Phantom Thread figurera sans doute tout en haut des tops 2018 point de vue technique, tant sa réalisation frôle la haute couture. Ca tombe bien puisqu'on est pile dans le sujet du film. Minutie de l'artiste, grâce et texture des tissus ouvragés, légèreté de la dentelle : toutes ces images, et plus encore, pourront être utilisées afin d'essayer de rendre compte, maladroitement, de la beauté de l'entreprise, de sa fulgurante composition, de la maîtrise de l'ensemble des techniques.


Tout cela pour l'un des films les plus vrais et incarnés causant de la création artistique. De cet intime d'où émerge l'idée, l'étincelle de génie, ce moment fugace et impalpable où la pensée trouve à s'incarner de la plus parfaite des manières sous la plume qui court sur le papier, qui boit l'encre noire avant de fixer l'inspiration.


Il s'agit aussi d'en exprimer toute la maîtrise égotiste, le contrôle absolu, l'obsession, l'indépendance et les habitudes maniaques qui président à ce processus créatif prenant des allures de véritable tyrannie. Le perfectionnisme vampirise l'artiste tout comme son entourage, le plie sous le poids de l'absolu, tout en transformant la fascination éprouvée en rejet total, traduction de la plus abyssale des tristesses. De la plus rageuse des frustrations ou des sentiments trop longtemps réprimés.


Et si la muse m'habite, si l'amour donne une nouvelle impulsion à l'acte créatif, il essaiera de le plier tout autant aux attentes dont on remplit l'autre, que ce soit en terme d'affection ou, à l'inverse, de distance. Dominant et dominé s'inverseront donc dans leurs rapports, dans une sorte de conte qui évolue sur la pointe des pieds et qui en manie la plupart des archétypes. Drôle de confection, à vrai dire, qui se permettra même une scène terrassante de suspens tel que le concevait Alfred Hitchcock. La richesse de Phantom Thread paraît par instants inépuisable, même si elle évolue à la frontière non pas de l'ennui, mais d'une légère dilatation du rythme de son récit qui pourra peut être mécontenter les moins patients.


Peut être s'agit-il d'un autoportrait, plus ou moins conscient, de Paul Thomas Anderson ou Daniel Day Lewis. Mais Phantom Thread livre surtout un portrait bizarre de ce sentiment amoureux, tour à tour irrésistible, routinier, aigre à faire mal et trouble dans ses manifestations les plus extrêmes. De manière désabusée, le film pose aussi la question cruciale de sa confrontation avec l'art, qui le nourrit avant de l'étrangler, au point peut être, d'en devenir inconciliable. Comme avait pu le faire La La Land avec la réalisation des rêves et des aspirations de son couple vedette.


Le film, d'un raffinement rare, magnifiera ainsi à peu près tout ce qu'il touche, dans une maîtrise d'un art parmi les plus éclatantes de mémoire récente. La séduction n'est pas immédiate, à l'inverse du dandy qu'il met en scène, mais elle est inéluctable, doublée d'une sensation parfois vaporeuse assez difficile à verbaliser.


Difficile également d'aller plus avant dans une description forcément vaine : Phantom Thread doit se vivre. Plusieurs fois. Sans doute la plus convaincante des recommandations, tant sa richesse plastique et thématique est grande. Voilà.


Behind_the_Mask, pour qui le coeur reste parfois sur l'estomac.

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le 20 févr. 2018

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