S’il y en a bien trois qui savent y faire à Hollywood, c’est Spielberg, Streep et Hanks. La recette, non seulement ils la connaissent par cœur, mais ils ont encore participé à sa rédaction. Et de rédaction, dans Pentagone Papers, il n’est question que de ça. Bref, tout ça pour dire qu’on leur donnerait le bon dieu sans confession, tant les caveaux du panthéon du Septième Art dégueulent de leurs exploits. Gageons même que si Hollywood venait un jour à fondre un veau d’or, il lui donnerait la dégaine de Steven, le visage lumineux de Meryl et la bonhomie de Tom.


Pentagone Papers appartient à la catégorie « drame historique et intimiste » de la filmographie de son réalisateur. Comme lors de La Liste de Schindler, Amistad ou Munich, Spielberg convoque en effet l’Histoire au tribunal du cinéma et, plus précisément ici, du cinéma politique des années 70 ; Pollack, Lumet, Pakula ou encore Friedkin seront donc ses juges et nous, spectateurs, son jury.


A bien des égards, le réquisitoire du roi du divertissement renvoie au « nouveau journalisme ». C’est que, en plus de lui rendre hommage (le journaliste Neil Sheenan, qui le premier, dans les colonnes du New York Times, fit paraître lesdits « Pentagone Papers », n’en faisait-il après tout pas partie ?), il en emprunte les codes, en adopte la forme. La narration s’inscrit ainsi dans la veine des Wolfe, Capote, Thompson et autres Talese. Elle allie la rigueur du journalisme et l’élégance de la littérature, la sécheresse des faits et la fécondité des mots. Elle brosse l’histoire des hommes dans la grande Histoire des Hommes et permet d’entrer dans l’intimité des dernières heures d’un bouclage historique.


Les motivations et la vie privée des uns et des autres se retrouvent donc au cœur du processus décisionnel : publier et mettre un vieil ami en porte-à-faux ? Caviarder et renoncer aux idéaux du paternel, et plus largement, du journalisme ? Edulcorer pour satisfaire aux exigences de l’amitié et de la liberté de la presse ? Tenir tête à la Maison Blanche et mettre en péril l’avenir du journal ? De toutes ces questions, Spielberg n’en fait qu’une seule : est-ce l’homme qui fait l’histoire ou l’histoire qui le façonne ? Et sa réponse n’a pas changé depuis ses débuts : comme Oskar Schindler pendant l’Holocauste, l’homme reste « le maître de son destin, le capitaine de son âme », pour citer Henley. Spielberg nie donc la puissance du destin et affirme celle de l’homme, fendant d’une même lame le matérialisme historique de Marx et Engels et la finalité de l’Eglise, et donnant par là même, le primat à la pensée de Pascal (qui eût cru qu’un catholique tel que lui pût être moins fataliste que deux athées comme eux ?) : si le nez de Cléopâtre avait été plus court, la face du monde en aurait été bouleversée ! Rien de surprenant, quand on sait qu’Amblin se cache derrière la trilogie Retour vers le Futur...


Mais loin d’un traité philosophique, et quoiqu’il soit une réflexion, que dis-je, une tribune sur la liberté de la presse, Pentagone Papers se veut avant tout un film didactique et documenté en même temps qu’un divertissement intelligent. Tout en veillant bien à ne jamais trahir les faits, Spielberg raconte donc l’histoire de celles et ceux qui bravèrent l’administration Nixon et publièrent les fameux « Pentagone Papers ». La technicité de l’investigation et la complexité de la publication raviront les spécialistes alors que l’évocation, parfaite, des années 70 et la complicité de Streep et Hanks enlèveront les autres. Bref, il faudrait être un sot pour ne pas se laisser tenter par Pentagone Papers.

blig
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le 11 avr. 2018

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