La grande couture est une affaire d’orfèvrerie, un art délicat qui demande une minutie, un calme, un silence monacal. C’est dans cette vie-là, au côté de sa sœur Cyril, que Reynolds Woodcock a décidé de créer les robes qui font sa renommée. Sauf que l’homme n’est pas insensible aux charmes de certaines femmes : il s’accapare la beauté de ces nymphes pour s’en servir en tant qu’instrument de création.


On peut penser qu’il les aime, qu’il est animé d’un sentiment, qu’une relation fusionnelle commence à s’immiscer mais ce n’est qu’une illusion. Reynolds prend les mesures de ces muses, les regarde avec fierté, les toise du regard lorsqu'elles portent ses robes avec candeur, mais derrière ses yeux émerveillés, ce n’est pas l’homme qui transparait : c’est le couturier, l’artiste. Pour lui, elles ne sont que des objets de passage, des possibilités pour lui d’accentuer son talent. L’une de ces femmes, se nomme Alma. Elle va s’immiscer dans sa vie, et y faire irruption avec panache.


Dans ce cadre raffiné des années 50, Paul Thomas Anderson dresse le portrait d’un homme/enfant, d’un talent totalitaire épuisé par la mort de sa défunte mère. Le rapprochement entre Woodcock et Anderson se fera avec aisance. En ce sens le cinéaste a lui-même fait la photographie de son film. Moins immobile, moins faite de travelling vertigineux, la mise en scène est plus souple, affectionne le fétichisme des gestes du couturier pour asseoir la routine du quotidien tandis que l’image se veut plus granuleuse et moins propre. Cette emprise visuelle que Paul Thomas Anderson acquiert sur son film, ajoute une sincérité et une proximité troublante entre le cinéaste et son propre film.


Cette sincérité, ce lâcher prise se lit dans le comportement de Woodcock. Alma n’est pas juste un trophée de plus dans l’escarcelle du styliste. Paul Thomas Anderson utilise ses deux tourtereaux non pas comme les simples branches d’une romance qui révèlerait les fêlures de l’un et l’autre, mais prend soin de lier le narcissisme et l’amour, voir les pulsions de mort dans un couple qui fait tout pour se rendre visible l’un envers l’autre. Et c’est souvent, voire tout le temps fait avec élégance et noblesse. Certes, lui est plus ou moins âgé et rustre dans son travail. Elle, jeune et a des envies de folies ou de découvrir le monde. Mais derrière ses deux masques opposés, se cachent deux monstres identiques.


La preuve d’amour peut être parfois sujette à débat, mais dans ce couple machiavélique et venimeux, où la domination est effritée par la soumission, le pire est souvent vu comme le meilleur : la faiblesse de l’un fait l’importance de l’autre. Phantom Thread, au travers de ces décors fabuleux, de sa classe de tous les instants, de son casting merveilleux, est un écrin cruel mais émouvant sur la façon de se donner à sa moitié en parallèle du poison qu’est le talent.

Velvetman
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le 15 févr. 2018

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