Dans Only Lovers Left Alive, tout est une question de temps. Une question de temps et du rapport de l’artiste avec celui-ci. Dès lors Jarmusch alterne :
-les moments suspendus, comme cette très belle ouverture où les étoiles se confondent avec le disque vinyle puis avec les corps étendus de nos 2 héros
-les nappes de passé, comme les guitares d’Adam et les livres d’Eve représentant autant de témoignages alignés du passé et les nombreuses références à leurs vies passées et aux hommes cotoyés
-la pointe de présent toute entière contenue dans l’insouciance et l’inconséquence d’Ava
-« et le futur ? » me direz-vous. Le futur c’est là tout le problème de ces être intemporels et désincarnés voués semble-t-il à disparaitre, tout au mieux à survivre difficilement.

Les zombies (comprenez les humains) semblent voués à l’autodestruction. Ils boivent, se droguent, trafiquent, piratent, etc. et polluent même leur propre sang obligeant nos bons vampires à s’approvisionner dans des labo plutôt qu’à la « source ». Ils en retirent une sorte dans dandysme à boire leur sang dans des petits verres à cocktail ou sous forme de bâtonnets glacés mais aussi une forme de fragilité qui pourrait leur être fatale s’ils perdaient leurs fournisseurs. Ces "shooters" de sang O-négatif (est-ce que la négation du 0 est le grand tout ?) sont d’ailleurs perçus comme autant de shoots d’héroïne plongeant nos vampires dans une extase totale.

Alors l’artiste, être intemporel, hors du temps, attaché au passé nécessaire à sa création a-t-il un futur ? A propos de Detroit en ruines (résultat d’une grave crise économique de la ville) Eve dira « When the cities of the south will burn, this place will bloom ». On retrouve alors l’idée de cycle développée dans l’ouverture du film. On la retrouve également à la fin du film lorsqu’Adam et Eve se voient contraint d’agir d’une manière « so fucking XVth century ».

Finalement, si seuls ceux qui aiment restent en vie, Jarmusch substitut la survie du plus apte à la survie du plus aimant. Et comprenez par-là que finalement seul l’artiste obtient sa part d’immortalité par sa capacité à aimer ce que d’autres ont créés et à créer ce que d’autres aimeront.

Si je salue la forme : très belle photographie, mise en scène au cordeau, gestion du rythme parfaite, pointes d’humour, bonne b.o. et surtout interprétations fantastiques de Tom Hiddlestone, Tilda Swinton, John Hurt et Mia Wasikowska, le message me semble délivré de manière légèrement élitiste. Sans aller jusqu’à l’œuvre accessible à tous, Jarmusch aurait peut-être pu éviter cet étalage culturel qui confine parfois à la suffisance (regardez : je lis Goethe en allemand et je connais le nom de jeune fille de Mary Shelley, etc.).

Il en reste néanmoins un beau film à l'atmosphère très travaillée.
7.5/10
ghyom
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2014 et Les meilleurs films de Jim Jarmusch

Créée

le 31 juil. 2014

Critique lue 508 fois

6 j'aime

ghyom

Écrit par

Critique lue 508 fois

6

D'autres avis sur Only Lovers Left Alive

Only Lovers Left Alive
VesperLynd
7

Je t'aime mélancolie ♪♫

L'immortalité est une plaie. Adam ne le sait que trop bien. Ce vampire reclus (et fan de bonne musique faut pas déconner), observe depuis des siècles la lente déliquescence du monde qui l'entoure...

le 26 janv. 2015

123 j'aime

13

Only Lovers Left Alive
pierreAfeu
5

Beau, beau, beau et chiant à la fois !

Cette histoire de vampires n'est évidemment qu'un prétexte. C'est l'immensité du temps qui intéresse Jarmusch, la musique, l'amour peut-être. En vrai romantique resté bloqué au XIXe siècle, cultivant...

le 23 févr. 2014

101 j'aime

9

Only Lovers Left Alive
guyness
6

Vampire des sens

Entrer dans un film de Jarmusch en contemplant tour à tour une Supro, une Hagstrom, une Silvertone (ampli dans le flycase !), une Gretsch modèle Chet Atkins et une vieille Gibson’'she' de 1905,...

le 4 mars 2014

83 j'aime

26

Du même critique

Citizenfour
ghyom
8

A travers le PRISM de Laura Poitras.

« Citizenfour » ne cherche pas à expliquer le fonctionnement de l’espionnage systématique massif mis en place par la NSA et le gouvernement américain. Il ne cherche pas non plus à condamner et à...

le 25 févr. 2015

56 j'aime

7

Mad Max - Fury Road
ghyom
9

Histoire d'un aller et retour

La première chose qui frappe dans ce film c'est la photographie. C'est tout simplement somptueux. Bien aidé il est vrai par les paysages, il faut tout de même noter le travail fantastique de John...

le 17 mai 2015

38 j'aime

5

Midnight Special
ghyom
8

Ô Mage de l'imaginaire

Il y a les hommages ratés qui oublient ce qui faisait la spécificité de sa/ses sources d'inspirations. Comme "Jurassic World" qui a oublié ou n'a pas su recréer l'émerveillement de "Jurassic Park"...

le 29 mars 2016

35 j'aime

12