A la veille de Noël, le lieutenant John McClane de la police de New York, débarque à Los Angeles pour y rejoindre sa famille. Il doit retrouver son épouse, Holly, avec qui il est en froid, dans la tour de bureaux où elle travaille désormais, le Nakatomi Plazza. Arrivé là, alors qu’une réception bât son plein, John a à peine le temps de retrouver sa femme qu’un commando de terroristes fait irruption dans l’immeuble et prend l’essentiel des employés de Nakatomi en otages. Il est le seul à échapper à la vigilance des terroristes. Prisonnier d’une tour de 40 étages où il doit affronter le terrible Hans Gruber et ses sbires, John McClane va vivre un réveillon de Noël… inoubliable.


En 1987 sortait sur les écrans Predator dont le succès planétaire conforta la popularité de sa star musculeuse Schwarzenegger tout en propulsant la carrière de son réalisateur, le méconnu John McTiernan, et enrichissant le compte en banque de son producteur, le nabab Joel Silver. A cette époque, Silver s’intéresse de très près à l’adaptation à l’écran du roman noir Nothing Lasts Forever de l’auteur américain Roderick Thorpe. Ce roman était la suite littéraire du roman Le Détective, du diptyque Joe Leland du même auteur, autrefois transposé à l’écran par dans le film du même nom, avec Frank Sinatra dans le rôle principal. Engagé par Silver, le scénariste Jeb Stuart rédige un script dépouillant intelligemment le roman éponyme de sa violence viscérale et de son propos politique périmé (les terroristes y étaient des révolutionnaires sud-américains menés par un certain Tony Gruber…) pour en proposer une version adaptée à l’Amérique de l’ère Reagan, et privilégier une caractérisation plus marquée. Silver décèle alors très vite dans le concept de Die Hard (autre titre du roman de Thorpe) la possibilité de produire un actioner atypique, mixant les codes du thriller policier à ceux du pur film catastrophe. Mais il reste insatisfait du script de Stuart qu’il juge dénué d’humour et peu caractérisé. Le producteur vire alors Stuart pour engager le scénariste Steven E. De Souza, réputé pour la qualité des dialogues de ses scripts. C’est à ce dernier qu’on doit les nombreuses vannes de McClane, l’humour de certaines situations et les joutes verbales entre le héros et Hans Gruber. De Souza retravaille aussi intégralement le dernier acte et imagine ce combat final sur le toit ainsi que la mort de Gruber. Dans le même temps, Joel Silver propose la réalisation du film à John McTiernan. Ce dernier vient de sauver du désastre sa précédente production, Predator, et il semble alors être l’homme de la situation aux yeux du producteur. McTiernan est alors déjà engagé sur un projet de suite de Terminator que lui a confié James Cameron, ce dernier souhaitant alors seulement produire la suite de son film sur le T-800. Mais des problèmes de financement empêchent les deux hommes de lancer le projet et McTiernan claque la porte à Cameron pour accepter alors la proposition de Silver de réaliser Die Hard.
Et bien lui en a pris : Die Hard se situe, plus de trente ans après sa sortie, au coeur de la filmographie du cinéaste, et reste à ce jour son film le plus emblématique, en cela qu’il porte toutes les marottes de ce fantastique auteur de grand spectacle, obsédé par les notions de guerres de territoires et d’antagonisme intime. Le film suivait ainsi de près le propos sous-jacent de Nomads et Predator, ses deux premiers longs, en y ajoutant une mécanique de pur huis-clos et en se concentrant tout autant sur la gestion de l'espace. Die Hard délimite l’essentiel de son action dans une vaste unité de lieu où s’affronteront plusieurs figures archétypales (le flic dur à cuire, le cerveau criminel, les terroristes allemands) que McTiernan détournera avec malice pour prendre à revers le cinéma hollywoodien de son époque. Le flic devient ainsi l’élément comique de l’histoire via ses punchlines lapidaires, le cerveau criminel ressemblant quant à lui plus à un banquier des hautes sphères qu’à un véritable bandit et les terroristes se révélant être en fait de « simples » braqueurs.


Die Hard débute ainsi par une exposition nous présentant le personnage de John McClane, flic arrogant et cynique de New York, débarquant à Los Angeles à la veille de Noël pour y retrouver ses enfants et son épouse avec laquelle il est de toute évidence en situation de pré-rupture. Très vite les éléments nous confirment le froid qui règne entre les deux époux. Lui est un flic de la vieille école ne jurant qu’à débarrasser sa bonne vieille ville de New York de toute sa panoplie de salopards. Quant à elle, Holly Gennaro, elle est une executive woman qui a fait le choix de s’installer à Los Angeles pour privilégier sa carrière au sein du comité de direction d’une firme japonaise, la multi-nationale Nakatomi, fraîchement implantée sur le sol américain. On assiste alors à travers la présentation du couple McClane à la confrontation de deux aspects de l’Amérique des 80’s : celle des villes américaines à la criminalité galopante et aux flics durs à cuire (personnifié par John) et celle des loups de la finance, de la bureaucratie élitiste, et de la soumission économique américaine aux nouvelles firmes japonaises (un contexte qui sera évoqué ultérieurement dans des films comme Soleil Levant ou même… Alien 3 et Robocop 3), un aspect symbolisé par Holly. Ce personnage est par ailleurs un des premiers exemples de working girl du cinéma hollywoodien, très loin des clichés de l’époque où l’essentiel des femmes de « héros » étaient pour la plupart des épouses au foyer passives et inexistantes. Holly Gennaro s’impose ainsi très vite comme un personnage important de l’histoire et McTiernan le souligne dès son apparition, la jeune femme étant filmée de dos à mesure que la caméra la suit dans les couloirs de bureaux. Elle traine d’ailleurs derrière elle le boulet Ellis, incarnation du yuppie arrogant et camé des 80’s, ne comptant que sur son bagout, son sourire dentifrice et son porte-feuille. Dans cette réunion se distingue aussi très vite le personnage du directeur japonais de la multi-nationale, le flegmatique Joseph Takagi, personnage a priori sage et positif mais incarnant tout de même à lui-seul la politique d’invasion économique japonaise de l’époque.


De son côté John McClane débarque à L.A, de la même façon que Jack Ryan (Alec Baldwin) le fera un an plus tard dans A la poursuite d’Octobre Rouge du même réalisateur. A savoir, pas très à l’aise dans un avion, et avec un gros teddy bear assis à côté de lui en guise de cadeau pour sa gosse. McTiernan s’intéresse de près à la personnalité de son protagoniste qui symbolise à lui-seul toutes ses marottes d’auteur. McClane est de ces héros McTiernanien, qui évoluent loin de leur zone de confort et qui doivent affronter un ennemi en territoire inconnu. Dès les premières séquences du film, le réalisateur se plait à perdre son héros dans des plans larges qui semblent l’écraser. Avec une certaine malice, il s’amuse aux travers des images et des dialogues à souligner que John McClane est un flic qui découvre la Californie, une région dont il trouve la population superficielle et qu’il n’apprécie pas. La musique de Michael Kamen joue d’ailleurs de ce contraste (fête de fin d’année mais climat chaud et ensoleillé de la Californie) et annonce le conflit à venir dès l’apparition du titre Die Hard (l’arrivée de McClane dans le terminal) en utilisant des sonorités semblables à des tintements de clochettes de Noël étrangement mystérieuses et angoissantes. Le thème du film (et de son protagoniste) est alors difficilement discernable, au contraire de L’Arme fatale par exemple, sorti un an plus tôt et dont le score, plus jazzy mais sensiblement proche de celui de Die Hard dans son instrumentalisation, fut aussi composé par Kamen.


La première interaction de McClane se fait avec un passager de l’avion, visiblement un homme d’affaires, qui s’amuse de la phobie des airs de McClane et lui conseille de se reconnecter au sol en faisant le poing avec les orteils. Une réplique amusante qui dénote avec le cynisme et le pragmatisme apparent du personnage incarné par Bruce Willis, alors totalement crispé sur son siège. Ensuite le passager semble s’étonner de voir McClane porter une arme (terrorisme aérien oblige) et ce dernier le rassure en lui expliquant, non sans ironie, qu’il est flic depuis plusieurs années. On ne s’en rend pas nécessairement compte à ce moment-là, mais McTiernan opère déjà une première comparaison entre McClane et cet homme d’affaire. Car ce passager de l’avion (qui a tout de l’apparence du parfait bureaucrate) préfigure un archétype qui balaiera ensuite tout le film, à travers les personnages de Holly, Takagi, Ellis et même Gruber : l’affairiste, élégant et raffiné, archétype moderne du nouveau salary man américain en costard. A côté d’eux, McClane fait figure de contradiction, il est un anachronisme de son époque, celui du flic des feuilletons policiers et des vieux films d’Eastwood et de Bronson. Une race d’hommes alors de plus en plus rare et vouée à disparaitre pour laisser la place à un autre type de représentant du système, l’homme d’affaire. Le seul personnage avec qui McClane semble s’entendre dès les premières scènes est un autre « petit » employé, un jeune black faisant les chauffeurs de maître et très vite rassuré de voir que son passager est un gars aussi simple que lui, très loin des patrons aux costumes cintrés pour lesquels il travaille habituellement. Argyle est bien sûr un archétype, celui du sidekick black et humoristique en vigueur dans les productions hollywoodiennes de l’époque. Avec sa tchatche et son humour à la Damon Wayans, il permet de présenter John McClane à son nouvel environnement.


L’arrivée de la limousine au pied de la tour Nakatomi souligne alors la petitesse des deux personnages face à l’immeuble et la modernité qu’il représente. Filmant son héros descendant de la voiture, l’image cadrée en plongée sur le visage de Bruce Willis, McTiernan a à coeur de magnifier l’arrivée du personnage, lequel regarde la tour avec circonspection, une clope au bec. Le réalisateur en profite ainsi pour présenter de plein pied au personnage et aux spectateurs, l’immensité de la tour qui servira ensuite de principale unité de lieu à l’intrigue. McTiernan s’amuse ensuite à perdre son personnage dans une série de plans larges, dès son arrivée dans le hall d’accueil de l’immeuble. Et appuie sur le fait que son héros découvre un environnement qui lui est totalement étranger. Plusieurs personnages viendront alors à sa rescousse (l’employé d’accueil, le directeur Takagi) alors qu’il découvre le staff des bureaux en pleine fête. Pour autant, McClane ne perd pas son calme et compense sa relative désorientation avec un cynisme lapidaire. Quelques minutes plus tard, ses retrouvailles avec sa femme initieront l’enjeu sentimental du film, tout en esquissant les raisons de leur séparation. McClane reproche à Holly d’être une femme indépendante qui a sacrifié leur couple pour ses ambitions professionnelles, chose que Holly Gennaro peut aussi reprocher à son mari, celui-ci ayant tout l’air du flic faisant passer son boulot avant sa vie de famille. Leur point de vue, visiblement inconciliable, sera très vite interrompu par l’entrée en scène d’un commando de criminels et d’un antagoniste hors-norme, personnifiant à lui-seul un nouveau type de criminalité, clairement adaptée à son époque.


McTiernan filme alors l’arrivée des « terroristes » et souligne leur détermination et leur dangerosité en les faisant marcher vers l’objectif comme un seul homme. Du groupe se distingue très vite la figure impassible de leur leader, Hans Gruber, alors incarné par le méconnu Alan Rickman, comédien de théâtre britannique, ici dans son tout premier rôle à l’écran. A l’inverse de McClane, Gruber semble dès son arrivée parfaitement dans son élément. On ignore alors pourtant tout de lui si ce n’est qu’il est visiblement promis à être le principal antagoniste du film. Déterminé à le mettre en valeur, McTiernan se plait à filmer le visage d’Alan Rickman et à magnifier son acteur comme un méchant d’exception, alors même qu’il reste silencieux. Quand on revient sur le making-of de Predator, sorti l’année précédente. McTiernan y expliquait « aimer » les acteurs plus que tout autre chose dans ses films. Il aime les filmer et les magnifier à l’écran, ce qui se voit clairement dans Die Hard, à travers les entrées en scène de Bruce Willis, Bonnie Bedelia et Alan Rickman. Lorsqu’il filme Hans Gruber dans le grand hall d’accueil, McTiernan s’attarde un instant sur le criminel qui regarde à l’extérieur de l’immeuble, sans pour autant nous montrer ce qu’il observe. On comprend alors que Gruber veut s’assurer qu’il n’y a personne, aucun flic, aucun intrus, sur le parking devant l’immeuble. Le plan serré sur le profil d’Alan Rickman, filmé en légère contre-plongée, est alors un prétexte du réalisateur pour souligner la méticuleuse prudence de son antagoniste, et du même coup pour cadrer de très près la « gueule » de son acteur. En quelques secondes, Rickman est filmé comme un « loup » calme et inquiétant, observant méticuleusement son environnement. Gruber verrouille alors la porte d’entrée avec sa carte, condamnant ainsi les lieux à sa seule emprise, et se retourne vers un de ses sous-fifres, le volubile Théo (Clarence Gilliard), à qui il jette la carte pour lui déléguer la condamnation totale des portes. A ce moment-là, McTiernan choisit de cadrer son antagoniste dans un plan large, le voyant seul au milieu du cadre fermer la marche de ses hommes. En quelques plans judicieusement trouvés, Gruber devient alors aux yeux de McTiernan et des spectateurs, le nouveau maître des lieux et la principale menace du film. Et la musique inquiétante de Michael Kamen dans cette scène ne fait que souligner la parfaite emprise du personnage sur l’immeuble.


L’ironie est que Gruber nous est ensuite très vite présenté comme un nouveau type de criminel. Un braqueur des hautes sphères, évoluant comme un loup parmi ses otages-« agneaux » (voir son discours de présentation où il évolue parmi les otages terrifiés de Nakatomi). A l’instar de ses proies, lui aussi est élégamment habillé d’un costume de soirée, ce qui le distingue immédiatement de ses sbires à l’apparence plus banale et agressive (beaucoup de vestes en cuir et de cheveux longs parmi ses hommes). Son premier discours parmi les otages nous révèlent que Gruber s’est méticuleusement informé sur sa cible lorsqu’il détaille le CV de Joseph Yoshinobu Takagi, PDG de la firme. Le petit intermède entre les deux hommes dans l’ascenseur (lorsque Gruber parle de ses goûts vestimentaires et de son admiration pour le tailleur John Phillips "de Londres" ) et leur arrivée aux bureaux supérieurs, où Gruber se perd un temps dans la contemplation d’une immense maquette en déclamant du Shakespeare, ne font que confirmer le caractère à part de ce Moriarty des temps modernes, homme élégant et visiblement instruit. La scène suivante où il menace Takagi puis l’exécute froidement (formidablement jouée par Rickman), en plus de nous révéler les véritables intentions des antagonistes (dont on découvre qu’ils sont moins des terroristes que d’authentiques braqueurs), finit de nous présenter le caractère impitoyable et déterminé de Gruber. Et ce sous les yeux d’un McClane, prenant alors pleinement la mesure de la menace qui s’abat sur l’endroit.


Ayant échappé de peu à la prise d’otages, McClane a depuis exploré plusieurs niveaux de l’immeuble et découvre au fur et à mesure, en même temps que le spectateur, l’ampleur de sa prison. Le premier enjeu sera pour lui de ne pas se faire remarquer et d’étudier son ennemi alors que celui-ci s’empare de la tour. McTiernan éludera pourtant très vite cette phase d’observation pour révéler à Gruber l’intrusion d’un ennemi qui l’observe et dont il ignore tout, quand les criminels entendront McClane communiquer par téléphone avec la police. Une police par ailleurs montrée rapidement comme incompétente et incapable d’agir sur le terrain, et que le réalisateur ne fera que ridiculiser tout au long de son film. Dans Die Hard, McClane s’impose ainsi très vite comme un des seuls personnages capables d’agir avec efficacité tandis que les « nouveaux flics » des années 80 (standardistes blasées, patrouilleur pépère et chef de la police aussi pleutre qu’idiot) seront montrées par le réalisateur comme de simples employés suivant une routine très balisée et totalement incapables de passer à l’action. En quelques minutes de métrage, McTiernan égratigne alors l’image du flic californien moderne, accélère le rythme de son métrage en plongeant son héros dans l’action (via ses deux confrontations avec le frère de Karl et dans la salle de réunion) et lui adjoint au passage un véritable appui (que l’on peut voir comme un sidekick détourné) en la personne de Al Powell (Reginald VelJohnson), flic rondouillard à l’apposé des standards policiers d’alors mais moins incompétent qu’il n’y parait. Le soutien de Powell se verra néanmoins plus psychologique que physique, l’essentiel de sa relation avec McClane se basant sur une confiance aveugle et réciproque, elle se construira essentiellement par le biais d’un dialogue par talkie-walkies.


Alors que Powell se confronte très vite à la bêtise de sa hiérarchie, McTiernan privilégie alors l’action pure en nourrissant le conflit entre McClane et ses adversaires par la quête de vengeance du principal homme de main de Gruber (et véritable défi physique pour McClane), Karl (Alexander Godunov), lequel n’aura de cesse de poursuivre McClane jusque dans les endroits les plus improbables de l’immeuble, contraignant même le héros à se réfugier dans les conduits d’aération comme un rat dans son terrier. Parallèlement à ça, s’établira aussi le principal antagonisme du film entre McClane et Gruber, les deux hommes, présentés comme totalement à l’opposé, commençant à dialoguer à distance par l’intermédiaire des talkie-walkies. Un dialogue plein d’ironie et de pics agressives qui permettra surtout aux deux adversaires de se jauger psychologiquement et d’établir un véritable rapport de force. Hans Gruber se révèle alors pour la première fois du film en état de faiblesse. Visiblement décontenancé par un ennemi de l’intérieur plus redoutable qu’il aurait crû, le criminel donnera plus d’importance à neutraliser McClane qu’à se soucier des actions extérieures du LAPD et du FBI, qu’il méprise ouvertement, et dont il a de toute évidence prévu toutes les actions. Le duel qu’il livre alors à McClane se trouve alors au centre du film et devient la manifestation d’un antagonisme étroit mettant intelligemment les deux personnages en parallèle et en opposition. Un rapprochement que le scénario renforcera avec audace le temps d’une brève rencontre physique entre les deux personnages, lorsque McClane tombera sur Gruber et que ce dernier se fera passer pour un otage ayant réchappé aux criminels. Une rencontre qui se présente en défaveur de McClane dès lors que ce dernier semble croire au mensonge de Gruber, et qui se transformera pourtant en véritable jeu de dupes entre les deux personnages. Gruber en profitera alors pour détailler l’apparence de son ennemi, un flic crasseux en marcel évoluant arme au poing, clope au bec et pieds nus. Un homme de terrain, très loin de l’apparence tirée à quatre épingles de Gruber, et que ce dernier serait tenté de mépriser si le bougre ne lui donnait pas autant de fil à retordre. D’autant plus que lors de cette confrontation, McClane se révélera plus malin que Gruber en lui confiant une arme déchargée, le criminel n’étant sauvé que par l’intervention providentielle de ses hommes de main.


Le duel entre les deux hommes se fait alors à visage découvert et l’enjeu du film prend alors une toute autre tournure. Connaissant désormais l’apparence de son ennemi, le spectateur ne redoute plus qu’une chose : Gruber a pris ses quartiers dans le bureau d’Holly Gennaro dès le début de la prise d’otages et le risque est qu’il découvre la photo de famille où Holly Gennaro pose avec ses enfants et son mari. Un risque d’autant plus important que Holly se révèle être la principale interlocutrice de Gruber quand il s’agit de défendre les otages, Gruber semblant par ailleurs fasciné (et séduit) par l’audace et le fort caractère de la jeune femme. Si jamais il découvre l’identité de Holly, Gruber pourra alors exercer tout son chantage sur son adversaire. Par chance, Gruber découvre la vérité sur Holly et John après avoir mis la main sur le pactole qu’il convoite. Lorsqu’il comprend son avantage, Gruber s’empresse d’en faire part à McClane, comme s’il voulait savourer immédiatement sa victoire sur son adversaire (ce qui renforce l’idée d’antagonisme intime entre les deux personnages). Mais McClane est alors occupé à régler un autre duel, celui qui l’oppose à la soif de vengeance de Karl et donne par ailleurs lieu au grand pugilat du film. Pressé par le temps et tout entier tourné vers son plan de repli, Gruber se désintéresse alors de McClane et prévoit de se venger de lui, en emmenant avec lui son épouse comme seul otage. Une manière pour lui de garder un avantage lors d’une confrontation finale d’anthologie où pourtant, là encore, McClane se joue de son adversaire, et offre à celui-ci un des trépas les plus cultissimes de l’histoire du cinéma (la chute de Gruber dans le vide restant d’ailleurs la plus belle scène de « chute de méchant » à ce jour).


Au-delà de l’antagonisme McClane/Gruber, il convient de ne pas oublier qu’en fin de métrage, entrent en jeu deux aspects critiques majeurs du film de McTiernan. En effet, le cinéaste se sert de son film pour épingler quelques travers de la société de son époque. Il y a bien sûr, cette dénonciation de l’ultra-libéralisme sauvage de l’Amérique des 80’s symbolisé par les personnages de Takagi, Ellis et, à un degré plus explicite, Hans Gruber. Mais Die Hard témoigne aussi d’une critique grinçante des médias de son époque, à travers ces scènes de flash infos filmés en coulisses et d’émissions politiques où se ridiculisent plusieurs experts décortiquant (de trop loin) la prise d’otages et proposant un profil psychologique totalement erroné des « terroristes ». En ce sens, Die Hard est aussi pertinent et acerbe que le Robocop de Verhoeven sorti un an plus tôt et auquel McTiernan emprunte d’ailleurs le même discours critique sur les yuppies et les médias abêtissants de l’époque. Le regard sévère que porte le cinéaste sur le journalisme poubelle trouve alors sa parfaite expression dans les actions menées par le reporter sans scrupules et amoral, uniquement en quête d’un scoop pour satisfaire son ambition. C’est d’ailleurs à cause de lui que Gruber découvrira in fine que Holly est la femme de McClane.


Le scénario du film révèle alors pleinement toute l’intelligence de son écriture à travers la fluidité des interactions entre les facteurs extérieurs (journalistes, LAPD, FBI) et intérieurs (McClane, Gruber et ses hommes) à la principale unité de lieu. La gestion de cet ensemble de protagonistes et la parfaite maitrise de leurs interactions pose le scénario de Die Hard comme un véritable modèle de narration enchevêtrée et de points de vue multiples. Un aspect du film qui se verra d’ailleurs appuyé par l’arrivée d’un énième belligérant dans la bataille : le FBI, personnifié par les agents Johnson et Johnson, deux flics en costards aussi arrogants et suffisants que détestables. A travers eux, McTiernan se fait une joie de désacraliser la figure toute-puissante du Bureau Fédéral d’Investigation en faisant des deux agents de véritables imbéciles qui s’ignorent. Ce qui, à la réflexion, n’est peut-être pas étranger aux futurs démêlés que connaitra McTiernan avec la justice quinze plus tard : pour une histoire d’écoute frauduleuse sur le tournage de son futur Rollerball, le cinéaste deviendra la cible du FBI et verra sa carrière stoppée net par une condamnation d’un an de prison ferme en 2012.


Très loin de ses futurs soucis judiciaires et de la piètre qualité de son Rollerball (qu’il a, de son aveu, ouvertement saboté), Die Hard reste le film le plus représentatif du cinéma de son réalisateur, le parfait compromis entre ses exigences d’auteur et les impératifs d’un divertissement purement hollywoodien. Avec ce film, John McTiernan tournait le dos aux actioners standards des 80’s (Rambo 1 et 2, L’Arme fatale, Tango et Cash) pour donner le coup d’envoi du cinéma d’action moderne et révolutionnait les codes du thriller en mariant les genres du policier, du film de braquage et du film catastrophe. Il redéfinissait du même coup les figures du héros bad-ass (moins musculeux que les modèles Schwarzy et Stallone), et du méchant de génie (très loin de l’archétype mégalo bondien) et lançait par ailleurs les carrières de ses deux stars, Bruce Willis et Alan Rickman. Sa mise en scène est parmi les plus pensées et travaillées du cinéma hollywoodien des 80’s (une qualité que l’on peut aussi trouver au film suivant de McTiernan, A la poursuite d’Octobre Rouge) et témoigne du pur génie cinématographique d’un cinéaste que les critiques ont ensuite préféré oublier tout du long des 90’s au profit des faiseurs d’actioners bourrins issus de l’écurie Bruckheimer (Michael Bay, Simon West, Dominic Senna), lesquels compensaient leur absence évidente de génie par des choix de montage épileptiques et bêtement débridés. Qui plus est, Die Hard est devenu rapidement un tel standard que sa mécanique de l’enfermement (un homme seul affrontant plusieurs adversaires dans une seule unité de lieu) s’est vu déclinée à toutes les sauces, nous offrant toute une floppée d’ersatz plus ou moins réussis (Cliffhanger, Rock, Passager 57, Under Siege 1 et 2, Mort subite, White House down).


Avec John McTiernan et Die Hard, le cinéma d’action moderne a gagné en maturité et en exigences stylistiques comme jamais auparavant. Des cinéastes comme Paul Greengrass, Kathryn Bigelow et James Cameron ne manqueront d’ailleurs pas plus tard d’avouer l’influence qu’a eu McTiernan sur leur propre travail de mise en scène (de l’aveu de Cameron, tout le découpage de la fusillade de Cyberdyne dans T2 fut influencée par la scène où Gruber et Karl tirent sur les vitres pour coincer McClane dans Die Hard, la luminosité est la même et les choix de cadrages sont très proches). En fait, seul Die Hard 3 en 1995 poussera ensuite plus loin les codes visuels du cinéma d’action moderne, McTiernan choisissant alors de filmer la troisième aventure de John McClane, principalement caméra à l’épaule et à hauteur d’homme. Une manière de filmer que reprendront ensuite à leurs comptes bon nombre de futurs cinéastes du genre, et ce de manière plus (Paul Greengrass avec ses trois opus Jason Bourne, George Miller et son grandiose Fury Road) ou moins talentueuse (Michael Bay et ses films aux montages épileptiques et aux scènes d’action illisibles). John McTiernan n’ayant pas réalisé de films depuis 15 ans, il serait d’ailleurs peut-être temps, à l’heure où le cinéma d’action se résume à la bêtise des nanards Fast and Furious et à la bouillie visuelle des films façon Bay, de voir revenir enfin McT aux affaires, qu’il puisse donner à tous ses "successeurs", une authentique leçon de cinéma d’action.

Buddy_Noone
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le 18 janv. 2021

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Buddy_Noone

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