Depuis tout petit, il m'arrive de voir des films avec ma maman. D’abord et tout naturellement parce que Magali (c'est elle) s'est toujours posée comme une passionnée insatiable, curieuse de toutes les formes d'art; ensuite et sans doute parce que cela est devenu pour elle un des meilleurs moyens de se tenir proche de la trajectoire de son plus jeune fils qui, à certains moments de son existence, a pu emprunter des courbes oscillantes.


Avant-hier soir, je suis tombé par hasard sur le dernier quart d’heure d’Out of Africa, qui fait partie des films qui ont, en leur temps, marqué profondément et durablement le duo qu'il nous est arrivé de former devant un écran. Sans doute à l'époque la très grande émotion de la mère avait-elle déteint sur son fils encore impressionnable. Ayant perdu ma maman il y a quelques jours, je mesure aujourd’hui pleinement à quel point les raisons pour lesquelles elle a follement aimé ce film, et à travers lui, l’histoire de la vie de Karen Blixen, sont évidentes.


Plus encore que les images sublimes du Kenya et la musique envoutante de John Barry, c’est bien le destin de la baronne qui a impressionné la daronne. Comme Karen, elle partageait le goût d’une indépendance forte à une époque où la chose n’était pas encore commune. Comme Karen, elle avait un penchant coupable pour les amours tourbillonnants qui ont eu l’art de lui compliquer l’existence. Comme Karen enfin, elle eut toute sa vie des envies de voyages lointains et exotiques qu’elle assouvissait le plus souvent possible et qui l’aidait à oublier un quotidien parfois trop morose dont elle se faisait un devoir de remplir chaque minute avec une avidité et une vigueur sans cesse stupéfiantes pour son entourage.


C’est donc maintenant à mon tour de m’identifier à l’héroïne du film de Pollack, et comme Karen au moment des funérailles de Denys Finch Hatton, contempler l’horizon inconsolable des êtres condamnés à disparaitre comme la fumée d’une locomotive qui s’éloigne dans la plaine d’un souvenir encore inconcevable, pleurant dans un sourire sur un concerto pour clarinette de Mozart.


..


(PS: et comment ne pas vous faire part de mon trouble lorsque, ayant écrit ces derniers mots, je vérifiais aussitôt le morceau de Mozart joué pendant le film, (film dont nous n'avions plus parlé depuis des années): il s’agissait très exactement du même concerto et du même mouvement que celui qu’a demandé ma mère pour son enterrement.)

guyness

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