« Parce que je voudrais être dans une comédie musicale. » : dit Karina dans "Une femme est une femme" (1961). Quatre ans plus tard, dans "Pierrot le fou" (1965), elle voudrait vivre comme dans les romans.

Si "Une femme est une femme" s'était véritablement transformé en musical après la prononciation de cette phrase – et non seulement dans le rêve d'une robe bleu à fourrure, mais jusque dans le jeu Karina-Belmondo – cette fois le film de Godard, "Pierrot le fou", n'arrive pas à se transformer en roman, il tournera plutôt à la véritable tragédie. Quelque chose a changé chez Godard, le désenchantement qui hante tout le film, l'hante aussi.

Alors que la Nouvelle vague est passée très vite (9 films en 5 ans), Pierrot le fou apparait comme une véritable remise en question du cinéma pour Godard. Après avoir touché à une variété de sujets et de genres, Pierrot est un film total qui passe du musical, au film noir, par le documentaire, et le roadmovie. Mais si on retrouve des citations littérales de nombreux films des années 50 ("They live by night" (Ray), "Dial M for Murder" (Hitchcock), "La peur" (Rosselini), et j'en passe...) et ce, au point de faire éclater la narration et rappeler avec nostalgie un cinéma que Godard sait ne plus pouvoir pratiquer, ce qui demeure le plus touchant dans Pierrot c'est cette tension constante entre fiction et réalité. Alain Bergala (Nul mieux que Godard, 1999) remarque notamment une citation qui ne se retrouve pas littéralement mais qui pèse sur tout le film, il s'agit de "Monika" (1953) de Bergman. C'est par réminiscence qu'apparait ce film qui avait tant marqué Godard en 1958. On peut observer cette mémoire par réminiscence entre autres grâce à la ressemblance entre la trame narrative, mais aussi grâce à la déconstruction puis reconstitution de certaines scènes. Par exemple, cette scène où apparait le faux-frère, dans le cadre d'une leçon de danse, semble invraisemblable comme élément narratif si on oublie ses liens avec "Monika". C'était alors que celle-ci tentait d'apprendre à Harry à danser que le méchant amant apparait, sorti de nulle part pour rappeler que le couple n'est pas véritablement seul, rappeler qu'il s'agit d'une fiction, que nous spectateur sont aussi voyeurs, qu'il ne peut s'agir au fond, de la réalité. Mais enfin, c'est Monika que l'on retrouve en Karina. Alors que le couple Godard-Karina en est à ses derniers instants, c'est le même regard-caméra, « le plan le plus triste de l'histoire du cinéma », que l'on retrouve de la part de Karina qui « [veut] vivre », et qui tout comme Monika choisira « l'enfer contre le ciel ». Le fatum pèse sur le couple tout comme il pèse sur Harry et Monika. Après avoir tué Marianne (Karina) c'est par un suicide tragique, – mais toujours dans l'hésitation la plus explicite – que Pierrot se fera éclater la tête. C'est donc dans le doute, mais indubitablement que Godard met fin cette fois ci non seulement à un personnage, mais à un Godard, à une façon de tourner. Ce désenchantement qui hantait Monika, c'est le même qui hante Godard en 1965, désenchantement d'un cinéma qui ne peut se contenter de citer, qui doit désormais agir (on le voit par ailleurs dans Pierrot dans l'interdiscours avec les actualités et la publicité de plus en plus important). On ne retrouvera désormais plus le lyrisme des vagues de la Méditerrané ou l'émotion qui ressort d'une simple synchronie entre le crescendo de Duhamel et ce mouvement de caméra vers le ciel dans ses films suivants. "Masculin-Féminin", "2 ou 3 choses que je sais d'elle" et "La Chinoise" auront la froideur de véritables enquêtes sociologiques...
christou
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le 1 janv. 2011

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