Allez, on me prête un DVD, je vais tacher d'y faire honneur, petite critique sans prétention.

Premières impressions, avant même de le commencer, au vu de la pochette :

Wah... C'est foisonnant. Quelques images tirées du film, qui ont toutes l'air plus folles les unes que les autres. Une chose est sûre, c'est en couleur.
Je n'ai vu que Les Demoiselles de Rochefort de Demy, et suis assez curieux. J'ai peur aussi, de l'appréhension. Les Demoiselles, c'était vraiment chouette. Un équilibre assez incroyable, que j'ai toujours eu une peur (bientôt je saurai si elle était irrationnelle) de ne pas retrouver dans ses films un peu moins côtés. Soyons franc, il suffisait déjà d'un rien pour que l'on tombe dans un ridicule épouvantable.
Alors. Est-ce que je vais tomber sous le charme ?

[Détail difficile : sur le DVD, les auteurs ont cru bon de mettre des « bonus » dans le pluriel original : donne des « boni ». Ridicule, pratique obsolète au XXe siècle et d'un mauvais goût certain. C'est drôle parce que c'est exactement ça dont j'ai peur pour ce film. Un mauvais goût sans ce qu'il faut derrière pour que la sauce prenne.
Mais je suis sûr que Demy n'est pas à l'origine de cette erreur stupide, aussi donnons lui toute sa chance, et si je suis assez anxieux, c'est aussi parce que j'y place beaucoup d'espoirs.]

… [je regarde] ...

Euh...
Que m'est-il arrivé ?
Bon, faisons le point. Une chose est évidente, d'emblée, j'adore. Je veux dire, c'est incroyable. Plus que du respect, j'ai de l'admiration pour ces gens qui arrivent à un tel degré d'originalité, de maîtrise aussi. C'est bien beau de faire des choses folles, il faut que ça se tienne.
Oui, la note. Bon. J'ai très envie de mettre 8, ce n'est pas inapproprié loin de là, et comme ça, en y ajoutant celle d'un vieux bougon couche-tôt dont je tairai ici le nom, on arrive à 10, la note sensée symboliser en ces lieux la perfection. Alors ce n'est pas parfait, mais comment juger ça.

Fait étrange, j'ai du mal à comprendre que l'on déteste ce film. C'est une réaction qui doit dénoter, non pas l'absence d'une âme d'enfant, mais au contraire l'absence de curiosité scientifique.
Je veux dire, c'est incroyable (déjà dit). Il y a un moment où je me suis dit « plus rien ne pourra m'impressionner dans ce film ». C'était la première fois que le perroquet a chanté (!!). Il s'était déjà passé une foultitude de choses inconcevables, visuellement, et auditivement, ou quel que soit le mot pour ce qui concerne l'ouïe. J'y reviendrai. Et lorsque ce perroquet a chanté pour la première fois, j'ai continué à aller de surprises en surprises.
Toujours est-il que je ne vois même plus ça comme du cinéma. On repousse les limites. On dépasse tout. On explose.
La musique micro-tonale sonne faux pour notre oreille, trop habituée à de la musique tonale ou modale. Un être humain qui aurait grandi dans un univers peuplé de sons micro-tonals trouverait sans doute la musique tonale d'une grande pauvreté, en tout cas extrêmement étrange.
Je crois que c'est là la clef. L'univers de Peau d'Âne est d'une intense richesse, qui dépasse de loin nos standards habituels. Pas « dépasser » dans le sens de « meilleur ». Plutôt comme une transcendance, vers un autre chose, un ailleurs artistique.
Mais je sens que je m'éparpille, et je sens plus fort encore que je n'arriverai pas à parler de tout ce que je voudrai. Dans un souci de cohérence, restreignons nous drastiquement, à la musique, pire, au thème principal. Exit les commentaires qui me brûlent les lèvres sur tout l'aspect visuel fantastique (photographie, costumes, décors, couleurs, effets divers (!!)...), sur tout l'aspect scénaristique (glauque et beau, inceste presque glorifié), sur les acteurs, leur jeu, le rythme...

J'ai beaucoup d'affection pour Michel Legrand. Un génie ça c'est évident, quelqu'un qui a su s'adapter à tous les changements, et en toute occasion produire de belles compositions, éclairées. Je ne peux qu'avoir de bons préjugés pour quelqu'un qui nous a donné ça : http://www.youtube.com/watch?v=IrBQii4P3vc
Alors effectivement, la question de la justesse se pose ici.
Qu'est-ce qui a bien pu se passer dans la tête de Michel pour pondre cette B.O. ?
Non, deux choses tout d'abord. Il faut ré-apprendre à écouter un film. Pas seulement le voir. Je pense qu'ici (pure supposition, je n'ai jamais demandé), les gens ne se rappellent que des chants, et que tout le reste est bien vite oublié. Grossière erreur.
Je me demande comment ça s'est passé, la collaboration Démy/Legrand, en tout cas je vous le dis, c'est du grand art. La musique est splendide, souligne à merveille le film, et mieux que ça, est utilisée avec beaucoup d'inspiration et d'imagination.

Le thème principal déjà, Tout le monde s'accordera sur le fait qu'il est de très bonne qualité, au moins quand il n'est pas chanté.
Exemple du générique, première déclinaison du thème.
Première remarque, très bonne construction de la tête du thème, pourquoi ?

D'une part la construction rythmique, toute en rythmes pointés. Donne un effet rebondissant, entraînant, allant. C'est évidemment bien conçu.
D'autre part, la construction intervallique. Ces intervalles diminués donnent cet aspect dramatique, dangereux. Mais plus encore, c'est la taille de ces intervalles qui rend cette présence du danger si mystérieuse, incompréhensible, magique. D'ailleurs, qui est le méchant, dans ce conte de fées ? Qui joue la vilaine marraine, le capitaine Crochet, la vieille sorcière, les sœurs acariâtres ?
Fonctionne d'autant mieux que cette construction intervallique est effectuée en « dents de scie ». On revient à son point de départ, trois fois de suite. C'est du plus bel effet, et en dehors de critères subjectifs de goût, ça marche très bien dans l'idée du film. Ne me demandez pas pourquoi, je trouve que ça renforce le caractère mystérieux du thème. Plus encore grâce à ce rythme, où cette note référente est clairement utilisée comme appoggiature.
Bien entendu, la construction instrumentale (l'orchestration) est bien pensée aussi. Quel autre instrument pouvait lancer la tête du thème, ouvrant le film, ouvrant le conte ?
Mais plus encore ce que j'aime dans le caractère de cette tête de thème, c'est qu'en l'écoutant, où est-on ? Le château du bon roi, ou le château hanté ? Ce thème est extrêmement glauque, extrêmement peu rassurant, extrêmement inquiétant. Tous ces grands intervalles diminués rebondissants donnent la chaire de poule.
Autant d'éléments qui constituent une tête littéralement entêtante, pardon. Mais c'est un élément important dans la construction d'un thème.

Je ne vais pas faire une analyse détaillée de la construction du développement, ce qui demanderait plus de temps et serait plus fastidieux. On notera des départs en imitation, presque fugué (l'est-ce ?), un jeu de contrepoint très habile, une utilisation de l'orchestre fidèle à Legrand. Ce type a définitivement un sens musical hors du commun, qui englobe beaucoup d'aspects très différents de la musique. Un bon compositeur en somme.

J'aime beaucoup aussi la subtile façon dont c'est décliné pour la chanson. Variation machiavélique du thème principal, le rythme en est un peu brouillé, la construction dont j'ai parlé juste avant est encore plus poussée, plus développée. Du côté de l'orchestration, cet espèce de mini-orgue donne un son extrêmement diabolique. Et plus encore, la justesse étrange dont fait preuve la chanteuse est plus que déconcertante. Ne soyons pas stupides. Michel Legrand connaît la musique mieux que tous ceux qui me liront je pense. S'il a fait sonner ça comme ça, ce n'est pas sans raison. Son oreille est cent fois plus développée que la mienne, et mille fois mieux entraînée. Le but recherché est évidemment celui qui sous-tend le film, l'étrange. C'est déstabilisant. Non mais sérieusement, c'est ça la chanson d'amour ? C'est glaçant ! Le clou avec ce perroquet qui reprend avec la voix d'un animal égorgé ce pastiche de chanson d'amour. Plusieurs fois !

Le thème est repris beaucoup par la suite, dans l'oeuvre, décliné sous différentes formes, modifié, ré-orchestré, etc. Une étude a forcément due être faite sur ce film, du point de vue musicologique, et c'est quelque part regrettable, il y a une telle veine à creuser.

Je ne suis pas un public difficile, j'aime qu'on me surprenne. J'aime les choses un peu folles. J'ai beaucoup aimé Peau d'Âne. Le tout est passé en une petite demi-heure des plus étranges. Vivement dans quelques temps, que je l'ai suffisamment oublié pour le revoir.
Adobtard
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le 18 févr. 2013

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Adobtard

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