Perfect Blue
7.8
Perfect Blue

Long-métrage d'animation de Satoshi Kon (1997)

La première fois que j’ai entendu parler de Satoshi Kon, c’était avec un ami qui me recommandait de découvrir ses films, à commencer par Paprika et Perfect Blue. Beaucoup de temps a passé depuis, et, entre temps, je n’ai pu que lire ou voir des témoignages enthousiastes à l’égard de ses films. Il fallait, sans aucun doute, un jour s’atteler à la découverte de la filmographie de ce réalisateur, hélas arrêtée par sa disparition prématurée il y a bientôt dix ans. Alors, toujours dans ce petit cycle de découvertes liées au cinéma asiatique, le moment semblait propice pour s’y mettre, à commencer par son premier long-métrage, Perfect Blue.


Après avoir débuté dans la BD, ayant été notamment l’assistant de Katsuhiro Otomo sur le manga Akira, Satoshi Kon rejoint le domaine du film d’animation, travaillant sur plusieurs OAV, avant de, finalement, devenir lui-même réalisateur. Perfect Blue est, à la base, un roman écrit par Yoshikazu Takeuchi, dont on a demandé à Satoshi Kon de l’adapter en film d’animation destiné au marché vidéo. Bien qu’intéressé par le projet, Satoshi Kon ne partage pas la vision du roman, et décide de développer un scénario davantage en adéquation avec ses thématiques et avec sa vision de l’histoire. Nous suivons donc l’histoire de Mima, jeune chanteuse à succès, qui, au sommet de sa gloire, quitte le groupe dont elle fait partie pour se lancer dans une carrière d’actrice, et rejoint le casting d’une série dramatique aux penchants assez psychologiques et violents.


Perfect Blue débute en se construisant sur les bases d’un thriller standard, où Mima, sans le savoir, devient la cible d’un harceleur anonyme, associant obsession et voyeurisme, ce qui ne sera pas sans nous rappeler le cinéma de Brian de Palma, ou d’Alfred Hitchcock. Mais le premier long-métrage de Satoshi Kon veut voir plus loin, et adopter un style tout à fait particulier pour développer son intrigue. Autant que Mima connaît une véritable descente aux Enfers mentale, le spectateur se retrouve lui-même happé dans un véritable tourbillon psychologique où réalité et illusions se mêlent, dans quelque chose qui nous ferait davantage penser à du David Lynch. Perfect Blue cherche judicieusement à esquiver l’évidence et la linéarité, incitant notre cerveau à suivre l’action et à établir des liens logiques, mais cherchant toujours à faire s’enchevêtrer les dimensions, les possibilités et les éventualités. Qu’est-ce qui est vrai ? Que voyons-nous réellement ? Si tout a bien un sens, celui-ci ne se révèle qu’à travers les sensations et les impressions.


Les thématiques abordées par Perfect Blue sont assez diverses. C’est, tout d’abord, la critique d’un star-system, où l’on crée des « idoles », qui sont souvent de jeunes filles, très jeunes, trop jeunes pour le public qui les suit, généralement très masculin, à l’image de tous les hommes venant assister au concert des Cham au début du film. C’est le décalage problématique entre l’innocence de ces jeunes filles et la sexualisation de leur apparence, qui attise les désirs et les fantasmes, s’intégrant parfaitement dans la logique de ce thriller psychologique qui se veut très viscéral. Satoshi Kon fait de Mima la victime d’un système où les stars sont comme des produits jetables, qu’elles suscitent la passion autant qu’elles peuvent susciter la haine. Le cinéaste s’avère d’ailleurs plutôt visionnaire, en montrant ce mystérieux harceleur qui sévit sur Internet, un medium encore très peu répandu en 1997, alertant alors déjà sur les dangers du harcèlement en ligne, qui fait encore l’actualité aujourd’hui. Au milieu, Mima est la victime collatérale de toutes ces forces négatives, devant lutter pour sa propre survie tout en luttant avec sa propre conscience pour parvenir à trouver son identité et sa place dans le monde.


Avec son premier long-métrage, Satoshi Kon propose un thriller vertigineux, où réel et imaginaire s’entrecroisent, où les apparences cachent toujours quelque chose auquel le spectateur n’avait pas pensé. Dans son temps, voire en avance sur ce dernier, Perfect Blue va sans cesse crescendo pour sans cesse nous égarer et, d’une certaine manière, nous fasciner. Le cinéaste en impose d’emblée, et ne laisse personne indemne.

JKDZ29
8
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le 26 avr. 2019

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