Alors qu'il est en pleine préparation de son premier long-métrage Diamant noir (2016), Arthur Harari cherche un sujet de film d'aventure. C'est alors que son père lui souffle l'histoire d'Hiro Onoda, ce soldat japonais envoyé en 1944 sur une île des Philippines, croyant que la Seconde Guerre Mondiale était toujours en cours durant 28 ans avant que le Japon ne le rapatrie. Grâce au soutien du producteur Nicolas Anthomé, Onoda finit par se produire avec un casting étranger pour un peu plus de 3 millions d'euros en coproduction avec la Belgique, le Japon, l'Allemagne, le Cambodge et l'Italie. Un film multiculturel, mais tourné en japonais et non en anglais comme l'auraient probablement fait des anglophones pour toucher un public plus large (47 ronin par exemple).


Le film se concentre sur les années aux Philippines avec quelques flashbacks montrant l'entraînement du japonais. Le seul point de vue différent viendra du touriste japonais qui le découvre en pleine jungle en 1974 (Taiga Nakano). Tout le reste repose sur l'escouade d'Onoda partie d'un camp suite aux différents assauts dans le Pacifique avant de n'être qu'un petit groupe qui se réduit drastiquement en pleine guerre secrète. Si le début fait clairement penser à La 317ème section (Pierre Schoendoerffer, 1965) avec ses soldats en fuite, les parties suivantes montrent un survival cocasse.


En effet, les soldats sont dans un microcosme temporel ravageur, cloisonnés dans une réalité qui n'est plus où ils sont aussi bien des victimes du système que des ennemis pour ceux qui les entourent (en l'occurrence des fermiers philippins menacés ou liquidés par les japonais). Les morts sont peu nombreux dans le film, mais quand cela arrive, l'aspect graphique est toujours évident. Les japonais se croyant encore à la guerre, ils s'avèrent des guerriers redoutables y compris plus âgés. Toute la différence avec le passage où ils sont dans un village brûlé en temps de guerre avec affrontement inévitable. Des personnages conditionnés mais néanmoins brutaux, comme le montre la scène avec la femme abattue froidement après séquestration (Angeli Bayani).


Le film s'avère également terrible dans ce passage où les soldats restants sont face à des gens leur demandant de se rendre car la guerre est finie. Discours qu'ils ne parviennent pas à comprendre, tout en volant des journaux et radio évoquant clairement le changement de situation. Comme des agents d'infiltration, ces soldats sont dans un monde où il faut un ordre officiel pour qu'ils arrêtent d'être dans un rôle et c'est exactement ce qui arrive avec Onoda et ses hommes. Leur échappatoire ne peut venir que de leur chef (Issei Ogata), rendant le périple de ces hommes aussi sinistre que dramatique.


D'autant qu'au fil du temps se présente aussi une routine, avec des lieux spécifiques typographiés et utilisés pour telle ou telle saison. Si le film se focalise sur des passages spécifiques (on ne peut pas se focaliser entièrement sur 29 ans d'errements, même sur 2h47), Harari montre le temps qui passe avec des acteurs qui vieillissent à l'œil nu ou changent tout en ayant une ressemblance évidente avec les précédents. Et ce sans parfois préciser les années où se déroulent l'action. Le film peut également s'aider des prestations exemplaires de Yuya Endo, Kanji Tsuda, Yuya Matsuura et Tetsuya Chiba, parvenant à montrer toute la complexité de leurs personnages. Des gens qui ont appris à tuer, tout en restant profondément humains dans une situation extraordinaire et qui peuvent craquer à tout moment.


En résulte, un film superbe (cf la photo de Tom Harari, frère de) où la guerre est intérieure avec son lot de désenchantements, posant le constat terrible de ces abandonnés de la guerre.

Borat8
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le 16 août 2021

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