La série "Pirates des Caraïbes" réussit à marier deux univers pas vraiment parents: la flibuste du grand XVIIIe siècle, et le surnaturel issu de tous les râteliers disponibles. Très amusante, la charge contre l'Angleterre georgienne emperruquée et confite dans sa fatuité d'impérialisme encore heureux. Réussies, les sirènes au regard de velours se transformant en harpies carnassières. Plus vraies que nature, les tavernes enfumées et crépusculaires, les cales et les caves pleines de tonneaux voués à être crevés, les jungles vierges et les îlots de rêve des Tropiques. Le surnaturel contamine même la vie personnelle de Jack Sparrow himself, quand il échange quelques propos avec son père-fantôme vite disparu (Keith Richards).

L'argument du film, un peu trop répété avant le passage à l'action, à savoir la quête d'une Fontaine de Jouvence, dont le besoin semble saisir soudainement Anglais et Espagnols comme une colique, est bien propre à immerger d'emblée dans le merveilleux, ce domaine de l'imaginaire où l'on ne se pose aucune question de logique. Il vaut mieux ne pas trop s'en poser, en effet. La dite Fontaine de Jouvence a l'air de fonctionner sur un mode assez compliqué, prenant aux uns les années qu'il donne aux autres, et relevant de rites païens qui attirent les foudres des représentants de Sa Majesté Très Catholique d'Espagne. En fait, seul le scénario et ses méandres justifient l'existence d'un rituel aussi bizarre, qui met en jeu deux calices trouvés dans le navire de Ponce de Léon, échoué sur une falaise à cent mètres de hauteur, à moitié dans le vide.

Bon, Ponce de Leon a vraiment existé, et son association avec une histoire de Fontaine de Jouvence ne relève pas que des délires scénaristiques d'Hollywood. Je me permets de piller ici "Wikipédia" (copyright Wikipedia et tous ceux qui en feront la demande):

"Selon une légende populaire, Ponce de León découvrit la Floride alors qu'il était à la recherche de la fontaine de Jouvence. Bien que les légendes d'une eau régénérante aient existé des deux côtés de l'Atlantique bien avant Ponce de León, l'histoire qu'il recherchait une telle eau n'apparut qu'après sa mort. Dans son Historia General y Natural de las Indias de 1535, Gonzalo Fernández de Oviedo y Valdés écrivit que Ponce de León cherchait les eaux de Bimini pour guérir son impuissance sexuelle. Des propos similaires apparurent dans l'Historia General de las Indias de 1551 de Francisco López de Gómara. Puis en 1575, Hernando de Escalante Fontaneda, un rescapé d'un naufrage qui avait vécu 17 ans avec des Amérindiens en Floride, publia ses mémoires dans lesquelles il situait la fontaine de jouvence en Floride, et déclarait que Ponce de León était supposé être là pour la découvrir. Bien que Fontaneda doutait que León soit réellement allé en Floride pour rechercher cette fontaine, il lui en fut fait crédit dans Historia general de los hechos de los Castellanos d'Antonio de Herrera y Tordesillas en 1615. Certains historiens ont indiqué que la recherche d'or ou l'expansion de l'empire Espagnol était largement plus impératif que la recherche d'une fontaine ou d'esclaves. L'emplacement mythique de cette fontaine de jouvence se situerait d'ailleurs plus à l'est, dans le golfe du Honduras, plutôt qu'en Floride ou aux Bahamas."

Johnny Depp porte le film, avec ses répliques et ses mimiques dont le rythme évoque les ruptures du tango: mouvement-immobilisation, diction académique-grommellements jaculatoires et indistincts, regards en porte-à-faux avec le mouvement, flegme et panique à contretemps... Tout un jeu sur la distanciation élégante, la rupture, mais aussi l'incrédulité d'un personnage sûr de sa bonne étoile.

Face à lui, Pénélope Cruz nous gratifie de son accent craquant et de son visage pulpeux, Ian Mc Shane compose un méchant Barbe-Noire au visage bossué, qui doit faire son job pour mériter sa damnation finale; Geoffrey Rush s'y colle pour introduire dans l'histoire le corsaire à la jambe de bois, avec humour et classe. Kevin Mc Nally est décidément bien dans la peau de Mister Gibbs, marin aux favoris blanchis très XVIIIe siècle british. Par contre, Sam Claflin et Astrid Berges-Frisbey forment un couple à la fois pâle et improbable, et on se prend à rêver de la présence envoûtante de Keira Knightley, disparue de la série.

Très beau travail artistique pour cibler les atmosphères, les émotions, et penser les décors propres à les susciter. Bel équilibre entre l'humour démystificateur et le recours massif à l'invraisemblable.

Pas pour vieux d'esprit.
khorsabad
7
Écrit par

Créée

le 29 mai 2011

Critique lue 510 fois

2 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 510 fois

2

D'autres avis sur Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence

Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence
Hypérion
3

Va Jack Sparrow, je ne te hais point. Mais ça ne va pas tarder à ce rythme.

A me revoir d'affilée le temps d'une journée de fièvre ce qui était encore pour moi une trilogie Pirates des Caraïbes, je n'ai pas résisté à la curiosité de finalement me pencher sur le quatrième...

le 8 oct. 2012

43 j'aime

2

Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence
Isatis
7

Critique de Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence par Isatis

Bon allez, soyons fous : J'ai kiffé grave. Je vais un peu cracher ma bile sur les gens qui critiquent le caractère prévisible, les acteurs avec la profondeur de mon lavabo, les dialogues naïfs.....

le 18 mai 2011

43 j'aime

7

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14