
"Le Cinéaste et l'actrice"
Ce qui pourrait sonner comme une fable de Jean de La Fontaine est avant tout un phénomène littéralement fascinant dans l'histoire du cinéma, ou devrait-on dire dans l'histoire de l'art, celui du Pygmalion et sa muse.
Le mythe fondateur a certainement connu sa résonance artistique la plus marquante en la personne du couple que formèrent le sculpteur Aristide Maillol et son modèle Dina Vierny . Plus près de nous on se souvient forcément de ceux-ci, ceux-là et comment ne pas pas penser aux plus grands parmi les plus grands. ( Oh merde là ça a dérapé, désolé ! )
Les exemples dans le cinéma sont si nombreux que je leur offre d'ailleurs un petit lit.
Une question m'est venue à l'esprit en regardant ce "Personal Shopper" : Assayas aurait-il même commencé sa carrière de cinéaste sans les femmes ? En tout cas il est certain que son œuvre aurait été bien différente, tant elle a été dictée par le sexe tout tout faible. Juliette Binoche, Judith Godrèche, Sophie Aubry, Virginie Ledoyen, Maggie Cheung, Emmanuelle Béart, Mia Hansen-Løve, il les a toutes embrassées, caressées, étreintes de sa caméra, symbole phallique absolu. Et le garçon étant fort consciencieux, il faut bien dire qu'il a très souvent ramené des devoirs à la maison.
Depuis "Sils Maria", les mouches ont changé d'âne et le coquin semble s'être fixé une nouvelle mission : déshabiller, au propre comme au figuré, la star hollywoodienne Kristen Stewart, fissurer le vernis entourant l'icône. Ici, celle-ci est quasiment de tous les plans, le metteur en scène obsessionnel l'observe à la loupe, la poursuit, contemple ses craintes, ses espoirs et ses névroses, s'insinue jusque dans sa psyché.
S'il n'était que cela, l'objet serait déjà étourdissant mais c'est avant tout une symbiose passionnante, follement excitante de toute la filmographie d'Assayas. "Personal Shopper" est une œuvre majeure à plusieurs entrées, d'une complexité incroyable : portrait glaçant d'une société moderne perdue en quête de frissons artificiels, réflexion philosophique et métaphysique sur le deuil et les illusions perdues, et tout ce que chacun voudra bien y trouver. Car c'est là la plus grande force du film : ouvrir le champ des possibles et faire appel à l'intelligence du spectateur, le laisser décider plutôt que lui asséner des vérités.
Assayas est un fouineur, dans les thèmes, les genres abordés, il aime slalomer, et ici il ne tranche pas : drame, thriller, film fantastique, "Personal Shopper" est tout à la fois. Sans surprise, Cannes l'a tièdement reçu ( Ah les fameux sifflets du Palais des festivals ! ) comme une bonne partie de la critique, mais je suis persuadé qu'un jour on verra dans ce film autre chose qu'un truc hybride où la gonzesse de "Twilight" voit des fantômes filmés à la japonaise.
En résumé, l'ayant revu pour la deuxième fois en l'espace de quelques jours, je peux le confirmer, "Personal Shopper" ne se donne pas facilement, il est comme une femme fragile et élégante qu'il faut mériter. Je sais, faire la cour est une pratique surannée, mais en tant que vieux con nostalgique et romantique, je me dois de constater que souvent, de la difficulté naît le plaisir, celui de la découverte sans cesse renouvelée, du sentiment sans cesse décuplé.