Tout le quartier est en émoi : un crime vient d’être commis ! Mais qui peut bien être le responsable ? Tout le monde se connaît bien, dans le quartier, personne ne ferait de mal à une mouche. A moins que l’inquiétant M. Hire (Michel Simon), lui qui est toujours si solitaire mais si discret, si asocial mais si doux, ne cache une âme de meurtrier…


Il y a des films futuristes qui nous font bien rire aujourd’hui quand on voit la vision de la société actuelle, complètement éculée, qu’ils proposaient alors. Et il y a des drames ancrés dans leur époque qui glacent le sang quand on découvre que plus de 70 ans après, ils sont toujours d’une terrifiante actualité. C’est le cas de Panique, de Julien Duvivier.
S’appuyant sur un diabolique scénario tiré d’un roman de Georges Simenon, le réalisateur met à nu l’implacable mécanique de la tyrannie du nombre, cette « tyrannie douce » devenue le pain quotidien de la démocratie dans laquelle nous vivons. Anticipant par là le chef-d’œuvre de Billy Wilder Le Gouffre aux chimères, Duvivier fait montre d’un talent sans pareil pour créer des personnages d’une densité incroyable donnant corps au récit de la plus belle des manières. Grâce à des acteurs de génie, au sommet desquels l’immense Michel Simon, le récit s’anime sous nos yeux avec une vie étonnante, chaque personnage suscitant tour à tour notre attachement et remettant sans cesse en cause les apparences auxquelles nous nous sommes fiés un peu rapidement.
C’est en effet la grande leçon de ce film : les apparences sont trompeuses, certes, mais il ne tient qu’à nous de vouloir nous y fier ou non. Selon la terrible logique du groupe, qui, à l’image de la triste métaphore rabelaisienne des moutons de Panurge, nous prive de toute réflexion au profit d’une image que l’on cherche à conserver en imitant tout le monde, la petite société mise en images par Julien Duvivier s’avère d’une cruauté sans nom, rejetant sans scrupules l’innocent qui vit différemment, loin des ragots du monde et de sa méchanceté. Mais c’est finalement lorsqu’on cherche à s’en éloigner que cette méchanceté nous rejoint le plus vite, et c’est la sinistre expérience qu’en fera M. Hire. Livré à lui-même, le peuple est le pire des tyrans et le plus blanc de ses agneaux devient le plus noir de ses boucs émissaires...
Il fallait bien tout le talent de Julien Duvivier, aidé par le contexte d'une Libération unissant dans son aberrante intolérance les artistes français ayant continué à exercer sous l'Occupation et ceux l'ayant fui à l'étranger, pour mettre en images cette leçon avec une magnifique justesse et sans moralisme, la rigueur de la photographie de Nicolas Hayer et l’intelligence de l’écriture des personnages comme du scénario (adapté par Charles Spaak et Julien Duvivier) s’avérant bien plus éloquents que n’importe quel dialogue explicatif. C’est aussi ce qui en fait un film si intemporel, non pas sur la société des années 1940, mais sur l’homme en général, qui fait mal, mais qui touche tellement juste, encore aujourd’hui…

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le 6 avr. 2018

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Tonto

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