COLLISION IMMINENTE !!!! COLLISION IMMINENTE !!!
BOOOOUM !!!!!!


Eh, oui, avec On ne vit que deux fois, vous venez d'assister à un Big Bang des univers littéraires et cinématographique de grande ampleur qui, fertile, donne lieu à des myriades d'étoiles !
Au niveau du roman, Ian Fleming s'amuse à forger une oeuvre curieuse, d'un esprit baroque et médiéval, sorte de roman de la rose morbide et détourné dont le titre est tiré de son haïku épigraphe, pastiche du Maître du genre poétique: Bashô. Il eût été d'ailleurs une idée de suite pour Au Service secret de Sa Majesté, film qu'il précède au cinéma. Sa fin, qui aurait pu donner lieu à une intrigue complète sera la source d'inspiration de Robert Ludlum en 1980 pour les aventures de Jason Bourne. Eh oui: sans James Bond, point de Jason Bourne et, par là, point de XIII non plus.
C'est de ce carrefour encore confus de références et d'influences que les producteurs de la saga EON doivent tirer un scénario pour le cinquième volet des aventures de 007. Qu'en ont-il fait et qu'en penser?


Le James Bond de Roald Dahl


A première vue, On ne vit que deux fois est le premier volet de ce que certains ont appelé plus tard la trilogie du monorail. C'est à dire les trois films de Lewis Gilbert (Alfie) qui ont la particularité de se ressembler énormément et de présenter toujours un monorail dans le repaire des ennemis de Bond (On ne vit que deux fois,L'Espion qui m'aimait et Moonraker).
On ne vit que deux fois est avant tout un James Bond qui n'est pas Ian Fleming. Il s'agit de la réécriture par Roald Dahl, l'auteur incontournable du diptyque Charlie, du Bon Gros Géant, de Mathilda, de Sacrées sorcières et de James et la pêche géante. Et parce qu'il est le fruit du gigantisme de Roald Dahl, nul doute que le James connu, tout en restant lui-même, va changer d'univers.
Exotique, il dresse un paysage nippon digne de l'asiatisme de la fin du XIXe siècle qu'incarnait entre autre le poète sous l'égide duquel s'est placé le roman et le titre. Le film offre d'ailleurs un Japon double, à la fois futuriste, technologiquement développé, couvert de néons, mais aussi terreux, maritime, pastoral des pêcheurs et des amas, les plongeuses japonaises. Une pêche miraculeuse pour James et les spectateurs qui peuvent ainsi s'extasier devant une une beauté tour à tour futuriste et sauvage, moderne et archaïque. D'aucuns condamneront l'aspect carte postale, les autres boiront le saké délicieux de ces paysages hors-norme occidentale. Du moins presque, car l'argent faisant pression et Roald Dahl aidant, le Japon primitif d'On ne vit que deux fois doit certaines de ses montagnes et surélévations au charme rocheux d'Espagne si cher à Cervantès et Potocki.
Mais l'empreinte que Dahl appose sur ce volet de Bond ne réside pas tant dans l'exotisme, qu'on trouve dans bon nombre de James Bond, que dans la folie furieuse quasi-merveilleuse de ses trouvailles narratives. L'empoisonnement par les fleurs du roman trouve son écho par une scène d'empoisonnement au moyen d'un fil le long duquel coule un poison pour finir sa couse dans la bouche du dormeur, par exemple. Ce qui n'est qu'un faible exemple en comparaison de la "réception habituelle" que Tanaka, chef des services japonais, propose aux ennemis de ses agents: plus déments que dans Goldfinger, les aimants de casse automobile sont ici suspendus à un câble pour attraper la voiture des poursuivants au vol et la relâcher dans la mer la plus proche ! Une idée totalement dans l'esprit dahlien qu'on appréciera en tant que telle ou pour elle-même. Mais que nous appesantissons-nous sur ces pâles billevesées quand on peut s'offrir la Petite Nellie, mini-jet armé de fusées, de missiles, et autres subtilités, svelte et très maniable, amélioration d'un véritable autogire du commandant Ken Wallis? Le combat en forme de ballet aérien meurtrier autour de la Petite Nellie est d'ailleurs exceptionnel, spectaculaire, unique en son genre. D'abord introduit de façon expressionniste - les hélicoptères ennemis arrivent en tant qu'ombres profilées sur les massifs environnants - elle affirme son côté vernien, étant toujours présenté comme une petite fille, un petit chaperon rouge accompagnée par son père et attaquée par de grands méchants loups. Son nom, quant à lui, résonne conradien, moins en référence à L'Agent secret qu'au Coeur des Ténèbres où le bateau de Marlow est nommé Nellie. Sans doute pour créer une intéressante analogie entre les personnages de Kurtz et Blofeld cachés dans l'ombre et révélant leur identité en bout de course?
Méchants qui ne seraient rien sans leur impressionnant repaire qui, dans le cas de Blofeld ici, sous la main du génie de l'architecture théâtrale, Monsieur Ken Adam, dépasse tout ce qu'on peut imaginer. Ayant coûté à lui seul le budget du Docteur No, ce décor sublime de fantaisie est le plus grand de son époque ! Une base secrète creusée à même la roche d'un volcan japonais éteint !
Hitchcockien par certaines scènes (la redécouverte des bureaux d'Osato le lendemain de sa fracassante intrusion digne de la Mort aux trousses), typiquement bondien par d'autres ( les appartements de Blofeld au sein du volcan rappelle ceux du Docteur No et l'exécution inattendue des échecs de ses agents celles de Bons Baisers de Russie et Opération Tonnerre; ces dernières sont d'ailleurs répétées dans ce film), ce nouveau James Bond trouve davantage sa place au panthéon des folies romanesques de Roald Dahl.


Oublier n'est pas tuer


Le clou du style dahlien réside dans le choix majeur de sa narration.
Là où Ian Fleming privilégie le cynisme et l'ironie d'un titre renvoyant aux suicides proposés par Osato pour le compte du SPECTRE et à l'amnésie très réaliste de Bond - source rappelons-le, martelons-le de Jason Bourne - Roald Dahl privilégie le fantastique, certes et heureusement toujours prétexte, plus cher à son univers personnel.
C'est là que réside autant le génie que l'absurdité de ce volet de James Bond, qui pourrait d'ailleurs s'appeler On ne vit que trois fois.
James Bond met en scène son propre assassinat à Hong Kong afin de duper ses ennemis et avoir les coudées franches pour mener son enquête. Si on peut le voir comme une métaphore des fantasmes du tournage - Sean Connery aurait pu aimer faire croire à sa mort pour éviter de se faire photographier aux toilettes par un paparazzo japonais - on peut aussi trouver intéressante l'idée d'une double vie pour piéger l'ennemi.
Néanmoins cela reste absurde pour plusieurs raisons:
- Première: la mort intervenant dans la scène pré-générique ne fait qu'entériner un faux suspens du type des scènes pré-génériques de Bons Baisers de Russie et Opération tonnerre.
- Deuxième: Bond est vite repéré comme vivant par Blofeld et doit alors "mourir" une seconde fois pour renaître japonais (on ne s'attardera pas sur la polémique du grimage de Sean Connery). Insuffisant, les hommes du SPECTRE continueront malgré cela à attenter à sa vie. En un mot, le subterfuge est inutile et ne sert qu'à justifier le titre autrement que ne le fait le roman.
Et le vrai problème est là: le choix fantastique de Dahl s'éloigne du choix ingénieux d'un Bond qui change de vie involontairement car amnésique. Ce qui justifie bien mieux le titre. Ce qui s'explique aussi.
La saga EON doit faire face en 1967 à un nouvel adversaire inattendu: le Casino Royal de Val Guest pour le diptyque Pussycat. Tandis que fait rage la première Battle of Bond, Sean Connery affronte un David Niven qui se sait plus légitime et qui va jusqu'à le présenter comme un "acteur libidineux" faisant honte au véritable James Bond dans une de ses répliques du film opposé. Dans un tel contexte, il serait ridicule de faire du James Bond que l'on veut affirmer comme le seul vrai James Bond un amnésique qui ne sait plus qui il est. D'autant que l'amnésie est déjà un lieux commun de plusieurs série d'espionnage. Chapeau melon et Bottes de cuir ne tardera pas à y recourir avec Emma Peel dans l'épisode Ne m'oubliez pas en 1968. Et, cette même année, en 1967, James West, le héros des Mystères de l'Ouest tombe lui aussi déjà amnésique dans l'épisode 22 de la saison 3, intitulé sans mystère (désolé pour ce jeu de mot de mauvais goût) La Nuit de l'amnésique. Le choix de Roald Dahl apparaît dès lors plus pertinent.
Mais il ne sauve pas la face d'un film dont le slogan, voulant signaler l'existence des deux Bond en compétition, "On ne vit que deux fois et vivre deux fois est la meilleure façon de vivre", n'aide déjà pas. Car si James Bond use de sa fausse mort comme subterfuge dans On ne vit que deux fois, il use également d'un subterfuge consistant à faire croire que tout le monde est James Bond dans Casino Royale. Mort ou omniprésent? Le public est perdu. Le vrai défaut de ce film réside dans son apparition précoce et malheureuse étant donné le contexte. Il aurait fallu en faire, comme dans le roman, la suite d'Au service secret de Sa Majesté.


"Jamais l'oiseau ne fait son nid sur un arbre dénudé": James Bond vs Fantômas


Autre problème de ce volet de Bond, c'est son rapport au cinéma français qui a vu d'ailleurs un an auparavant le premier réalisateur de la saga James Bond passer de so côté en co-réalisant pour Hunebelle le quatrième volet des Oss117 officiel: Atout coeur à Tokyo pour Oss117.
Oss117 avec laquelle la saga EON cherche aussi à rivaliser en projetant Bond au Japon. Oss117 dont le second volet du reboot récent avec Jean Dujardin pastiche notamment la scène d'avion où Helga Brandt piège Bond.
Hunebelle qui n'use pas que d'Oss117 pour se mesurer à Bond et épate la galerie avec sa réécriture bondienne des frasques de Fantômas. Et si, face à Opération tonnerre, Furia à Bahia (3e volet d'Oss117) fait pâle figure en 1965, Fantômas se déchaîne se gausse gentiment de James Bond avec un De Funès en guise de Q et une galerie impressionnante de gadgets dans un décor qui imite le Docteur No à la perfection.
Raison, sans doute, d'un choix d'imitation du second Fantômas dans On ne vit que deux fois.
On y retrouve le cigare tirant des missile et la base dissimulée dans un volcan. James Bond s'en tient donc à imiter son imitateur, en rajoutant donc la classe et le gigantisme de Ken Adam à son repaire volcanique bien plus impressionnant que celui de Fantômas. On notera au passage que la fin du film d'Hunebelle, Fantômas s'enfuit dans une voiture à laquelle pousse des ailes ! James Bond continuera donc à plagier légèrement le criminel français en donnant une voiture similaire à Francisco Scaramanga ...


Le Commandeur fantôme affronte le Chef du SPECTRE


Ce qui sauve *On ne vit que deux foi*s du marasme d'une adaptation trop précoce, c'est à n'en pas douter le dévoilement d'Ernst Stavro Blofeld, montrant son visage au grand jour pour inspirer des milliers d'univers à son tour, entre L'Inspecteur Gadget, Les Tortues Ninja ou encore Austin Powers. Initialement prévu pour l'acteur Jan Werich (Le Golem) - qui s'est avéré avoir une physionomie bien trop bonhomme, associée à celle du Père Noël - le rôle revient à Donald Pleasence (La grande évasion). Ce dernier apparaît chauve, l'oeil gauche barré d'une vilaine et terrifiante cicatrice et jette son regard hagard et inquiétant sur tout ce qu'il voit. Une parfaite interprétation qui lui vaut l'honneur d'être le meilleur et le plus imité des Blofeld, toutes sagas comprises. Il partage d'ailleurs la même année le rôle de suspect et l'affiche de La Nuit des généraux avec Charles Gray, également au casting d'On ne vit que deux fois, qui joue Henderson, un allié de Bond et qui jouera Blofeld à son tour dans Les Diamants sont éternels quatre ans plus tard.
Face à Ernst Stavro Blofeld ainsi magistralement interprété, un James Bond que certains trouve usé, las, fatigué, en raison du désamour montant de son interprète Sean Connery. Le départ de Terence Young peut avoir fait baisser le moral d'un acteur en plein désamour du rôle face à une presse omniprésente mais Sean Connery est tout de même en pleine forme et signe ici sa dernière bonne prestation dans le rôle.
La fine équipe du MI6 est également de retour, incluant M (Bernard Lee), Miss Moneypenny (Loïs Maxwell) et Q (Desmond Llewelyn) dont on regrette cependant un passage trop express au profit de Tanaka et ses gadgets ninjas.
Aux côtés de Blofeld, l'industriel effacé Osato (campé par le non moins effacé Teru Shimada, connu pour plusieurs rôles dans Perry Mason), l'impressionnant colosse Hans non nommé au générique et interprété par un habitué de Lewis Gilbert, Ronald Rich (Alfie, connu aussi pour divers rôles dans Docteur who) et surtout le Spectre N°3 anonyme mais à la voix claire et forte joué par Burt Kwouk, grand nom de l'univers bondien qui signe ici sa deuxième apparition EON après Goldfinger, sa première apparition Pussycat et qui s'est aussi beaucoup illustré dans La Panthère rose et Chapeau melon et Bottes de cuir.
Certains aiment à mettre en relief les scènes se déroulant chez Tanaka où se dernier explique à Bond que le machisme est une valeur naturelle au Japon ("L'homme passe toujours en premier"). Fantasme occidental ou réalité orientale, cette scène qui choque les féministes et sert d'argument aux détracteurs de Bond donnerait à voir un orient au travers d'un érotisme hyperbolique. L'hyperbole tombe dans l'euphémisme au vu des James Bond Girls de ce volet. En effet, l'occidentale Helga Brandt dessert son interprète Karin Dor, bien plus belle au par ailleurs, ne serait-ce que sur les photo de production du film. Elle reste séduisante mais se vieillit beaucoup et quitte assez rapidement l'aventure. Pour ce qui est des deux nippones, ma préférence va à Aki, plus sage et plus drôle à la fois, plus humaine et plus réaliste à l'image de son interprète Akiko Wakabayashi, pourtant moins appréciée que sa compatriote. Sa compatriote, Mie Hama, l'interprète de Kissy Suzuki, qu'Akiko a sauvé du suicide en demandant qu'elle soit conservée dans la distribution, est une sorte d'ersatz japonais d'Honey Rider, doublée pour les scènes de plongée ama par la femme de Sean Connery, incapable d'articuler un mot d'anglais et injustement plus appréciée par le public de l'époque. Les deux belles nippones ont souvent joué de conserve dans les mêmes films (King Kong contre Godzilla, l'année du Dr No et Lily la tigresse de Woody Allen, un an avant On ne vit que deux fois, et probablement à l'origine de leur choix pour les rôles de James Bond Girls).


On ne vit que deux fois est donc un excellent volet de James Bond qui souffre de son contexte de sortie, d'un casting pas toujours bien exploité mais qui offre au public un onirisme incontournable et un gigantisme digne de James Bond.
Un film qui eût été parfait parfait en suite à Au service secret de Sa Majesté mais qui n'est que très bon présenté à ce moment là de l'histoire bondienne.

Créée

le 26 juil. 2016

Critique lue 508 fois

Frenhofer

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