrait en payer les frais.


Johnny Depp a tourné ce Pirates des Caraïbes 3 mois après bouclé le tournage d'Alice de l'Autre Côté du Miroir et le délais n'a visiblement pas été assez long pour le remettre dans le bain. L'acteur a l'air fatigué de refaire encore les mêmes grimaces et paraît presque bourré (à en croire les témoignages qui ont fuité, on est pas loin de la réalité).
La crise existentielle que vit Sparrow sur l'impossibilité pour lui de naviguer librement, allant jusqu'à se noyer dans l'alcool, aurait pu être une excellente continuation de l'ère de Jusqu'au Bout du Monde en plus d'apporter de la fragilité au personnage que nous connaissons mais non, aucune prise de risque sur ce terrain-là, tout ça n'a que pour but de le faire revenir à sa situation vue lors de la fin de La Malédiction du Black Pearl.


Mais plus horrible encore, Jack Sparrow est le plus gros boulet du film. Passé la joie de le retrouver dans le premier quart d'heure, chacune des répliques du pirate devient une punchline idiote nous faisant presque regretter La Fontaine de Jouvence. Le personnage est tout le temps à côté de l'action et ne change rien au scénario, il passe même pour un touriste!


Le film vient nous narguer avec un flashback, maladroitement imbriqué mais respectueux du personnage, où un jeune Jack Sparrow rajeuni par ordinateur use de sa malice pour enfermer Salazar dans le Triangle du Diable. Voilà le héros que nous voulions voir! Pourquoi faut-il remonter 30 ans en arrière pour que le personnage soit à nouveau celui des trois premiers films?
La fin essaiera de créer un parallèle avec ce moment de bravoure mais rien à faire, Sparrow n'a en rien mérité le titre de capitaine, il n'a fait que fuir le combat et réprimander les autres. Il est définitivement au bout du rouleau.


À l'inverse, c'est Barbossa qui, comme à chaque fois me dira-t-on, sauve le navire du naufrage. L'ancien second/ennemi de Jack récupère enfin sa classe d'antan, le scénario a la bonne idée de donner un peu plus de profondeur émotionnelle au capitaine et, bien qu'on le voit venir à des kilomètres, ça marche assez bien. Geoffrey Rush, contrairement à Johnny Depp, semble très content de revenir dans la peau du vieux flibustier.


Il y a aussi des bonnes surprises pour les nouveautés. À commencer par Carina Smyth, jouée par Kaya Scodelario. Le personnage parvient à faire oublier Elizabeth par son indépendance et sa débrouillardise déjà acquises dès le début de l'histoire, on sent en elle un vrai esprit d'aventure nous donnant envie de voyager à ses côtés. Dommage que le film se sente obligé de la relier à une des icônes de la saga comme s'il était impossible pour les nouveaux protagonistes de s'émanciper de leurs modèles d'origine.
Parfait exemple pour ça, Henry Turner qui est juste un sous-Orlando Bloom et qui reste constamment dans l'ombre de son père. Brenton Thwaites ne dégage absolument rien et pareil pour lui, l'histoire aurait été la même sans sa présence.


S'ajoute à cette grande famille de cabotins en puissance le nouveau venu Javier Bardem dans le rôle du Capitaine Salazar qui, pour anecdote, devait à l'origine être joué par Christoph Waltz. J'imagine que pour choisir quel accent serait le plus rigolo à entendre l'allemand et l'espagnol, Bardem l'a remporté avec son "Jack Sparoooooou". On pensait que l'acteur ne pouvait pas plus cabotiner après Skyfall, nous nous trompions, ceci n'était qu'un avant-goût de sa performance défoncée au LSD. Ses apparitions sont très réussies mais le fantôme n'est pas autant mis en avant qu'un Davy Jones, la menace qu'il représente est donc moins frappante. Il n'en a pas non plus la même épaisseur, sa seule motivation étant de tuer Sparrow. Leur rencontre n'est donc pas palpitante, ce dernier faisant évidemment des blagues jusqu'à n'en plus finir.


On se console néanmoins par l'action. Joachim Ronning et Espen Sandberg délivrent un grand spectacle à la hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre de Pirates des Caraïbes. Le braquage de banque en début de film, digne d'une attraction, est extrêmement divertissant et les batailles navales sont de retour pour notre plus grand plaisir. Des petites idées appréciables donnent du piment à ces combats comme le Silent Mary pouvant se mouvoir ou la proue prenant vie.


Les producteurs ont entendu les critiques sur la longueur des anciens films, faisant de La Vengeance de Salazar le plus court des 5 opus. C'est une erreur car si on a pas le temps de s'ennuyer, les expositions sont expédiées à la va-vite et ne réservent aucune place à l'émotion.
Comme pour le précédent volet, il n'y a plus d'histoire derrière l'histoire. Pirates des Caraïbes 5 s'en tient à son script et ne va pas au-delà. N'espérons donc pas ressentir de grandes sensations ou de peur pour l'avenir des personnages.


À cela se rajoutent des simplicités d'écriture alarmantes (


le Trident de Poséidon, arme la plus puissante des Océans, réduite en miette par un coup d'épée tout pourri; Shansa récupérant le compas de Jack, son personnage aurait d'ailleurs mérité un meilleur traitement


), du remplissage incompréhensible (le caméo de Paul McCartney, la séquence du mariage totalement hors-sujet avec l'histoire), un humour très inégal tantôt drôle tantôt de fort mauvais goût (combien y a-t-il de blagues sur le sexe dans ce film?) et certains choix de Verbinski passés à la trappe (mon âme de fanboy est heureuse de voir


Will et Elizabeth à nouveau réunis


mais mon âme de fan est énervée de voir


tout le travail de Verbinski à construire une tragédie autour de ce couple effacée par un happy ending général


).


Je pense à l'essentiel. Si jamais la franchise doit s'arrêter, tous les arcs ont été bouclés (du moins, si je ne prends pas en compte la scène post-générique qui doit être la pire que j'ai vu depuis The Amazing Spider-Man en plus d'être incohérente avec la fin du film et promettre quelque chose qu'on a pas envie de revoir).
Disney et Bruckheimer peuvent toujours faire des films d'aventures divertissants autour de l'univers des pirates mais il est grand temps de se débarrasser de Jack Sparrow qui a perdu toute son aura.

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le 24 mai 2017

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Walter-Mouse

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