"Je cherche un homme", une société, une philosophie...

Avis sur Orange mécanique

Avatar Greenbat85
Critique publiée par le

En 1971, sort sur les écrans le nouveau film du réalisateur américain Stanley Kubrick. Oeuvre adulée, classée parmi les meilleures oeuvres de science-fiction si ce n'est du cinéma entier, il est difficile de trouver une critique négative.
Le seul scandale que le film a déclenché (notamment à sa sortie) c'est sa violence décomplexée et stylisée, et il a du être déprogrammé des cinémas durant une longue période alors que, vraisemblablement, les films violents n'inspirent généralement pas des gens qui ne sont pas déjà violents à la base.
Pourtant, on pouvait y trouver bien des défauts, véritables ceux là, à commencer par le grand HS que constitue ses postulats sur l'homme.
Aussi, n'ayant rien à redire sur la forme (le jeu d'acteur de Malcolm Macdowell, les plans, les jeux de lumière, l'usage de la musique, le cinéaste étant certainement à l'apogée de la maitrise de son art), je vais plutôt m'attarder sur le propos et les thématiques du film.

Présentant successivement la brutalité locale puis gouvernementale, sans expliquer ses causes mais avec un certain brio dans le montage et la mise en scène, Orange Mécanique porte moins sur la violence que sur le traitement et l'exploitation politique de celle-ci.
Mais il y a aussi un propos, rapidement étayé, sur sa nature et sa place dans la société, qui est en réalité complètement essentialiste.
Ce HS n'est pas le fait de Stanley Kubrick et provient avant toute chose des préjugés sur l'homme et sur le mal de l'écrivain anglais Anthony Burgess, dont est adapté ici le roman.
Pour lui, en effet, et en réalité pour beaucoup (après deux mille ans de lavage de cerveau justement), l'homme est comme son personnage principal, défini par trois critères : le choix, la violence (ou plutôt sa propension à la violence), et l'amour du Beau. Supprimez l'un de ces critères et il cesse d'être un homme (il devient "mécanique").
Ce genre de postulat sur l'homme, dès lors qu'on essaye de résumer ce dernier en formule, est voué à l'échec. Certains philosophes l'ont compris dès l'Antiquité (comme Diogène de Sinope).
Et c'est exactement la formule adoptée par le personnage d'aumônier, dans le film, qui affirme que l'homme est doué de "libre-arbitre" et que le priver du mal c'est le priver de son humanité.
De là toute une ribambelle d'interdits dans les milieux trop croyants comme celui de prendre des médicaments, et parfois même celui de guérir (puisque, après tout, toute souffrance est voulue par le Créateur et celui-ci ne souhaite rien que nous ne puissions surmonter).
De même, tous les hommes ne cherchent pas le Beau (et ne sauraient le reconnaître, ni même d'ailleurs se mettre d'accord sur ce que c'est).
Ni la violence maladive (pathologique ou traumatique), ni la violence conventionnelle (par intégration), ni la violence idéologique, ne sont abordées par le film. On suppose seulement une violence dont l'unique source est le choix absolu de faire le mal sur la base d'un libre-arbitre tombé du ciel.

Le sadique qui ne souffre donc d'aucun trouble ou trauma, le réformateur qui se fout de toute éthique, le religieux qui défend la liberté d'un homme dont il ne peut prouver l'existence. Que nous reste t-il comme lien avec la réalité dans ce film qui, après tout, souhaite illustrer des thématiques concernant la violence ?
A vrai dire il en reste un mais c'est un lien tout aussi étroit : les victimes remplies de rancoeur et de désir de vengeance. Le film n'explore ici qu'une seule face de la réalité et en invente d'autres.
Il y est fait le pari que pour l'habitant de l'Angleterre du futur, la vie nocturne appartiendra aux criminels.
Pourtant force est de constater que l'anticipation sociale n'est ici pas meilleure en présentant un monde en prise à une forte délinquance puisqu'en réalité la criminalité a énormément baissé en un siècle. Il est probable que dans les années 70 il n'y avait pas encore de société à très faible taux de criminalité, et aussi les politiques de réinsertion sociale en Europe du Nord étaient à leurs balbutiements, mais on observait partout déjà une baisse significative due à la hausse du niveau de vie.

Heureusement, Orange Mécanique est un poil plus pertinent dans sa projection sur l'instrumentalisation politique du traitement de la violence.
La méthode psychologique pavlovienne (traitement par aversion qui est l'épouvantail critiqué par l'auteur du livre), employée comme moyen de guérir la violence, devient potentiellement totalitaire en supprimant paradoxalement l'aptitude à résister à la violence policière ou gouvernementale (d'anciens compères du personnage principal qui n'ont pas subi le traitement deviennent d'ailleurs des policiers).
On aurait pu voir approfondi cet élément là, le jauger à l'aune des différentes relations à l'ordre et à l'exercice du pouvoir que peuvent avoir une personnalité psychotique.
Mais ici aussi, le film préfère s'attarder sur des instrumentalisations politique moins probables, puisque, outre les personnages qui (comme le ministre de l'intérieur "conservateur") comptent sur l'éradication de la violence (et du sex) pour obtenir l'aval du peuple, il nous est présenté au cours du film d'autres individus qui cherchent à faire tomber ce gouvernement et ses dérives totalitaires par des moyens tout aussi dépourvues d'éthique (comme ce "fou de gauche" pour reprendre les termes employés par Kubrick).

La où la partialité ne va d'autant pas avec la pertinence, c'est lorsque Stanley Kubrick affirme que les deux bords ont des objectifs similaires, ce qui loue en quelque sorte la thèse du "tous pourris" dans laquelle on tente d'ailleurs d'enfermer les débats politique de nos jours.

Les risques politique liés à la violence (et une violence aux causes bien concrètes) ont, il me semble, été bien plus brillamment soulignés dans un film comme M Le Maudit, de Fritz Lang, quarante ans plus tôt, avec, qui plus est, un retournement de situation du statut du criminel complètement similaire.

La science-fiction et plus précisément l'anticipation sociale a généralement pour objectif de parler du présent en l'amplifiant dans un avenir proche ou lointain. Si l'on considère Orange Mécanique sous l'angle essentiellement technologique, alors il ne s'agit pas d'une si mauvaise science-fiction. Le thème de la technologie et de ses implications est bien là même si maladroitement abordé.
Les angles "politique", "sociologique", "philosophique", qui intéressaient Stanley Kubrick sont cependant quelque peu HS, relativement à la réalité actuelle mais aussi à celle de 1971.

Reste"la symbolique psychologique onirique", probablement restituée dans les flashs érotiques du protagoniste, élans de pulsions habituelles ou bribes épargnées par les méfaits des autorités.

Le film ne parvient pas à se détacher de l'essentialisme flagrant de l'auteur original, et lorsqu'il touche enfin quelque chose comme la violence légale, il l'élude dans un océan de violence tout aussi essentialiste. En plein Flower Power (culture complètement éludée par le long métrage), Kubrick ne projette que la face sombre d'une humanité imaginée (une violence choisie) dans une société tout aussi spéculative (à la violence répandue), et n'entrevoit qu'une conception absolue de la morale (le libre-arbitre) face à un ordre aspirant au contrôle absolu (l'éradication de la criminalité).
Une définition moins coutumière et moins prétentieuse de l'homme aurait certainement permis de rendre lisible une intéressante réflexion philosophique sur la moralité et la liberté, comme l'idée que tout acte moral suppose la liberté, mais le film préfère perpétuer des conceptions plus vieilles encore que celles d'Emmanuel Kant ou de Victor Hugo.
En toute ironie, la thèse du film fut adoptée lorsqu'on le retira des écrans suite à des violences perpétrées en référence au personnage principal, comme si un film pouvait déclencher le "choix" de la violence chez les spectateurs. Pourtant, les enquêtes sur ces violences révèlent surtout un mimétisme esthétique, une imitation de moyens, et non pas un choix de la violence en soi suite à la vision d'un film.

Pour la réalisation et le montage je mets 3 étoiles, pour le jeu d'acteur 3.

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