
Tout commence avec la photo d'un enfant. Ou plus exactement, le souvenir de cette photo. Il y est seul et la caméra s'avance doucement vers son œil jusqu’à ce que l'image ne devienne plus qu’un noir et blanc granuleux et non identifiable.
Piéta se situe entre présent et passé, comme souvent chez Joachim Trier, et c'est la voix-off du narrateur qui fera le liant. Ce souvenir qui n’existe pas, ce souvenir qu’on se créer : ils sont deux enfants, l'un cherche dans le présent des choses dont il se rappellera, l'autre cherche dans le passé des choses qu'il n'a pas vécues. Où est la frontière, et jusqu’où pouvons-nous influencer notre mémoire ?
Le silence d’une salle de classe en plein examen. Le calme avant la tempête. La concentration de chacun. Sa concentration à lui est toute autre. Et tout bascule : les doigts de cette main qu'on voit bouger depuis dessous la table, le sang qui se répand sur le bureau...Dans les fleurs sur cette photo, ils sont deux petits garçons maintenant. Comme si, au fur et à mesure du récit, les détails de cet événement passé devenaient plus précis.
Survoler cette enfilade de tables, c'est comme arriver à sentir le temps qui passe. Voir ces feuilles recouvrir ces lieux connus, c'est comme l'image des souvenirs qui peu à peu s'effacent. Si les limites entre réalité, imaginaire et fantasme sont difficiles à percevoir, le tout prend à la gorge tant ce mélange confus est emprunt de douleur. La douleur d'une mère, la douleur d'un ami, tout est palpable comme si ces sentiments étaient les nôtres.
A l'aide d'un noir et blanc lumineux et d'une image toujours aussi merveilleuse, Joachim Trier parvient avec ce premier court-métrage à trouver une belle intensité. Il n'est pas toujours évident de parvenir à installer l'émotion, de par la courte durée de l’œuvre, mais aussi de par la brièveté de l'action qui y est traitée. Entre grésillement de pellicule et souvenirs brouillés, Piéta sonne comme un rêve : d’un autre temps, d’une autre époque. Une très profonde mélancolie, quelques moments de grâce tels que ce début, cette fin, et ce baiser troublant de beauté. Sans compter la présence d'une merveilleuse bande originale, déchirante et qui va crescendo : les cordes nous brisent le coeur... Le réalisateur norvégien nous livre une petite pépite, brillante et émouvante.