Persepolis, c'est l'histoire de Marjane Satrapi, jeune iranienne venant d'une famille plutôt à gauche, dont le pays va passer d'une dictature à l'autre. Le film commence en 1978, à la veille d'une révolution voulue et désirée par beaucoup. On a peut-être oublié de nos jours à quel point l'Iran d'avant Khomeini n'était pas un modèle de démocratie. Emprisonnements politiques, absence de scrutins démocratiques... On a peut-être trop tendance à penser que puisque le pays était occidentalisé, il n'était pas aussi barbare. Après tout, un pays où Coca peut écouler ses produits et dont les pétroliers occidentaux peuvent piller les sous-sols, c'est presque une démocratie, le reste étant tellement secondaire.
Bref, le début du film est fulgurant, et le reste sera à la hauteur. Marjane, qui doit avoir dans les 7-8 ans à ce moment-là, découvre le monde politique. Et, d'emblée, les choix de mise en scène montrent un véritable langage cinématographique. Parler de l'arrivée du Shah au pouvoir sous la forme d'un théâtre de marionnettes, c'est à la fois entrer dans l'imaginaire d'une petite fille, et aussi en dire long sur les véritables maîtres du pays.
La politique est incontournable dans ce film, bien entendu. Comment parler de l'Iran des années 70-80 sans évoquer la politique, les bouleversements imposés dans la vie d'une population qui se délivrera d'une dictature pour rentrer de plein pied dans une autre ? Mais, à chaque fois, la politique est vue par le regard de Marjane et évolue donc tout au long de l'enfance puis de l'adolescence de la jeune femme.
C'est ce qui donne son ton à ce film. A la gravité des scènes révolutionnaires succède la légèreté de l'enfance. Il y a les jeux avec les camarades. Il y a les dialogues des adultes, que la jeune fille ne peut totalement assimiler. ET le film navigue constamment comme cela, entre vision de la société iranienne et autobiographie de Marjane Satrapi.

Persepolis est clairement divisé en trois parties. L'enfance à Téhéran, puis les études à Vienne, en Autriche, et enfin le retour à Téhéran. Trois étapes dans la formation d'une jeune femme qui, à chaque fois, pose, avec le recul, un regard amusé et sarcastique sur le monde autour d'elle.
Et elle ne s'épargne pas : les changements physiques de l'adolescence, les déboires amoureux, jusqu'aux périodes de dépression qui vont sonner l'heure du retour au pays natal. Sans oublier le fossé culturel qui séparera inévitablement une jeune iranienne qui a connu la guerre d'Autrichiens trop sûrs d'eux et enfermés dans leur monde occidental. Marjane sera entourée de personnages qui seront caractérisés par une foule de détails humoristiques ou typiques. En quelques traits, elle définit un personnage mieux que ne le feraient des dizaines de lignes de dialogues.
Et, bien entendu, au milieu de tout cela, il y a la grand-mère, personnage incontournable, splendide, lucide, drôle, émouvante, inoubliable. On sent que Marjane a hérité d'elle sa franchise et sa liberté.

Car, finalement, la liberté reste le thème principal du film. Liberté de ton d'une jeune fille qui parle à Dieu (ce qui est normal : quand elle sera grande, elle sera prophétesse). Liberté d'un humour qui permet de désarçonner les dictatures (l'humour reste l'arme la plus dangereuse contre les dictatures, quelles qu'elles soient). Liberté politique également : elle s'amuse à décrire comment les habitants de Téhéran vont se ménager des espaces de liberté en contournant les lois trop strictes de l'état.
La propagande, l'annihilation progressive de l'occidentalisation iranienne, les règles de vie complétement délirantes (et qui ne proviennent d'aucun livre sacré), la corruption des "gardiens de la révolution", la peur chaque fois que s'ouvre une porte, la disparition de la culture, de la nourriture sur les étals des supermarchés... Satrapi décrit son pays avec une révolte d'autant plus grande qu'elle l'aime.
Et, au milieu de tout cela, son sourire sardonique, son regard sarcastique, sont humour qui permet de supporter l'insupportable et de nous livrer ce témoignage magnifique, émouvant, drôle, et de nous rappeler que l'essentiel, c'est l'intégrité personnelle.
SanFelice
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le 7 mars 2015

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SanFelice

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