En son temps, Persona a choqué. Maintenant, rien n'a changé. Ce sont des images très crues, ancrées dans les vieilles mémoires, que Bergman va sortir du drame vietnamien des années 60, une abnégation incompréhensible alors puisque qu'elle parle anglais à travers la télévision. C'est en suédois qu'Andersson nous parle en aparté, parlant pour deux en fait puisqu'Ullmann a perdu la parole. Le choc est explosif, car de la guerre à l'érotisme, c'est tout une fresque d'audace par laquelle le réalisateur exorcise une nouvelle fois ses démons (mais sans Von Sydow), unissant deux femmes comme en un yin et yang bellement métaphorisée par les contrastes poignants et leurs vêtements toujours de tons opposés en une photographie magistrale.
C'est tout un poème schizophrénique qui est rédigé entre les deux personæ, de quoi transporter l'âme sans avoir besoin de percer le ciel de l'interprétation. Mais Persona m'a laissé un arrière-goût cendré ; a-t-il brûlé trop fort au feu de ses contrastes ou à la clarté de ses métaphores ? J'ai compris que le film est rarement saisi tout de suite, voire du tout, et j'ai pris mon temps et lu des critiques pour essayer de me former une idée du sous-texte qui fût à la hauteur de l'art graphique. J'y ai failli.
Trop souvent durant le visionnage, j'ai eu à faire l'effort, à me poser consciemment la question "qu'a-t-il voulu dire ?" Si je n'y ai pas répondu, c'est de ma faute d'analyste, mais ce qui ne l'est pas, c'est le fait même que je pus me poser la question, que j'eus la place de la formuler au milieu de ce ballet cinématographique pourtant convaincant. Je suis d'accord pour dire que Persona est un bon film, photographiquement bluffant, textuellement osé, et dont la fausse clarté n'est que le trop joli corollaire de ses contours à l'image. Mais je suis de ceux que l'interprétation, fut-elle libre ou reconnue comme difficile, a laissé dans son sillage, pour le plus grand malheur de mon appréciation globale.
Quantième Art