Handicap, sujet casse-gueule (oui, le mauvais jeu de mot est assumé) : comment traiter sans condescendance, sans mièvrerie ni apitoiement, sans pudeur gênée un sujet aussi délicat ? Par le témoignage de ceux qui l’ont vécu, évidemment.


Adapté par Grand Corps Malade de son propre livre, Patients restitue l’année de rééducation qu’il a suivie après un accident l’ayant lourdement handicapé. Journal de bord qui assume d’aligner des souvenirs sans nécessairement les lier sous les lois rigides de la narration, le film explore un lieu unique qui va progressivement s’élargir, du lit au fauteuil, au couloir et au réfectoire, un univers d’une galerie de personnages, la plupart blessés et sur des voies plus ou moins compromises de la rémission.


Tout, dans Patients, fonctionne : les acteurs sont excellents, la tonalité d’une justesse imparable, et le dosage des émotions parfaitement équilibré, tout simplement parce qu’on n’a jamais le sentiment d’une écriture derrière le témoignage. Même l’ébauche d’une histoire d’amour, qui laisse un moment supposer quelques mécanismes qu’on préférerait éviter, trouve un juste ton et une issue qui ne sacrifie rien au formatage habituel.


Si l’on suit une trajectoire, c’est surtout au temps qu’il accorde aux seconds rôles que le film doit sa réussite. Des personnels soignants explorant tout l’éventail des (in)compétences aux colocataires, le centre de rééducation est un vivier à émotions, une micro-société qui en dit long sur la France des années 90 et les échos qu’elle tisse avec la nôtre. Sans vraiment le vouloir, le film est aussi social, notamment lorsqu’un des résidents se demande la raison pour laquelle on ne trouve aucun bourgeois du XVIè parmi eux, et ce que ça voudrait dire du confort de leur existence. La bande qui s’agrège autour de Ben est jeune et insuffle un paradoxe vital au sein de cet environnement ankylosé : la vanne comme condition de survie. L’auto-dérision, voire l’humour noir participent de la thérapie, et mettent en place un travail salutaire sur les points de vue : le spectateur est réellement invité chez des gens qui vivent avec leur handicap et qui, progressivement, s’intègre à l’évidence de leur humanité. Belle leçon qui renverse les perspectives (notamment dans cette façon d’évoquer frontalement les conséquences sur la dépendance, l’infantilisante « petite toilette » qu’évoque un aide-soignant, la manière dont Ben parle de sa sonde à son pote au téléphone pour le provoquer) sans pour autant occulter les difficultés rencontrées, le titre polysémique renvoyant autant à la question des patients médicaux que de ceux qui doivent, parfois en vain, faire preuve d’une patience herculéenne face à la lenteur de leur corps.


Ce rythme a géométrie variable -l’ennui et la répétition faisant partie intégrante du quotidien des résidents – est rendu par un beau sens de la mise en scène, à la faveur de certaines répétitions (« passe-moi le sel », par exemple, ou les diverses entrevues avec un amnésique) et de belles séquences de sommaires, une en travelling latéral, l’autre dans un time-lapse aménagé qui disent avec un réalisme teinté de poésie sobre les affres de l’exercice et de la lutte quotidienne de ces modestes super-héros.


Tout dire, tout affronter, tout accepter, au risque de devoir changer d’espoir. Patients passionne parce qu’il n’est pas fait pour les visiteurs, mais par les résidents, émeut parce qu’il ne cherche pas à convaincre, et évite tous les pièges parce qu’il n’esquive rien. Autant de qualités, précisions-le pour une fois, éminemment françaises.

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le 16 avr. 2019

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Sergent_Pepper

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