En toute logique purement sémantique cette préquelle de X aurait du s'intituler W. C'est finalement sous le titre de Pearl que Ti West revient nous coller un bonne claque cinématographique dans la tronche en explorant le passé trouble et troublant de la vieille femme de X. En attendant fébrilement MaXXXine qui pourrait faire de cette trilogie tout bonnement l'une des meilleurs de l'histoire du cinéma horrifique, il est temps de se plonger dans les abîmes de cette perle sombre, sublime est rare qu'est Pearl.


Pearl c'est donc l'histoire d'une jeune fille qui vit dans une ferme isolée du Texas en attendant le retour d'un petit ami parti à la guerre entre un père handicapé et impotent et une mère rigide et autoritaire. Secrètement Pearl rêve de quitter cet environnement étouffant pour devenir danseuse et star de cinéma quitte à forcer le destin de quelques coups de fourche.


Pearl s'ouvre quasiment sur le même plan que X avec un lent travelling avant qui cette fois ci ne débouche pas sur l'esthétique poisseuse d'un film d'horreur des seventies mais sur la douceur colorée d'un film hollywoodien des années 30. Lettrage et typographie propre à cette époque, couleurs vives et chaudes, environnement rassurant, Pearl apparaît soudainement légère et souriante au milieu de ses animaux avec la même candeur innocente que Dorothy dans Le Magicien d'Oz. Pourtant très vite et symboliquement la jeune fille va prendre une fourche pour tuer l'oie blanche qui la regarde ; le film vient à peine de commencer et déjà Ti West nous impose toutes les contradictions d'un personnage solaire et sombre, rêvant de gloire jusqu'au malaise et prompt à vriller à chaque instant vers l'homicide. Tout comme X dans son genre et l'époque qu'il investissait, Pearl est une petite merveille graphique et de mise en scène qui vient épouser les contours d'une production hollywoodienne des années clinquantes pour mieux en pervertir l'imagerie. Le film de Ti West est d'une véritable élégance avec un magnifique travail du cadre et des couleurs dans un subtil et constant jeu de correspondances entres des éléments et des teintes, comme la robe rouge sang de Pearl qui trouve régulièrement un rappel chromatique dans un élément de l'image et du décor. Le ciel semble parfois trop bleu, l'herbe trop verte, les blés trop jaunes comme pour mieux y inscrire une passion bien trop sombre. Il convient donc de saluer le magnifique travail de Eliot Rockett le directeur de la photographie et fidèle complice du réalisateur depuis The House of the Devil qui nous offre ici des images magnifiques et marquantes car rarement un univers aussi torturé n'aura trouvé cadre plus doux. Et puis toujours au registre du bel emballage Tyler Bates et Tim Williams nous offre une bande originale aux accents parfois proche de Bernard Hermann et qui s'inscrit dans cette même magnifique ambivalence entre envolée lyrique, comédie musicale et thriller terriblement anxiogène. Le film est blindé de séquences fortes et magnifiques ou tout semble un instant se rejoindre pour atteindre une forme de perfection esthétique, narrative et thématique. Je reviendrais plus tard dans cette critique sur certaines d'entre elles mais impossible d'oublier des scènes comme celle de l'épouvantail, de l'audition, du long monologue bouleversant de Pearl ou ce putain de plan final que me donne encore des frissons rien que d'y repenser.


Thématiquement Pearl s'inscrit parfaitement et logiquement dans celle déjà explorer dans X avec cette même idée d'une profonde frustration qui fait vriller et vaciller la raison. Pearl nous parle d'une jeune femme fragile qui rêve de s'extraire de sa condition de fille de ferme et de devenir star pour échapper à une réalité dans laquelle elle se sent désespérément engluée. Pearl rêve d'un idéal et de reconnaissance, elle rêve de s'émanciper du réel pour une vie meilleure et elle rêve d'autant plus fort qu'elle vit dans un univers hautement toxique et écrasant. Pearl doit s'occuper de la ferme, de son père infirme et vivre sous les coups de boutoirs d'une mère qui broie ses moindres désirs d'ailleurs par la culpabilité, la morale, la soumission et l'abnégation. Le film parle d'accomplissement de soit et de tout ce qui pourra venir percuter un esprit qui tente de se construire entre ses rêves, sa condition, l'empreinte et le poids des conventions morales, familiales et son moi profond. Pearl est un personnage aussi bouleversant que terrifiant car c'est tout simplement un personnage perdu entre ses nombreuses contradictions (comme nous tous peut-être). Un rêve de gloire qui nous semble d'un coup injustement inaccessible, un environnement profondément oppressant qui ne cesse de nous rabaisser à notre condition comme une prison, une âme sombre dont on laisse doucement les démons sortir et dicter nos pulsions et au bout du compte un voyage intérieur sans retour vers une folie dictée par un viscérale besoin d'amour, voilà le mal profond dont souffre Pearl, mais pas seulement car c'est peut être ce qui ronge l'humanité entière. Ce désir de toujours vouloir être plus grand que ce que l'on est, ce besoin d'amour et de reconnaissance, la pression de parents qui imposent par leurs propres frustrations des schémas éducatifs nocifs, la confrontation vertigineuse d'une cruelle réalité à nos rêves et aspirations, toute la pression sociale ici matérialisée par un virus qui demande une prudence de chaque instant et la canalisation de nos pulsions animales de sexe, de chair et de morts , voilà quelques une des interrogations dans lesquelles Pearl va nous plonger. Plus encore que la naissance d'une psychopathe c'est à la lente et inexorable destruction d'une âme fragile que Pearl nous invite et c'est peut être en cela que le film de Ti West est aussi puissant, perturbant et émouvant. Un peu à la manière très symbolique de ce porc objet de gourmandise, de générosité et de festin offert à la famille de Pearl et qui reste pourrir sur le porche en se couvrant doucement de vers immondes et de pourriture, le destin de la jeune femme qui s'imaginait star et objet de toutes les convoitises va doucement se retrouver gangrené par la noirceur des immondices de la pourriture de son esprit torturé jusqu'à lui faire perdre la raison. Le très long monologue du personnage qui livre d'un coup toutes ses angoisses, ses rêves, ses aspirations, ses blessures, ses doute, sa fragilité, son vertige et ses démons est d'une puissance dramatique et émotionnelle devenue assez rare dans le cinéma et qui plus est dans celui horrifique. Ne serait ce que pour cette sène Pearl mérite largement de se classer comme l'un des meilleurs films de 2022.


Car si il convient de saluer le talent de Ti West dans la formidable réussite du film que dire de Mia Goth qui est à la fois co-productrice, co-scénariste et incarnation magnifique du personnage. Véritable révélation de X ; cette fois ci la comédienne affole les compteurs et explose l'applaudimètre. Je suis tombé raide dingue de cette actrice et tous les superlatifs ne sauraient suffire pour l'exprimer, elle est absolument EXTRAORDINAIRE dans Pearl, dans le film comme dans le personnage. Ce long monologue face caméra de près de sept minutes durant lequel le personnage se met à nu pour se livrer corps et âme jusqu'à paraître totalement écorchée vive et désemparée devant nous m'a littéralement mis la chair de poule et les larmes au yeux. Franchement quelle claque !! . Et que dire de ce putain de plan final ou la comédienne parvient à faire naître sur son visage l'expression de toute la folie, du désespoir, de la fragilité et de l'intensité malsaine de son personnage ? Ce plan de deux minutes provoque à lui seul un profond malaise chez le spectateur qui ne saura plus si il doit sourire , pleurer ou s'enfuir devant l'image même de la folie et du désespoir qui s'incarne sur le visage de Pearl. Il faut également saluer la performance de Matthew Sunderland dans le rôle de Father qui lui aussi n'aura que son regard que pour exprimer ses multiples émotions et qui parviendra à nous tirer de véritables frissons à de multiples reprises. Un peu plus en retrait car enfermée dans sa rigidité de femme autoritaire Tandy Wright qui incarne la terrifiante mère possessive et destructrice de Pearl est elle aussi très convaincante.


Pearl est un film d'horreur psychologique qui explosera lors de rare mais radicaux moments de violence graphique. Assumant toujours sa filiation avec le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, impossible de ne pas y penser en voyant ce patriarche grabataire en bout de table, Pearl fera également référence à Carrie de Brian De Palma et à l'horreur mélancolique du May de Lucky McKee. Mais le film gardera toujours sa propre et forte identité, bien loin de cette horreur de train fantôme et des formules souvent usés jusqu'à la corde qui ne font plus sursauter personne, Pearl remet le cœur au centre de son histoire, un cœur qui bat, qui saigne, qui pleure, qui hurle et qui souffre.


Il reste à prier très fort pour que Ti West et Mia Goth nous pondent avec MaXXXine une conclusion à la hauteur des espoirs fondés sur ces deux premiers et excellents films. X était très bon, Pearl est une petite merveille alors MaXXXine devra être un rien de moins qu'un chef d’œuvre pour conclure en beauté cette venimeuse et magnifique trilogie.

Créée

le 19 nov. 2022

Modifiée

le 19 nov. 2022

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