Illusions perdues
C'est un condensé d'humanité qui se découpe en ombres inquiétantes sur les murs gris de cette petite banlieue parisienne. Un petit bout de planète coincé entre un terrain vague boueux et un vieil...
le 20 sept. 2014
42 j'aime
19
Maudit soit celui qui porte avec fierté sa différence et mort à celui qui ose braver la norme en se moquant des murmures qui fleurissent sur son passage. Pas assez jouasse au goût de son boucher, lequel encaisse pourtant sans vergogne le billet que l'indésirable lui tend, avare en «bonjour» lorsqu’il croise les adultes et jugé trop avenant envers les enfants, le barbu solitaire du coin inquiète.
Pas étonnant alors qu’une étincelle rusée suffise à embraser la furie d’une foule catatonique attendant son heure pour caillasser l’indigne rejeton qui refuse de se plier aux us et coutumes de la vie en communauté. Menée par un jury de fortune représentant ce qui se fait de mieux dans nos petites sociétés méticuleusement hiérarchisées, elle peut enfin déverser le trop plein de connerie humaine qu’elle concentre.
Dix ans après Fritz Lang qui mettait en scène, dans Furie, cette méchanceté gratuite presque libératrice, que l’effet de groupe peut engendrer, Julien Duvivier compose avec Panique une fable sociale particulièrement éprouvante. Outre son final désenchanté, c’est son réalisme dans sa plus simple expression qui prend aux tripes : qui remettrait en question les comportements de tous ces gens ordinaires auxquels chacun peut s’identifier ?
Ces commerçants bien certains d’être les gracieux porteurs d’un exemple à suivre, ces flics tout contents d’avoir pu boucler leur affaire sans trop d’efforts, ces petits frappes qui profitent de l’anarchie occasionnée par un règlement de compte public pour rassasier leur faim de violence ou encore cette pauvre pimbêche prise dans les filets d’un esprit trop dominant, nous les avons tous croisés, nous les avons tous été. Qui peut en effet se targuer d’avoir en toute circonstance eu l’esprit lucide, de ne s’être jamais fourvoyé à propos de quiconque. Se tromper est humain, se rendre compte de son erreur l’est aussi. Encore faut-il retrouver la raison assez tôt.
De ce pitch universel, Duvivier tire un film thématiquement puissant mais pas seulement. Visuellement, Panique est également d’une belle richesse. A l’image de cette caméra qui choisit de ramper sous une estrade pour rendre compte d’un mouvement de foule, la mise en scène du cinéaste, classique la plupart du temps, misant sur une photographie précise, sait aussi faire preuve d’audace. Le dernier acte ne dément pas sa folle ambition : désireux d’aller au bout de son ouvrage, et de quitter son audience sur une belle note d’intention, il propulse sa caméra sur des toits parisiens pris au piège d’une folie éphémère mais puissante.
Presque aussi intense que la partition de Michel Simon, prodigieux acrobate du verbe, subtil archer du geste, sans qui Panique n’aurait probablement été que Frayeur. Mesuré et pourtant passionnément investi, il est l’élément clé du film, celui en qui Duvivier croit plus que quiconque pour dérouler son propos. Le pari est gagnant, à n’en pas douter : l’irascible Mr Hire, le mystérieux Docteur Varda est le personnage versatile qu’il fallait pour rendre compte d’une justice populaire à la fois exagérément brutale et pourtant si crédible. Détestable mais charmeur, bien plus mesuré que tous mais pourtant si rigide lorsqu’il est question d’interaction sociale, il est l’illustration parfaite du misanthrope qui sommeille en chacun de nous et ne demande qu’à se réveiller...
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un cacheton en N&B pour les intégristes de la couleur et L'ours, Homo Video, en 2016
Créée
le 18 juil. 2016
Critique lue 378 fois
8 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Panique
C'est un condensé d'humanité qui se découpe en ombres inquiétantes sur les murs gris de cette petite banlieue parisienne. Un petit bout de planète coincé entre un terrain vague boueux et un vieil...
le 20 sept. 2014
42 j'aime
19
Proposez un film français de 1946 à deux spectateurs, l'un vieux cinéphile bourlingueur et l'autre jeune blockbusterophage intrépide, et ils auront l'un et l'autre de bonnes et de mauvaises raisons...
Par
le 6 oct. 2014
38 j'aime
14
Centre-ville de Lisbonne, Portugal, octobre 2014. Escapade automnale. Foule n°1. Errer dans les rues de la capitale portugaise et ressentir la diversité de la foule ibérique. Aux accents enjoués de...
Par
le 6 oct. 2014
34 j'aime
15
Du même critique
J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...
Par
le 26 janv. 2019
81 j'aime
4
Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...
Par
le 7 déc. 2014
74 j'aime
17
Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...
Par
le 14 déc. 2014
58 j'aime
8